Famille loyale

Henri de Faucigny

Le Christ en croix - église Ste-Maure - Aube

C'est une histoire de foi absolue en la royauté... une histoire de loyauté... c'est l'histoire d'un don artistique qui se transmet de génération en génération et qui permet de gagner sa vie sans déchoir de sa condition d'aristocrate.
C'est l'histoire d'Henri, le 3e enfant d'une fratrie de cinq qui ne comporte qu'une fille née immédiatement après lui.

Henri est le fils d'un si grand prince qu'il avait eu le privilège d'épouser la petite-fille du comte d'Artois... et tant pis pour les implexes multiples qui émaillent la généalogie des mariés.

Ses parents aimaient tant la France et leur royal grand-père déchu, que nous nommons aujourd'hui Charles X, que le petit Henri est né à l'étranger, entre deux malles toujours prêtes à être enlevées...



Schéma gnéalogique Faucigny
Schéma généalogique

La révolution de 1830 est passée sur la France malmenée... Charles X, le roi déchu, abdique au profit de son petit-fils, Henri, fils du duc de Berry et de Marie-Caroline de Naples, et demande à son fils aîné, Louis, de faire de même... L'enfant dit du miracle puisque né après l'assassinat de son père, ainsi mis sur le devant de la scène en  ce 02 août 1830  est resté à la postérité sous le nom de Comte de Chambord.
Les parents du futur Henri de Faucigny, règlent quelques affaires parisiennes et filent, sur les pas du vieux roi, à l'étranger... ce n'est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière... Amy Brown, la grand-mère maternelle du futur héros de ce présent récit, est déjà réfugiée à Londres... il faut dire que durant les terribles journées qui sont restées dans les mémoires sous le nom des trois glorieuses, elle a été malmenée et son appartement du quai Voltaire a longtemps porté les traces de la violence des échanges dans le quartier... Les épais matelas de laine et tous les paillassons dressés, sans doute avec retard, derrière les vitres de l'appartement pour tenter de les protéger, n'avaient pas totalement empêché les balles de laisser de profondes éraflures dans les murs de l'appartement et les éclats de verre de joncher les paquets jusque là cirés avec art... Amy Brown n'avait pas demandé son reste et était partie avec toute sa maison s'installer à Londres où elle avait encore de solides attaches... Les enfants d'Amy, du moins ses filles, le prince de Lucinge et le baron de Charette, ses gendres, la rejoignent dans la  seconde quinzaine du mois d'août avant de s'organiser pour louer le Duddingston-Castel, pas très loin d'Edimbourg en Ecosse, pour être aux portes d'Holyrood où Charles X mène désormais une triste vie.

C'est donc durant un séjour à Londres, auprès de sa mère, que la princesse de Lucinge est prise par les affres de l'enfantement et qu'elle donne vie, le 26 novembre 1831, à son troisième fils que l'on nomme Henri.
Mais rien n'est simple pour les exilés... la duchesse de Berry rallie, avec l'accord du roi, la Vendée en France pour tenter de mettre son fils sur le trône... ce sera un échec... L'Angleterre veut développer une bonne entente avec la France de Louis-Philippe mais du coup, la présence de la famille royale devient  un peu gênante... Heureusement, François 1er, empereur d'Autriche, propose de recueillir les malheureux exilés qui peuvent donc s'installer au château de Hradschin à deux pas de Prague... avant de devoir encore et toujours changer de résidence...
La famille de Lucinge, se lasse un peu de cette vie d'itinérance et rentre à Paris où naît, le 09 avril 1833, la seule fille de la fratrie, Marguerite. Mais penser que les Faucigny seraient devenus casaniers seraient une erreur car la princesse de Lucinge reste très proche de la duchesse de Berry et, accompagnée au moins par son fils aîné, Charles, elle séjourne souvent et parfois très longtemps au palais de Vendramin, sur le grand canal à Venise que Marie-Caroline a acheté et lui rend aussi, parfois, visite au château de Brünnsee près de Graz en Autriche où la mère du comte de Chambord décédera et, bien entendu, on peut voir les princes de Lucinge à Frohsdorff où le comte de Chambord finira par installer sa famille.
Le dernier frère d'Henri, René, naît en 1841 en Suisse où les aînés ont fréquenté le collège de Fribourg. Puis, les Lucinge, comme un retour aux sources, prennent leurs quartiers à Turin

