Soldat anonyme d'un bataillon d'Afrique |
Te
voici devant moi Jules Télémaque, fils de Jules Edmond Télémaque Rahïr, le
grand voyageur que
j’ai eu un peu de mal à suivre. J’ai fait un grand
déplacement pour aller rejoindre ton père en Indochine, mais je n’ai pas encore
de visa pour aller voir ce qu’il faisait aux Amériques.
Je pense que tu ne verras aucun inconvénient à ce que je t’appelle Télémaque
bien qu’il soit presque sûr que ton prénom usuel, comme ton père, était Jules.
Sont-ce les récits des lointaines expéditions de ton père qui ont bercés ton enfance qui ont ainsi décidé de ta destinée ?
Un moment, j’ai renoncé à
te chercher tant ton père avait d’adresses à travers le monde pourtant, c’est à
Paris qu’il a épousé Léontine Berger celle qui, le 19 mai 1892, t’a donné le
jour.
Je ne sais rien de ton enfance car je ne te retrouve que bien plus tard… L’année
de tes 20 ans, j’ai pensé te trouver au cœur de la capitale, chez tes parents, mais non… et personne ne savait la date de ton retour. Alors, j’ai consulté ta
fiche matricule… un vrai roman !
Tu commences ton service militaire par une interruption de services du 09 au 23 octobre 1913. Il faut reconnaître que tu as une sérieuse excuse puisque tu es retenu, contre ton gré, à la prison de Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques. Mais qu’es-tu allé faire à Pau ? J’en apprends de belles : ce n’est pas ton premier séjour en prison ! Oh, loin de là ! Mais combien de geôles as-tu connues ?
Tu as écopé de quelques jours de prison le 23 septembre 1910 à Evreux pour vagabondage. Comme tes juges, je te pose la question : Que faisais-tu à Evreux en septembre 1910 ? Puis, tu te retrouves embastillé pendant un mois à Caen, pour le même motif. Bientôt, le vagabondage ne sera plus le seul de tes délits et dès le début de l’année 1911, tu vas te livrer à des vols et tu seras également condamné pour rébellion. Partout où tu passes, au Havre, à Rouen… tu séjournes quelques mois en prison. Bon, celle de Rouen ne semble pas te plaire et, après 13 mois de mitard en ces lieux, tu préfères aller traîner tes guêtres sous d’autres cieux et tu vagabondes plus au sud… Une petite halte d’un mois t’est offerte, le 12 novembre 1911, par le tribunal de Lesparres en Gironde puis, tu reprends ton bâton de pèlerin… Mais marcher ainsi sans but donne soir et ouvre l’appétit et il semble qu’il y a longtemps que tu as consommé ton pécule… si tu en avais un… en tous les cas, tes poches sont vides et te voici, en cette fin d’année 1912, condamné à un mois de prison pour grivèlerie… La prison de Bordeaux n’est pas à ton goût et tu te dis que, tout compte fait, tu étais mieux plus au nord et puis, tu commences à être fatigué alors, tu vas prendre le train… C’est ballot, tu as oublié de payer ton billet… ce qui te vaudras d’être condamné par le tribunal de Rouen, le 11 février 1913, à une amende de 25 F. Bon, comme je ne vois pas comment tu peux payer une telle somme, je t’imagine prendre la poudre d’escampette… As-tu tiré une leçon de toutes tes condamnations ? Tu ne voles plus, tu fais la quête auprès des passants pour qu’ils te gratifient de quelques sous… Ah ! Pas de chance ! La mendicité est aussi un délit, réprimé comme le vol et le tribunal de Pau t’expédie au cachot pour 6 mois à partir du 31 mai 1913.
Tes vagabondages vont prendre
fin car, pendant tes pérégrinations, le gouverneur militaire de Paris a décidé
de t’offrir un voyage clé en main… ton billet est pris en charge et tu vas même
être blanchi, logé et nourri… Tu es affecté à un Bataillon d’Infanterie Légère
d’Afrique.
Oust ! Embarquement immédiat !
Dès ta sortie de la prison de Pau, le 23 octobre 1913, tu es dirigé sur le 4e
Bataillon d’Infanterie Légère d’Afrique, le fameux BILA, réservé aux mauvais
garçons, comme toi, aux têtes brûlées... enfin, aux paumés, aux malchanceux et aux marginaux, comme toi.
Enfin, lorsque tu y arrives, certaines pratiques un peu barbares sont plus ou moins abandonnées et tu ne vas pas connaître, et personne ne peut le regretter, les horreurs que mon terrible arrière-grand-père aura subies lorsque lui aussi, mais bien avant toi, aura été expédié apprendre les bonnes manières en Afrique.
