Le Mont-Blanc vu de Megève | |
C’est vous Aymon qui assurez désormais, avec brio, la responsabilité du Faucigny ; vous êtes particulièrement bien entouré puisque l’un de vos frères, Arducius, est évêque de Genève alors qu’un autre, Ponce, est à la tête de l’abbaye de Sixt que vous avez créée et qui, frontière spirituelle, inviolable, sera toujours épargnée par les guerres et que vos descendants, comme vous, n’oublieront jamais de combler de bienfaits.
Ah Aymon ! Voyez l’admiration portée par Saint-François de Sales à votre frère Ponce qui s’était déjà fait remarquer au monastère d’Abondance pour sa modestie et qui, également, était placé en cette fonction stratégique pour rendre velléitaire la moindre pensée belliqueuse des Savoie envers les Faucigny. Ponce s’est viscéralement attaché à l’abbaye de Sixt, œuvre formidable de toute la famille ; parti au monastère de Grandval dans le diocèse de Besançon, toujours humble, Ponce, peut-être malade, préfèrera rejoindre son havre de paix de Sixt pour y mourir -en 1178 dit-on alors qu’on fixe sa naissance vers 1100- et y être enseveli. Regardez Aymon, le 14 novembre 1620, la foule se presse à Sixt… avec mille précautions, le tombeau de Ponce est ouvert… François de Sales s’approche lentement et, comme il l’aurait fait pour un saint, se penche, et avec dévotion, avec amour même, il prélève des reliques… C’est certainement en remerciements de ce grand émerveillement que François de Sales, devenu saint, est désigné comme Saint-patron de la paroisse de Faucigny. Et oui Aymon, le Faucigny a évolué mais ce changement de patronage n’est donc intervenu qu’après la canonisation en 1665 de François de Sales et votre église, celle qui s’élevait sur une petite hauteur à l’est de votre château avait disparue depuis longtemps et avait été remplacée par une autre édifiée à une centaine de mètres au nord-est et était dédiée à Saint-Hymier dont la dévotion aurait été introduite en Faucigny par des membres de la famille partis guerroyer dans le Jura suisse ou ce saint un peu mystérieux serait né entre la fin du VIe et le VIIIe siècle…Abbaye de Sixt
Bon, concentrons nos esprits sur votre époque et regardons votre frère Arducius, magnifique prince-évêque de Genève ; admirons le, fin diplomate, louvoyant entre le pape Alexandre III et l’antipape plébiscité par l’empereur Frédéric Barberousse dont Arducius a besoin ; apprécions le lorsque, tout en prononçant l’excommunication de ceux qui tentent de se dresser face à votre redoutable famille, il dote généreusement l’abbaye de Sixt en lui accordant, outre la paroisse de Samoëns, la cure de Mont-Saxonnex et les granges de Fillinges et de Châtillon. Il n’est pas le seul à œuvrer pour le bien-être des religieux, vous n’oubliez pas non plus l’abbaye d’Aulps dont votre grand-oncle Guy, alors évêque de Genève avait autorisé la fondation par Humbert de Maurienne : « Moi, Aymon de Faucigny, avec l’approbation de mes frères Rodolphe, Guy, je donne à Guillaume, abbé d’Aulps, et à ses religieux, l’alpe qui s’appelle Evoreya (Avoriaz), avec toutes ses dépendances, champs, prés, etc. et tout le terrain qui est contenu dans ces confins, savoir : depuis Arbroz par l’arête, jusqu’à l’arête de Narcrue, et par l’arête deNarcrue jusqu’aux confins de Nion (Nyon) et depuis les confins de Nion jusqu’à Bornel (probablement un lieu précis du glacier de la Corbassière), de là jusqu’à Lans et tout ce qui est entre Lans et Evorée » Mais certaines querelles ont du surgir puisque votre frère Raymond va faire une nouvelle donation, des mêmes biens, semble-t-il, mais en précisant avec minutie les limites des territoires concédés.
Il faut que je vous avoue que, parfois, je suis surprise par les transactions comme lorsque vous donnez, en 1138, l’alpe de Foron à la chartreuse de Vallon dont les moines, pour vous remercier, vous offrent un cheval de guerre qu’ils ont, spécialement, acheté… Plus tard, vous allez intensifier vos dons et libéralités à ces bons moines qui seront un rempart inviolable de vos terres lorsque vous serez en croisade.
Un des personnages importants dans votre existence est Bernard de Clairvaux, le cistercien omniprésent qui deviendra le grand Saint-Bernard, celui-là même qui n’hésite pas à juger le comportement de votre frère Arducius… tout comme le puissant prince-évêque de Genève, vous le laissez dire… en revanche vous écoutez avec attention ses prêches pour la croisade et, accompagné par vos frères dont Rodolphe qui, bien plus tard, deviendra une pièce majeure pour la continuité de la maison de Faucigny, vous partez pour Constantinople… Amédée de Savoie (de Maurienne) est de la partie et vous avez entraîné avec vous les pieux guerriers de la région comme les Seyssel, les La Chambre, les Miolans et Montbel, ceux de Thoire et de Châtillon etc. et ceux de Blonay, famille dont le nom revient constamment dans l’histoire des Faucigny et qui va être liée à la votre de façon, parfois, très fantaisiste alors qu’en fait le lien familial ne se noue que maintenant, sous votre règne. Comme pour vos prédécesseurs partis pour ce qui est désormais appelé la première croisade, il n’y a aucune trace de vente, d’emprunt ou de mise en gage de l’un de vos biens pour financer votre formidable épopée… pourtant, tous les autres participants ont recours à des financements dont Amédée de Savoie, qui -tout comme votre frère Guy- ne rentrera pas, mais qui avait emprunté à l’abbaye d’Agaune… c’est vous qui allez intervenir en 1150 pour apaiser les conflits au sujet d’une table d’or prêtée par cette abbaye au défunt Amédée de Savoie.
