Du Faucigny à Jérusalem


Dans un fracas immense, deux boules de feu se percutent très haut zébrant d’une surnaturelle lumière le ciel obscur qui, sous le choc terrible, se parant d’une divine lueur, s’ouvre, laissant apparaître une croix fascinante. Aveuglée par la foudre et assourdie par le tonnerre, je n’ai même pas le réflexe de tenter de retenir mon esprit qui abandonne mon corps à l’abri des murs centenaires de mon logis pour se précipiter aux premières loges de ce spectacle troublant…

La vision de Constantin
Là-bas, tout là-bas, il y a longtemps, très longtemps… le Grand Constantin, ayant assisté en l’an 312 à une
apparition de la Croix semblable à celle d’aujourd’hui, se faisant Chrétien, ou du moins, promulguant en l’an 313 ce qui est resté dans l’Histoire comme l’édit de Milan, aurait fait cesser les persécutions contre les Chrétiens et aurait décidé d’offrir la plus belle, la plus grandiose, la plus majestueuse des basiliques au Saint-Sépulcre… et les pèlerinages, pourtant fort dangereux, sont, années après années, de plus en plus nombreux même si, paraît-il, seul un pèlerin sur deux revient de son voyage tant le chemin est semé d’embûches pour ne pas dire de périls.
 
Ah Guillaume, je suis heureuse de vous rencontrer ! Oui, c’est ce nom, Guillaume, que l’on a retenu pour vous identifier, vous qui m’avez donné tant de mal pour vous retrouver et surtout pour tenter d’appréhender votre vie… Vous êtes même maintenant affublé d’un rang numéral… mais pas n’importe lequel, vous êtes le premier ! Et puis, on vous accorde un qualificatif… « le sage » Bon, ne froncez pas les sourcils, pour nous, comme pour vos contemporains, vous restez Guillaume, souverain du Faucigny ! Hé oui ! Il m’a fallu

remonter à l’an 312 pour comprendre pourquoi vous avez répondu à l’appel d’Urbain II en l’an 1095 époque à laquelle, puissant seigneur, vous étiez sans doute depuis déjà de nombreuses années, à la suite de votre père Louis, à la tête des Faucigny, si bien établis. Votre frère Guy est alors évêque de Genève et votre main-mise sur la région ne s’arrête pas là car dans le même temps, mais après 1095 tout de même, votre fils Girard (Gérold) sera évêque de Lausanne alors que votre autre fils, Amédée, sera évêque de Maurienne… Les hommes de la famille, Monsieur de Genève en tête certainement, sont en bonne place au

Illustration du concile de Clermont mais qui, en réalité, s'est sans doute tenu à l'extérieur
concile de Clermont [Clermont-Ferrand en Auvergne] pour entendre l’appel d’Urbain II ; il y a, paraît-il, tellement de monde que la réunion doit se tenir en plein air. Le Pape exhorte les « guerriers » -et les simples paysans- à faire le voyage jusqu’à Jérusalem pour repousser les infidèles qui empêchent parfois très violemment les pèlerinages. On lui prête ces mots qu’il aurait prononcés en français d’alors :
«Ô peuple des Francs ! Peuple aimé et élu de Dieu ! De Jérusalem et de Constantinople s’est répandue la grave nouvelle qu’une race maudite, totalement étrangère à Dieu, a envahi les terres chrétiennes, les dépeuplant par le fer et le feu. Les envahisseurs ont fait des prisonniers : ils en prennent une partie comme esclaves sur leurs terres, les autres sont mis à mort après de cruelles tortures. Ils ont détruit les autels après les avoir profanés. Cessez de vous haïr ! Mettez fin à vos querelles. Prenez le chemin du Saint Sépulcre, arrachez cette terre à une race maligne, soumettez-la ! Jérusalem est une terre fertile, un paradis de délices. Cette cité royale, au centre de la terre, vous implore de venir à son aide. Partez promptement et vous obtiendrez le pardon de vos fautes ! Souvenez-vous aussi que vous recevrez pour cela des honneurs et la gloire éternelle au royaume des cieux »