Vivant dans une famille hautement nostalgique, le jeune homme qu'Henri est devenu sert dans le Régiment Savoie-Cavalerie, le plus ancien et prestigieux régiment de l'armée italienne (Faucigny, Savoie et Italie sont très liés) ; comme sa mère et ses aînés, le jeune prince est resté très fidèle au comte de Chambord et à la duchesse de Berry qui, rappelons le, a pris soin de Charlotte d'Issoudun et de sa sœur Louise à la mort du duc de Berry.
Durant tout le temps de la  jeunesse d'Henri, le train de vie de la famille de Lucinge est restée... royal. Mais... malgré l'ingéniosité et l’aplomb déployés par son admirable grand-mère paternelle, Judith de Sassenay, qui avait réussi à sauver une grande partie de leurs avoirs pendant et après le bain de sang que fut la révolution de 1789, malgré l'incroyable dote de sa grand-mère dont la maison où elle habitait avant son mariage rue Neuve des Mathurins, des rentes, dont une sur l'état, pour environ 35 000 Francs, des bijoux et diamants pour 50 000 Francs, sans compter le mobilier, la vaisselle, le trousseau... malgré tout... la fortune des Lucinge est un peu ébranlée.

Marguerite, l'unique fille des Lucinge, ouvre la saison des mariages en épousant en 1853, à Turin, Louis, marquis Pallavicino-Mossi. Bon, c'est la seule fille, elle a 20 ans, on comprend cette date de mariage mais, la raison pour laquelle Henri se marie avant ses frères aînés n'est pas connue surtout qu'il précède de très peu en fait celui de Charles.
Eglise Sainte-Clotilde à Paris vers 1860
Basilique Ste-Clotilde , Paris vers 1860
Il n'y a pas que la famille à vouloir renouer avec le passé et, il faut bien le reconnaître, on n'avait plus vu de telles splendeurs depuis 1830 car en ce jour du 20 janvier 1859, l'aristocratie a défroissé les dentelles et les brocarts, lustré le crin des chevaux attelés aux plus beaux équipages que l'on a ressortis pour l'occasion...

L'émotion étreint tout particulièrement l'assemblée lorsque le couple, annoncé  par quelques coups sonores tirés de la frappe d'une hallebarde suisse sur les dalles froides de la basilique fait son entrée solennelle dans le cœur de Sainte-Clotilde.
Noémie de Chavaudon porte un magnifique voile de dentelle d'Angleterre qui vient sublimer la moire de sa robe blanche.
Mais bientôt, tous les regards convergent, emplis d'admiration, sur le fiancé né en exil et rentré en France depuis si peu...
La famille de la jeune épousée -née le 1er décembre 1840 à Saint-Rémy en Bouzemont dans la Marne est la fille d'Alexandre GUILLAUME, marquis de Chavaudon, chevalier de la Légion d'Honneur et d'Emilie Duhamel- n'est pas en reste car ses ancêtres ont également connu l'exil durant les révolutions et eux aussi ont du se battre pour la restitution de leurs biens.

Après le voyage de noces, le jeune couple va s'installer dans l'Aube, au château de Sainte-Maure qui a été glissé dans la corbeille de la mariée ; ainsi Henri devient voisin des Guillaume de Chavaudon, ses beaux-parents.
En plus du château, la jeune femme dispose sur ses terres d'un moulin qui va être la cause de quelques disputes avec des voisins, pourtant pas très nombreux ; les démêlés ne trouveront jamais de solution à l'amiable, il faudra porter le problème de retenue abusive d'eau pour irrigation des voisins et des remous causés à ces mêmes voisins par l'exploitation du moulin devant la justice qui va d'ailleurs prendre l'affaire très au sérieux.
Moulin et entrée du château de Sainte-Maure
Le moulin et l'entrée principale du château
Le département de l'Aube est, lors de l'installation   d'Henri dans la région, très réputé pour sa production de vitraux ; il l'est d'ailleurs toujours puisqu'il est même considéré aujourd'hui comme la capitale européenne du vitrail.
Comme il se trouve que le jeune prince Henri a un don certain pour le dessin et la peinture, qu'il a besoin d'un moyen d'existence et que sa femme dispose des bâtiments nécessaires, il va transformer une partie de la propriété de Sainte-Maure en usine à vitrail.

