Les grands chantiers du Paris de Charles Edouard Chalvet

Ah, bien au chaud chez moi, je regarde par la fenêtre… quelques flocons virevoltent dans le ciel, tombent doucement sur l’herbe froide mais ne résistent pas très longtemps au tiède soleil d’hiver qui inondent le jardin… Bien installée, je ferme les yeux et laisse mon esprit s’élever… il prend vite son envol et se dirige sans hésitation… Il doit absolument rencontrer celui de Charles
 
Edouard Chalvet avec lequel il avait commencé à échanger lors d’un précédent rendez-vous…

Bonjour Edouard, je suis de retour auprès de vous ; lorsque nous nous sommes quittés à la fin de notre première rencontre, nous évoquions le second mariage de votre mère, Désirée Françoise Clavières, avec Antoine Lafoy qui, comme votre père de son vivant, exerce la profession de tailleur alors, je m’attendais à ce que vous appreniez le métier avec votre beau-père mais pas du tout, je vous retrouve doreur sur tranche… et je me demande si vous aviez conscience alors que vous ouvriez la porte de la voie royale des métiers du livre à vos descendants… Et regardez, j’ai une surprise pour vous… Penchez-vous vers la terre, laissez votre esprit aller chez moi… regardez, je l’ai laissé bien en évidence pour vous sur la table de mon salon… Alors, cela vous est-il plaisant ? Vous souvenez-vous de ce petit livre de prières à la tranche et à la couverture si finement dorées ?

Ne vous ai-je pas dit que j’étais la dépositaire du passé, de notre passé… mais qu’avant moi, déjà, mon père l’était ?
Non Edouard, ne soyez pas étonné de m’entendre vous dire que votre vie me fascine, non Edouard votre vie n’a pas été ordinaire… vous avez connu des faits et des conditions de vie incroyables comme la révolution de 1848 que nous évoquions lors de notre dernière rencontre, tout comme l’épidémie de choléra de 1849 et ce n’est pas fini, rappelez-vous de votre passage sur terre, imprégnez-moi de vos souvenirs pour qu’ils deviennent miens et que je puisse les transmettre à mon tour à mes fils pour qu’au moins l’un d’entre eux ensuite devienne le gardien de notre histoire familiale.


Et voici qu’à nouveau Paris se plaint, Paris subit… C’est la guerre ! Napoléon III part en exil… Paris est assiégé dès septembre 1870. Quel a été votre rôle durant cette période troublée ? Des tentatives pour libérer Paris des Prussiens qui l’encerclaient sont menées et je vais vous dire qu’une personne, Clémentine Noyon, que vous n’avez probablement pas connue mais qui apparaît dans l’ascendance de ma mère, a été récompensée de la Médaille Militaire le 19 janvier 1871 pour ses actions courageuses lors de la bataille dite de Buzenval… Sa vie, à partir de cette époque deviendra d’ailleurs hors du commun.

Mais en attendant, Paris à faim et Paris gronde… et refuse la défaite… et ce 18 mars 1871, c’est sûr, on ne touchera pas aux canons de la Garde Nationale !
Edouard, vous avez connu la Commune de Paris et, bien entendu, la Semaine Sanglante ! Quel a été votre rôle ? Dans un quartier où vous n’aviez certainement pas l’habitude d’aller, rue de Flandre dans le 19e arrondissement, un autre personnage qui apparaît dans l’ascendance de ma mère, Adolphe Lapote, est mort tragiquement sur sa barricade.