Pierre l'Ermite prêchant la 1re croisade - Manuscrit du XIIIe - Bibliothèque de l'Arsenal - Paris
La situation n’est pas nouvelle, mais la prise de Jérusalem par les musulmans en 638, n’avait pas empêché les pèlerinages puisque chaque voyageur devait s’acquitter d’un tribut plus ou moins lourd, assurant ainsi de forts revenus aux Orientaux, pour atteindre le tombeau du Christ qui a déjà connu des outrages certains parce que le Saint-Sépulcre a été détruit en 1009. Mais la situation s’est encore dégradée et des Turcs, les Seldjoukides, en 1071, anéantissent l’armée byzantine et s’empare de son empereur, le romain Diogène ; Jérusalem est entre leurs mains… Constantinople, capitale de l’empire byzantin, n’est pas loin de tomber sous le joug de l’envahisseur et les Chrétiens d’Orient se retrouvent persécutés, ils ont fort besoin de l’aide des Chrétiens d’Occident… Bon, la première partie de l’épopée ne
Turcs et pèlerins ne font pas bon ménage
se déroule pas très bien et les paysans partis les premiers, pour la plupart ralliés au moine Pierre d’Amiens qui restera connu dans l’Histoire sous le nom de Pierre l’Ermite, armés de leur seule foi, arrivent avant même que les seigneurs et leurs armées soient prêts à les rejoindre… s’ils ne massacrent pas les juifs, croyant trouver en eux l’assassin du Christ, c’est qu’ils se font massacrer par les Turcs… 
 

Comme tous les autres grands seigneurs, vous avez pris le temps de bien vous préparer et de vous allier ; vous avez rejoint le point de ralliement du Puy et vous ne vous mettrez en route que le 15 août 1096 en suivant scrupuleusement les instructions du pape… Ah Guillaume ! Godefroy de Bouillon occupe toute la place dans les récits de ce pèlerinage que nous appelons maintenant « la première croisade » et il est bien difficile de vous retrouver dans la cohorte de ses barons accompagnés de leurs hommes d’armes et bien des questions resteront pour toujours sans réponse… dont celle de savoir comment avez-vous fait pour financer ce déplacement formidable ? Il n’y a aucune trace de vente ou de mise en gage de votre part d’une terre, d’un château, d’un revenu… rien ! Cela ne veut pas dire bien entendu qu’une telle transaction n’ait pas eu lieu mais, encore une fois, on a l’impression que vous sortez un trésor de votre coffre secret et que vous distribuez l’or sans compter… D’où vient la fabuleuse fortune dont toute votre famille semble disposer depuis longtemps déjà et pour longtemps encore ? A qui avez-vous confié la souveraineté du Faucigny pendant ces deux longues années passées loin de vos terres ? Bon, quelle que soit cette personne -peut-être Utilie, votre épouse, ou plus sûrement votre fils Rodolphe- je suis assurée que votre frère Guy, évêque de Genève, veillait sans faiblir sur les intérêts des Faucigny.

Les croisés à Jérusalem - 1099
Ce ne sera qu’en juin 1099 qu’enfin, Jérusalem sera prise, que d’émotion a du envahir ceux qui auront eu la chance d’arriver au but ! Mais vous n’y étiez pas car vous aviez rejoint votre royaume depuis plusieurs mois déjà, voir une bonne année et l’on vous retrouve avec votre frère Amédée dont on ne sait rien mais qui apparaît sur l’acte de donation signé lorsque Aymon de Genève concède la vallée de Chamonix aux Bénédictins de l’abbaye de Saint-Michel de la Cluse… Vous êtes témoins de cet acte… quels étaient vos droits sur cette vallée qui donc ne vous appartenait pas ? Ils étaient cependant bien réels car, dans quelques années, nous allons vous retrouver, l’arme au poing, rageur défenseur de l’avouerie et de la haute justice sur la vallée, droits à vous contestés par les mêmes Genève pourtant donateurs sans retenue autre que les prières pour le salut de leurs âmes…