Abreuvoir sur le Oum-er-Rebia à Khénifra - 1916 |
déplaire, on t’expédie à Souk-El-Arba à partir du 02 mai 1914. Tu participes donc sûrement aux opérations dans la région d’El Hajeb et d’Agourai ainsi qu’à celles d’Ifra, et de Tigrira. La bravoure du 2e BILA est incontestable et, à la déclaration de la Première Guerre Mondiale, il est rattaché à la subdivision de Meknès et te voilà une nouvelle fois en route pour visiter du pays… Les paysages d’El-Hajed, Khénifra et l’Oum-er-Rebia etc. défilent sous tes yeux. Tu es vraiment à la noce dans ce régiment qui te permet d’étancher ta soif de voyages car, au sein du 5e BILA, tu vas découvrir l’Algérie…
Mais, ce n’est pas possible ! Il y a une interruption de tes services du 08 novembre 1915 au 08 septembre 1916 ! Avais-tu tellement envie de visiter la prison militaire d’Alger ? Le conseil de guerre t’a condamné à un an de prison et 50 F d’amende pour bris de clôture du 08 novembre 1915 mais tu as droit, par décret du 07 juillet 1916, à une remise de peine de deux mois.
Tes itinérances dans l’Afrique
du Nord vont se poursuivre, notamment en Tunisie, jusqu’au 15 juillet 1918 où
tu es dirigé vers le 1er BILA, au sein de l’unité combattante de l’Armée
française, le 21 août où tu es affecté à la 4e compagnie. Tu es de
retour dans l’hexagone ! Te voilà aux abords du canal de l’Aisne et, en ce
tout début du mois d’octobre 1918, ça barde… le 03 de ce mois froid et
pluvieux, un méchant éclat d’obus pénètre profondément dans ta cuisse gauche…
As-tu signalé ta blessure ? La plaie s’est infectée, tu ne peux plus
marcher… tu n’es évacué que trois jours plus tard et ton état nécessitant
quelques soins sérieux, tu es envoyé te refaire une santé à la caserne de la
poudrerie du Bouchet en Seine et Oise puis, après une période où je ne sais pas
où tu te trouves tu dois retourner en Algérie où tu te trouves le 14 février
1919… et voilà… une nouvelle interruption de tes services… Il faut dire que tu
n’avais pas encore visité la prison militaire d’Oran… Tu viens d’écoper d’une
peine d’un an de prison pour outrage et voies de faits envers un supérieur en
dehors du service… Caserne de la poudrerie du Bouchet - Ballancourt Seine et Oise
Bon, tu finis tout de
même par être mis en congé illimité de démobilisation le 07 novembre 1919, il n’est
pas besoin que je précise que le certificat de bonne conduite ne t’est pas
accordé.
Tu regagnes donc la capitale où tu t’installes, un temps, au numéro 84 du
faubourg Saint-Martin dans le 10e arrondissement… mais tes vieux
démons vont te rattraper et c’est à Mirecourt, dans les Vosges que je te
retrouve… au tribunal où le juge, le 21 septembre 1921, te condamne à 15 jours
de prison et à 16 F d’amende pour coups et blessures… une nouvelle fois, tu vas
bénéficier d’une remise de peine, selon la loi du 03 janvier 1925.
Je dois te confesser Télémaque Rahïr que je n’ai guère de sympathie pour toi et, même si je me trompe, je pense qu’au mieux, tu étais un peu dérangé… Et puis, Télémaque, je sais maintenant que tu as un frère… je pense que cela ne veut pas dire beaucoup pour toi… surtout que sa vie semble très différente de la tienne. Je t’ai abandonné après cette condamnation pour coups et blessures ; je sais juste qu’ensuite on peut te retrouver 02 quai de la Marne à Chelles en Seine-et-Marne en 1930 et que tu décèderas à Nanterre dans les Hauts-de-Seine à l’âge très honorable, compte tenu de ta vie, de 74 ans.
Il faut que je réfléchisse à notre échange et pour le faire, je pense qu’il va falloir que j’entre en contact avec l’esprit de Marcel Léon Télémaque Rahïr, ton jeune frère. Mais pour ne rien oublier de nos échanges d’aujourd’hui, il faut sans tarder que mon esprit regagne mon corps afin que ce dernier puisse les matérialiser.
Catherine Livet
Vous aussi vous pouvez participer. N'hésitez pas à nous rejoindre. Petit à petit, ensemble, nous écrirons notre histoire familiale.
A chacun son "tour du monde" ... de cachots en cachots est plutôt inédit pour "voir du pays" mais seule compte l'ivresse du dépaysement ... Un ancêtre un peu borderline mais néanmoins intéressant à suivre
RépondreSupprimerOui, on voyage comme on peut... Au moins, je ne me suis pas ennuyée avec lui.
SupprimerMerci pour le commentaire
Quelle famille. La bougeotte !
RépondreSupprimerHâte de lire l'histoire du jeune frère.
C'est vrai : quelle famille ! Elle a l'avantage de me faire beaucoup écrire. Merci pour le commentaire.
SupprimerA la fois on peut se laisser rêver à l existence de ces bataillons où on a parfois envie d expédier certains de nos sauvageons et "en même temps " tu nous demontres que la sanction n est nullement dissuasive.
RépondreSupprimerC'est le problème, je ne tombe que sur des têtus qui ne rentre pas dans le rang même après avoir vécu pendant plusieurs années dans ces bataillons... mais ce ne sont que des cas particuliers.
SupprimerCertains individus sont malheureusement irrécupérables...
RépondreSupprimerJe pense qu'il avait effectivement quelques problèmes.
SupprimerDu caractère c'est certain
RépondreSupprimerUne vraie tête de bois !
SupprimerMerci Fanny