05 mai 1918. A quoi jouent-ils ?

 Ah ça ! Bah alors ! Si on avait su... nous aurions sans doute vu les choses sous un autre angle ! Mais vous savez maintenant, avec le recul, je pense bien que mes sœurs m’ont trainée à ce qui s’avérera être un formidable événement juste dans l’idée de faire les belles devant les garçons du quartier... je ne savais même pas de quoi elles me parlaient mais, elles m’ont vendu la promenade comme un spectacle à ne pas manquer... du moins elles ont présenté les choses comme ça à Maman en disant qu’il fallait vivre avec son temps, profiter des nouveautés et que ce serait bien pour moi, encore toute jeunette à l’époque, j’avais alors environ 11 ans, de passer la journée au grand air parce que nous n’étions pas beaucoup sortis, depuis de longs mois, entre l’hiver très rigoureux avec la neige abondante et le début du printemps pluvieux... les bombardements et les tirs de la Grosse Bertha sur Paris... Maman a fait répéter les consignes de sécurité en cas d’alerte à mes sœurs, elle leur a demandé qu’elles lui disent où était situés les abris sur notre trajet et m’a fait promettre de toujours donner la main à l’une d’elles et d’obéir puis, elle a donné son autorisation... De toute façon, il n’y avait pas bien loin à aller, nous nous y sommes rendues à pied... il n’y a pas eu d’alerte... nous étions bien guillerettes... elles ont eu raison mes sœurs, nous avions bien besoin d’une petite distraction...

Oncle Henri, qui était alors au front, nous écrivait qu’il jouait a un curieux jeu, le sport des Anglais... il fallait courir derrière un ballon en le poussant du pied pour le faire passer entre deux piquets pendant que des adversaires voulaient nous le prendre pour le faire partir dans le sens inverse pour tenter également de le faire passer entre deux piquets gardés par un joueur de l’équipe opposée... Bon, je n’avais pas très bien compris les règles de ce jeu, mais oncle Henri disait que c’était bon pour le corps et surtout pour la tête parce que pendant que l’on se dépensait sainement ainsi, on ne pensait plus à la guerre et le cerveau respirait... on était bien content... il nous encourageait à aller y jouer... Je n’étais pas très convaincue mais si cela lui faisait plaisir... Le jeu s’appelait le football... c’était bizarre comme nom pour moi à l’époque, mais il est vite devenu connu du moindre enfant. D’ailleurs oncle Henri ne faisait pas que jouer au ballon, il faisait aussi de la course à pied, pratiquait la nage... il était devenu terriblement sportif le bon tonton.

Les Poilus et le foot - Photo de la BDCI    

 

Alors voilà, à peine un petit quart d’heure de marche jusqu’au bout de la rue Olivier de Serres et nous sommes arrivées, vers 14 h 45, au stade de la Légion Saint Michel parce que c’est là où tout devait se jouer, à 15 h ; c’était la finale, c’est important une finale, ce jour-là était donc celle de la Coupe Charles Simon... A l’époque, je n’avais pas très bien compris comment un homme qui était mort en 1915 pouvait avoir inventé un jeu qui se jouait en 1918.

 Charles Simon, lorsqu’il était vivant, aimait le sport, la boxe sans doute qui était peut-être bien le sport le plus populaire auprès des Français, l’athlétisme bien sûr mais, je crois avoir compris que celui qu’il aimait plus que les autres, c’était ce football, un sport collectif et qu’il aurait voulu faire un grand championnat qui aurait rassemblé des foules immenses comme chez les Anglais... Mais voilà, comme les autres, Charles Simon a été envoyé à la guerre et, comme tant d’autres, il n’est pas revenu, il est Mort pour la France. Mais il était le président de la C.F.I. qui était le Comité Français Inter-fédéral pour rassembler les différentes sections dans le but de créer cette fameuse compétition qui fédérerait tous les joueurs de football. Alors, il n’était pas tout seul dans son organisation et son successeur, Henri Delaunay, qui aimait bien le football aussi, a continué le projet et c’est ainsi qu’en 1917, en pleine guerre, est née cette rencontre que l’on a appelée Coupe Charles Simon en hommage à ce dernier malheureusement tué à l’ennemi sans avoir pu voir son rêve se réaliser. De l’argent a été offert pour cette organisation et l’éminent docteur en médecine, Paul Michaux, s’est proposé pour offrir “l’objet d’art qui serait l’enjeu de cette épreuve” 

Cet objet, qui est véritablement d’art, a été créé par les établissements Chobillon ; le trophée pèse 3,150 kg, il est en argent ciselé avec 2 anses et est présenté sur un socle de 15 kg en marbre blanc des Pyrénées. Une copie a été faite quelques années plus tard pendant que l’original du trophée est conservé au siège de ce qui est devenu la F.F.F. ; sur cette coupe est inscrit “Coupe Charles Simon offerte par le docteur Paul Michaux Président de la F.G.S.P.F” mais aussi, comme on peut le voir sur la photo, “A la glorieuse mémoire de Charles Simon Président Fondateur du CFI Mort au champ d’honneur le 15 juin 1915”.

Il y en avait du monde, nous n’étions pas les seules à avoir fait le déplacement, on a parlé de 2 000 spectateurs... ça vous semble peu mais, nous étions le 05 mai 1918, en plein Paris menacé, c’était la guerre, ne l’oublions pas et c’était la première fois qu’une telle compétition était organisée.

L’arbitre s’appelait Bataille... si, si je m’en souviens très bien... Jacques je crois oui, c’est ça, Monsieur Jacques Bataille. Les équipes étaient 48 au début de la coupe, éliminées une à une, il n’en reste donc plus que deux et ce match ultime oppose l’Olympique au FC Lyon alors j’ai tout de suite choisi mon camp, il paraît que tout le monde donnait le FC Lyon gagnant mais moi, j’ai préféré l’Olympique de Pantin, nos voisins en quelque sorte... J’avais raison, ils ont gagné, 3 buts à 0 dont deux marqués par Emile Fiévet et un en seconde mi-temps par Louis Darques.

Photo extraite de wikipedia Coupe de France de football 1917-1918
La photo que l’on voit en haut, au début de mon récit, représente les joueurs de l’Olympique de Pantin, prise au cours de la compétition mais pas pendant la finale dont il ne semble pas exister de photos officielles... ou presque parce qu’il paraît qu’il y en a tout de même une
connue, elle est de qualité très médiocre comme chacun peut s’en rendre compte. Elle est parue à l’époque dans “La Vie au Grand Air” ; on ne nous voit pas mais avec mes soeurs, nous étions dans la foule que l’on distingue en arrière plan... Enthousiastes, oui, c’est le bon mot, nous étions enthousiastes, toutes les trois bien sûr mais aussi toute l’assistance. Ah oui alors, nous avons passé un bon après-midi comme il y avait bien longtemps que cela ne nous était pas arrivé... un vent de liberté soufflait sur le stade... Quand je vois l’ampleur qu’a pris cette compétition au fils des années... quand je pense que, certainement, dans 100 ans, on commémorera la Coupe Charles Simon, qu’on rappellera à tous comme étant la première coupe de France de football... Mais je me demande si, en 2018, quelqu’un dira : “tante Jeannette y était”.

Catherine Livet

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Pour me joindre :

Voici ma participation au second épisode du #RMNA pour lire ou relire ma première participation : 1918 - Mes Parisiennes

Pour lire et relire l’intégralité de mes “petits textes” en lecture libre : Becklivet

Sources : Histoire de la coupe de France - La vie au Grand air - BDCI - Wikipedia - Souvenirs familiaux

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