La vie suit son cours et le beau-père d'Henri décède dans son appartement parisien en 1863 avec une étrangeté : c'est Henri de Faucigny-Lucinge, son gendre qui fait la déclaration de décès et pourtant, il dit ne pas connaître les parents de son beau-père...
C'est une coutume bien curieuse qui va s'instaurer ensuite chez cette génération des princes de Lucinge et, trois ans plus tard, Charles, le frère aîné d'Henri, fera la même omission lorsqu'il sera témoin à l'acte de décès de leur père Ferdinand. Une autre singularité va naître lorsque la belle-mère d'Henri, d'âge mûr, va vouloir se remarier... son père va s'opposer au mariage ainsi que celui du fiancé qui, même s'il est beaucoup plus jeune que la veuve Chavaudon n'en est pas pour autant un adolescent... Après quelques difficultés, ils finiront par se marier et venir habiter, avec leurs propres domestiques, dans une partie du château de Sainte-Maure.
Malgré les vicissitudes inhérentes à toute vie, Noémie a donné le jour, à la fin de l'année 1859 au château de Sainte-Maure, à une fille et Henri va développer ses affaires. S'il est écrit qu'Henri n'atteindra jamais le titre de maître verrier, il va se faire une place de choix dans le milieu des vitraillistes et être considéré comme un amateur n'ayant pas à rougir devant les professionnels... au point tel qu'il va être sollicité pour participer à la fabuleuse, incroyable exposition universelle de 1878 qui a nécessité des travaux immenses, longs et coûteux, comme la construction du Palais du Trocadéro sur la butte Chaillot, l'élargissement du pont d'Iéna pour relier plus aisément les deux parties de l’exposition qui s'étendent des deux côtés de la Seine.
Vue générale de l'expo universelle de 1878 à Paris
Vue générale de l'expo de 1878 - A gauche le palais du Trocadéro, à droite le Champs de Mars

Tout est tellement grandiose lors de cette exposition que c'est tout juste si l'on s'étonne de la taille de la
La tête de la statue de la liberté en 1878 à l'exposition universelle
tête de la statue de la Liberté qui est sortie des ateliers pour être montrée au public...
Fontaine Wallace murale
Modèle de 1872 - BIUSanté
Pour le confort des visiteurs, on installe un peu partout des fontaines Wallace... enfin car la capitale est assoiffée... cette fois, l'eau est potable et distribuée gratuitement.

L'inauguration a lieu le 1er mai 1878. Pour l'occasion, une tente de velours et d'or est dressée sur le bassin supérieur du château d'eau du Trocadéro pour recevoir le Maréchal Mac Mahon, président de la République, les princes étrangers avec leurs états majors, les hauts dignitaires du Sénat et de la Chambre des députés... Illuminations, dorures, musiques et fastes sont au rendez-vous. La foule est immense, le monde entier est à Paris qui resplendit comme jamais.
Inauguration de l'exposition universelle de 1878

Le buveur de champagne, le chef d'oeuvre d'Henri de Faucigny, prince de Lucinge
Le buveur de champagne - M. De Faucigny-Lucinge
Il y a une sacrée concurrence dans toutes les catégories mais Henri de Faucigny, prince de Lucinge, est fin prêt.... Dans la chapelle du parc, en face de l'école militaire ont été réunis les vitraux peints... ils sont tous plus fins et délicats les uns que les autres.
Le prince concourt dans le groupe III - Mobilier et accessoires, classe 19 : Cristaux, verrerie et vitraux.
Henri a raison de croire en lui car, malgré les plus grands maîtres venus de tous les pays de la planète terre, le jury reconnaît son talent et le prince de Lucinge voit son travail récompensé par une médaille de bronze.


Détail du "Christ en croix" église Ste-Maure
Le chef d’œuvre d'Henri de Faucigny est, à n'en pas douter, son "buveur de champagne" qu'il a réalisé en 1874 mais plus personne ne sait qui lui avait passé cette commande ni l'usage qui devait être fait de ce vitrail. L'expression et la posture du buveur sont très réussies, les détails sont très fins. L’œuvre est visiblement la copie d'une peinture hollandaise du XVIIe siècle, à ce titre, le verre est très caractéristique.
Cette œuvre est visible à la cité du vitrail de Troyes dans l'Aube.
On peut également contempler quelques réalisations du prince de Lucinge dans l'église de Sainte-Maure où des rondels figurés complètent les verrières les plus anciennes qui se trouvent dans le bas-côté  nord de la nef.
Le vitrail en quelques mots


Henri de Faucigny, prince de Lucinge, très regretté par les habitants de Sainte-Maure dans l'Aube, décède sans atteindre ses 68 ans.
                                                                                  
Certaines pièces de la collection d'Henri, après son décès, ont été offertes par la famille à l'église.
D'autres pièces,  qui lui sont attribuées, mais souvent d'une qualité moindre que celle du "buveur de champagne" se retrouvent de temps à autre sur le marché de l'art, dans des ventes aux enchères ; bien que la grande mode des vitraux semble un peu dépassée, il reste toujours à travers le monde quelques amateurs et passionnés du genre.