Et puis autours de vous comme déjà au temps de vos prédécesseurs, ce nom qui revient toujours, mystérieux et omniprésent, celui de Blonay… quels étaient les liens entre les Faucigny et cette fantomatique famille… des hypothèses extravagantes ont été émises… comme je l’ai déjà dit à votre grand-père Emerard, j’ai un avis sur ce mystère et je l’exposerai plus tard, lorsque tous les éléments seront en place… car pour l’instant, c’est votre fils Girard (Gérold) qui offre, en 1105, l’église de Blonay à l’abbé de Molesnes, Robert, fondateur de l’ordre cistercien. Comme son oncle Guy, évêque de Genève, Girard, plus que prélat, est un grand seigneur qui oeuvrera toujours dans l’intérêt de la puissante maison de Faucigny c’est ainsi qu’en 1107, il inféode le péage du jeudi de Lausanne aux Faucigny ; il s’attire, et par la-même sur toute la maison, les foudres des Genève qui ravageront alors le palais épiscopal de Lucens aujourd’hui dans le canton de Vaud en Suisse… Et, comme son oncle, il dispose de biens considérables qu’il n’hésite jamais à distribuer généreusement aux abbayes comme le don qu’il fait de la terre de Dézaley, destinée à la vigne, à l’abbaye cistercienne de la Grâce-Dieu connue sous le nom de Montheron à Lausanne ; aujourd’hui, je pense que cela doit vous faire plaisir de le découvrir, les vignes de Dézaley sont très renommées pour le magnifique vin blanc, grand cru du pays de Vaud en Suisse.

Pendant la même époque, Amédée, un autre de vos fils devenu, très jeune, évêque de Maurienne, défendra également les intérêts de la famille et va peser sur le comte de Maurienne. Et c’est ainsi que la fondation de l’abbaye d’Aulps qui va devenir, chef d’œuvre de l’architecture cistercienne, le plus important monastère de la région, va encore révéler un peu de la puissance des Faucigny. Vous êtes absent, c’est donc votre fils Rodolphe qui assiste à l’acte de fondation qui est généralement situé vers 1094 mais je pense, cela n’engage que moi, que cet acte devrait plutôt être situé vers 1096 ou 1097. Si votre fils est bien présent à la signature de cet acte, il semble que ce soit votre frère Guy, évêque de Genève, qui autorise cette fondation par Humbert, comte de Maurienne… il est probable que Rodolphe soit encore trop jeune pour vous représenter pleinement. Dans les donations futures, les Faucigny parleront en souverains allant même jusqu’à menacer de soumettre les contrevenants, ils donneront sans restriction sauf l’obligation pour l’abbaye de fournir des hommes pour la défense de Châtillon et des Allinges.

En 1121, c’est votre fils qui confirme une donation faite par Gauthier d’Aix à cette même abbaye, vous êtes cité dans cet acte mais pas présent ; c’est encore votre fils qui intervient, en 1124, dans le traité entre le comte et l’évêque de Genève pourtant, ce même traité confirme que vous êtes encore vivant puisqu’un légat de l’archevêque de Vienne doit venir vous voir pour vous inciter à abandonner certains droits que vous auriez usurpés à l’Eglise. C’est encore une fois Rodolphe qui intervient un peu plus tard pour pacifier les relations tendues entre l’évêque de Sion et le comte de Savoie. Pourquoi semblez-vous vous terrer ? On ne peut qu’imaginer qu’une infirmité terrible vous oblige à le faire... les suites d’une blessure durant votre guerrier pèlerinage vous auraient-elles poursuivi tout le reste de votre vie dégradant votre physique et votre mental ? Que vous est-il arrivé Guillaume ?

Je dois vous quitter Guillaume, il faut que je regagne en toute hâte mes contemporains qui doivent commencer à s’impatienter de mon retard… l’orage pendant lequel je m’étais évadé jusqu’à vous est passé, il a laissé place à un temps estival … il faut que je profite un peu de l’ardent soleil qui inonde mon jardin de sa bénéfique lumière. Ah oui ! Vraiment, j’aimerai que vous me parliez de votre petit-fils Arducius et de son frère le Bienheureux Ponce ! C’est promis, je reviendrai bientôt.

Catherine Livet.

Ce texte est écrit dans le cadre du #RVAncestral et fait suite à : « Aux confins de ma généalogie » et la suite est à lire ici : Princes et évêques

 

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