Prise de la croix - Louis VII (neveu d'Amédée de Savoie) et Bernard de Clairvaux
Le Reposoir |
« Moi, Aymon de Faucigny, je désire depuis longtemps et ardemment l’établissement d’une maison de chartreux dans mes domaines. Pour arriver à cette fin, je ne me suis épargné aucune peine. J’ai multiplié auprès des Supérieurs de l’Ordre, mes démarches et mes prières, auxquelles j’ai associé mes amis. Aujourd’hui, par la grâce de Dieu qui regarde les bons désirs des cœurs et les accomplit, je touche enfin au but de mes efforts ! Je donne à l’Ordre des Chartreux, en possession entière et perpétuelle, avec pleine exemption de toutes charges et servitudes, la vallée dite de Béol, qui s’ouvre au nord-est sur le bassin de l’Arve. Donation à laquelle j’entends que soient attachés au bénéfice des Chartreux tel et tel privilèges… Je leur ai fait toutes ses faveurs afin qu’ils ne soient aucunement empêchés dans leurs saintes coutumes et manières de vivre, et que Dieu tout puissant fasse miséricorde à mon âme, ainsi qu’à toute ma descendance et succession. »
Petit-neveu, neveu et frère d’évêques et du Bienheureux Ponce, Croisé en 1147, fondateur et bienfaiteur d’abbayes et de monastère… vous avez hérité du surnom, qui s’en étonnerait, de « le Pieux ». Ceci dit, je ne sais pas si vos contemporains vous appelaient ainsi… Bien entendu, je ne mettrai pas en doute le fait que vous l’ayez été et jamais je n’oserai contester votre dévotion mais je ne perds pas de vue que vous êtes avant tout un formidable conquérant, souverain absolu plus que dynaste de votre vaste pays, stratège hors pair autant que subtil négociateur… Alors… prenons l’exemple de Bellevaux, cette « Belle Vallée » avec sa « Pointe de l’aigle » qui gardera le nom de « Roc d’Enfer », vallée du Brevon dont vous partagez les droits avec des familles de l’actuel Chablais qui, en 1136, avaient installé des Bénédictins… dès 1137, vous établissez sur vos domaines, en pendant, une communauté qui va donner naissance à la chartreuse du Vallon… Dois-je penser et dire que vous avez agi par pur altruisme ou par pure stratégie ?
Roc d'Enfer |
Mais il suffit de parler d’hommes car, enfin, les femmes laissent des traces dans l’histoire du Faucigny à commencer par votre épouse qui est une princesse de Briançon ; votre mariage avec Clémence est-il le prélude du formidable rapprochement entre la maison d’Albon et les souverains du Faucigny qui n’aura pourtant lieu que dans plusieurs générations ? Vos filles ensuite vont laisser quelques éléments de vie dont Aleïde (Aleyde, Adelaïde) qui semble être née vers 1157 et qui fonde une maison de recluses proche de Sixt, à quelques encablures du monastère de son oncle Ponce, dans un lieu scabreux où seuls les cailloux sortent de terre, qu’elle appelle Salmorié… Les moniales vont beaucoup souffrir et, malades, vont être installées sous des cieux plus cléments, dans la vallée de Châtillon où votre puissante famille va veiller sur elles, de génération en génération jusqu’à Béatrice, la future grande-dauphine, qui installera les religieuses au monastère de Mélan qu’elle fondera en 1292. Et surtout, il faut évoquer Belon qui va être mariée à Guillaume de Blonay, représentant de cette famille, évoquée plusieurs fois déjà, dont le nom revient sans cesse dans certaines histoires, parfois très fantaisistes pour ne pas dire invraisemblables, du Faucigny qui sont pourtant toujours véhiculées. Mais il va falloir attendre quelques décennies pour pouvoir tout savoir des liens réels entre les Faucigny et les Blonay.
Votre vie bien remplie paraît fort courte puisque votre départ définitif de la terre est généralement fixé vers 1168, votre fils et successeur est mineur et ne règnera donc pas seul… il disparaîtra très rapidement au profit de son frère dont l’histoire va vous faire frémir et froncer les sourcils mais, ne craignez rien… il va se souvenir qu’il est un Faucigny et adapter son comportement pour s’inscrire dans la continuité de ses ancêtres…
Ah oui Aymon ! C’est sûr, j’aimerai bien parler avec vous de la « Montagne Maudite » mais il nous faudrait encore passer des heures ensemble car tout ce que nous savons à votre sujet concernant ce lieu magnifique et unique au Monde repose sur une donation faite par Aymon de Genève aux Bénédictins de Saint-Michel de la Cluse afin que les moines fondent le prieuré de Chamonix… il y a tant à dire sur ce document, soit disant daté de 1091 –date qui ne peut absolument pas être validée-, rédaction lapidaire qui ne cite même pas le nom de Faucigny… mais là encore, il faudra attendre le 13e siècle pour avoir quelques sérieuses pistes pour tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé.
En parlant du Mont-Blanc, Aymon, regardez sur terre, il est l’heure de mon rendez-vous, mes amis contemporains arrivent, il faut vite que mon esprit regagne mon corps pour que je puisse me joindre à eux.
Catherine Livet
Ce texte est écrit dans le cadre du #RDVAncestral, ouvert à tous ; il est la suite de “Princes et Evêques”
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