Henri a-t-il été pris en exemple dans la famille ? En tous les cas, il n'est pas le seul artiste de la famille et l'un de ses neveux, Rogatien, le huitième fils de Charles et de Françoise de Sesmaisons, va également pouvoir vivre de ses dons artistiques. Ce neveu et Marguerite de Chastenet de Puységur ont reçu, le 28 avril 1898, la bénédiction nuptiale de l'abbé Le Joncour qui s'était occupé de l'instruction du marié durant sa jeunesse lors de ses séjours en Bretagne, dans le château de sa mère. Le couple s'est installé chez la mère de la mariée, Marie Claude de Gratet du Bouchage. Les manières de la dame vont fortement surprendre Rogatien... surtout sa manie de toujours emplir de petits-fours et autres canapés le vaste sac qu'elle emporte toujours lorsqu'elle est invitée à une réception... mais le jeune marié va assez vite se rendre compte que c'est plus par nécessité que par avarice que la veuve  Guy de Puységur se comporte ainsi. Il est évident que le lieutenant de Faucigny, une fois rendu à la vie civile, va être obligé de trouver un moyen de faire vivre sa famille. Même après le décès de sa belle-mère et même après le mariage du fils unique que Marguerite lui a donné en 1901, la vieille femme de chambre et l'ancienne gouvernante vont continuer à vivre chez lui en plus de la cuisinière nécessaire au service et, après son divorce d'avec Hélène de Montesquiou, son frère Gérard viendra également s'installer chez lui... 

Panneau décoratif de Roga
Imitation laque du Japon - 205 x 210 - Signé
Il se trouve que Rogatien aime la nature, les fleurs et la peinture. Alors,  pour faire vivre tout son petit monde, il va exploiter ses dons en ouvrant un atelier où seront fabriqués des panneaux décoratifs et des meubles de laque peinte... les commandes vont affluer... Rogatien signe ses œuvres de son nom d'artiste Roga ; on peut encore de nos jours acquérir certains des panneaux peints par le prince Rogatien qui refont surface de temps à autre dans les salles de vente.
Différentes illustrations signées par le prince Rogatien peuvent également être trouvées sur le marché. Elles mettent le plus souvent en scène des personnages en vue du tout début du 20e siècle ; on voit ces personnes s'essayer à différents sports, au grand air, à Compiègne où Rogatien possédait une maison.

S'il est possible qu'Henri ait été un exemple pour son neveu Rogatien, n'est il pas envisageable qu'Henri ait également été influencé par un prédécesseur ? Car à dire vrai, il n'est pas le premier artiste de la famille.
Il faudrait alors remonter au grand-père du prince Henri, Charles Amédée de Lucinge né en 1755, l'hyper actif gentilhomme, terrible député de la noblesse de Bresse aux états généraux de 1789 dont les cris et les colères sont restées dans les annales de l'Assemblée.  Marié à la pugnace Judith Bernard de Sassenay qui restera en France et sillonnera tout le pays, pendant des années, pour sauver ou récupérer les biens spoliés, il finira par être obligé de s'exiler avec sa sœur Charlotte et le mari de cette dernière, Louis de Seyturier ; les avoirs des deux familles sont vendus comme biens nationaux à l'exception d'une grande partie de ceux de Judith de Sassenay qu'elle a sauvée en inventant une séparation d'avec Charles Amédée  qui lui a donné une procuration sur toutes ses possessions pour qu'elle les gère au mieux... malheureusement, des châteaux seront irrémédiablement détruits, des forêts ravagées et des cheptels abattus...  Les époux ont cependant pu correspondre mais l'argent que Judith faisait parvenir à son exilé de mari et les pensions qui lui étaient octroyées ne permettait pas vraiment au malheureux de subvenir à ses besoins ; il a  été obligé de trouver un moyen de gagner sa vie... Charles Amédée va alors ouvrir, à Londres, un atelier de... peinture de miniatures... très en vogue à cette époque et va connaître un succès certain... mais Monsieur de Lucinge va se languir de la France et ce ne sera pas de faim qu'il va mourir mais de dépression... Il écrira "... Je vous confie que j'ai de l'émigration par dessus la tête..."


Peintre en miniatures

Peut-être est-il possible de trouver encore aujourd'hui quelques unes de ses réalisations. En tous les cas, si Monsieur de Lucinge ne s'était pas trouvé dans la nécessité de gagner sa vie, il est pratiquement certain que son talent ne serait pas passé à la postérité.

Plusieurs Faucigny des 20e et 21e siècles ont toujours un talent certain pour le dessin et la peinture... Goût particulier développé très tôt lors de l'instruction générale ou  don qui se transmettrait un peu mystérieusement de génération en génération depuis toujours... Qui pourra le dire ?

Catherine Livet
 
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