Vous voici fiancé et Thérèse Neuhaüs donne naissance le 03 mai 1872 à l’hôpital dans le 6e arrondissement de la capitale, à une petite fille qu’elle prénomme Thérèse mais le bébé ne va vivre qu’un peu plus d’un an et décèdera chez vous dans le 5e arrondissement. Deux mois avant ce triste événement est née Louise, le 08 juillet 1873, dans le même hôpital que sa sœur mais pour cette enfant, vous allez vous déplacer à la mairie du 5e arrondissement pour faire dresser, conjointement avec Thérèse Neuhaüs, un acte de reconnaissance, ce que vous n’aviez pas fait pour l’aînée, seule la mère s’était déplacée. C’est incroyable mais j’ai vraiment l’impression de connaître Louise tellement mon père, votre arrière-petit-fils, m’a parlé d’elle… Il l’appelait Tante Louise bien qu’elle fut sa grand-tante, elle l’a beaucoup aimé et se fut réciproque.
Décidément, c’est encore une fille qui naît le 05 janvier 1875, toujours dans le même hôpital et cette fois, vous allez la reconnaître comme votre enfant dès le 10 janvier de cette même année et puis, c’est décidé, dans la foulée, vous allez vous occuper de faire une première publication de mariage qui sera célébré le 20 février suivant dans le 5e arrondissement et là, dans votre acte de mariage, il y a un petit imbroglio… la petite Thérèse, décédée en 1873, est légitimée par votre mariage mais Louise ne l’est pas… 
Est-ce un signe du destin qui vous a été fait l’année de votre mariage ? En tous les cas, tout Paris en parle et demande des conseils et des renseignements aux journaux… On s’équipe aussi… on achète, pour deux sous, des verres noircis car il faut se protéger… cela peut-être dangereux pour les yeux… l’éclipse de soleil est attendue pour le 29 septembre 1875 ! Le « Figaro » est septique et, le 25 septembre prévient ses lecteurs qu’il ne sera vraiment pas la peine de se déranger tant l’éclipse sera peu visible à Paris… si on veut la voir, il faudra se rendre en Amérique septentrionale, à Philadelphie par exemple… Les Parisiens se trouveront pratiquement sur la ligne du simple contact où l’éclipse ne durera qu’un temps inappréciable… vers 11 heures… le phénomène n’aura pas une grande importance… le « Figaro » précise : « … sans vouloir faire tort aux marchands de verres noircis et aux savants, deux classes d’hommes honorables que nous ne voudrions pas nous mettre à dos ».
En tous les cas Edouard, je suis bien heureuse que ce phénomène ait eu lieu à cette époque et qu’un astronome se soit installé tout à côté de chez vous car grâce à cette illustration, nous avons la grande chance de voir votre environnement… les bâtiments que vous avez connus, les boutiques, les réverbères, les omnibus, les pavés des rues et des trottoirs…
Ponctuée par tous ces événements parfois tragiques, parfois magnifiques, votre vie suit son chemin et voici une nouvelle naissance… c’est un garçon ! Il est né chez vous au 6 de la rue des Lavandières, le 05 janvier 1879 mais, vous ne le saurez pas, il va trouver la mort dans un tragique accident de voiture à bras en août 1900 et voyez-vous Edouard, mon père qui ne naîtra qu’en 1922 m’a raconté cet accident survenu à son grand-oncle qu’il n’a pourtant pas connu… c’est Emilie, votre plus jeune fille qui, après votre départ définitif, vivait avec lui, qui a raconté le tragique destin de son frère.
Et la voici la très bienveillante Emilie, elle naît le 19 août 1881… chez vous mais… vous n’habitez plus rue des Lavandières où je vous avais toujours connu… et voilà que vous êtes dans le 14e arrondissement, dans ce quartier si particulier qui va devenir le « village » des Livet…
 

Bon, le temps passe et j’ai encore des questions sans réponse… Je me demande, vous qui avez connu la Commune de Paris et même la Semaine Sanglante, comment avez-vous vécu la construction du Sacré Cœur ? Obligatoirement, ce chantier gigantesque est devenu le lieu de promenade dominicale de la famille et peut-être figurez-vous sur l’un des nombreux clichés qui ont été pris durant toutes ces années de construction ?


Et puis, je vous imagine bien à côté de toute votre petite famille ébahie, les yeux écarquillés, la bouche ouverte devant cette apparition gigantesque… La Statue de la Liberté ! Et encore, elle n’est pas encore installée sur son socle qui l’attend aux Etats-Unis vers lesquels elle doit voyager… Aucun parisien ne peut avoir manqué ce spectacle en 1884.

Mais ce n’est pas tout ! Vous avez été témoin de la construction DU monument français ! Celui qui déplace encore à mon époque des foules venues du monde entier… Si si… Seriez-vous à ranger parmi ceux qui la trouvait affreuse… notre Tour Eiffel ? A n’en pas douter, que vous ayez estimé qu’elle fut un symbole formidable de la technologie d’alors ou que vous l’ayez qualifiée d’énorme tas d’immondices… votre curiosité a obligatoirement conduit vos pas jusqu’au Champs de Mars.
Ce 11mars 1888, votre mère, Désirée Clavières décède chez elle rue de la Sourdière, elle était marchande de journaux et veuve depuis le 04 février 1882, lorsque vous faites la déclaration, vous habitez déjà 127 rue de l’Ouest ou nous retrouverons, pendant de très nombreuses années, certains de vos descendants mais ce qui m’a surprise, c’est que vous n’exercez plus votre beau métier et même, vous n’êtes plus que porteur de journaux… que c’est-il passé ? Avez-vous eu une infirmité quelconque, avez-vous été victime d’un accident ? Jamais je ne saurai ce qui est arrivé.
Quoiqu’il soit arrivé ensuite, je suis bien persuadé que vous avez du entrainer toute votre petite famille profiter de l’exposition universelle de 1889 dont la Tour Eiffel était la vedette.
 
Mais voilà que Thérèse Neuhaüs est malade… elle est même admise à l’hôpital Broussais où elle meurt le 21 octobre 1891 à 43 ans ; elle est inhumée dès le lendemain dans le cimetière de Bagneux.

Et c’est votre tour, vous décédez chez vous, 39 rue de Plaisance le 04 mai 1898, vous avez 54 ans ; c’est votre fille Louise qui fait la déclaration, elle habite quelques rues plus loin, au 175 rue du Château, elle est mère de Georges Sirejean qui est né le 24 juillet 1894 et que René Livet va très bien connaître et de Marcel qui est né le 25 janvier 1897 mais qui ne va pas vivre bien vieux. Vous aussi avez été inhumé dès le lendemain dans le cimetière parisien de Bagneux.

Oui, je dois maintenant vous quitter Edouard ; il est déjà 13 heures trente sur terre et je suis attendue pour le déjeuner, sans compter que je dois finir de rédiger mon #RDVAncestral de janvier 2019.
Si vous voulez lire la première partie de la vie de Charles Edouard Chalvet : Le Paris d’antan

Catherine Livet

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