samedi 18 septembre 2021

#RDVAncestral Thérèse Neuhaüs sort de l'oubli

Nous y sommes, le 3e samedi du mois est revenu. C’est un rite immuable, ce samedi qui revient chaque mois  est pourtant si particulier car c’est celui du #RDVAncestral, ce rendez-vous que je n’ai jamais manqué depuis qu’il m’a été fixé il y a maintenant plusieurs années. C’est la liberté totale, celle où les corps, les tracas et les aléas de la vie n’existent plus pendant que mon esprit vagabonde à sa guise et rencontre celui de tel ou tel de mes ancêtres ou de leurs parents. C’est curieux mais, depuis quelque temps, il rencontre plus souvent des esprits de femmes, sans doute pour tenter d’établir une certaine équité car souvent, elles ne sont présentes dans mes arbres généalogiques que pour leur rôle de mère et restent discrètes dans tous les autres domaines…

Bonjour Thérèse. Bien que vous soyez la mère de la très chère « Maman Emilie » de mon père, vous êtes restée très longtemps une inconnue pour moi. Il faut dire que votre acte de mariage avec mon arrière-arrière-grand-père, Charles Edouard Chalvet, était introuvable… J’ai longtemps pensé que je n’avais pas bien cherché jusqu’à ce qu’une lointaine cousine me dise qu’elle avait le même problème. Et puis, un jour, un registre perdu a été retrouvé et, presque simultanément, ma cousine et moi, avons découvert la date et le lieu des deux publications de votre mariage. Vous n’étiez pourtant pas loin, dans le 5e arrondissement parisien…

C’est au début de l’année 1875 que votre mariage a été décidé. Mais avant de retrouver l’acte de votre union, je savais tout de même votre nom et que vous étiez venue vous installer avec Charles Edouard, 6 rue des Lavandières entre le 03 et le 30 mai 1872. Comment le sais-je ?

Le 03 mai 1872, vous avez souffert le martyre mais cela était nécessaire car vous avez mis au monde un petit être brayard que vous avez appelé Thérèse Marie. C’est dans le 6e arrondissement, à l’école de médecine, que vous avez enfanté dans la douleur. Vous habitiez alors 8 rue des Coutures Saint-Gervais dans le 3e arrondissement  et vous avez été la seule à reconnaître cette enfant le 30 mai suivant ; cette démarche a été effectuée à la mairie du 5e arrondissement et vous habitiez alors… 6 rue des Lavandières. Malheureusement, la fillette n’a pas réussi à s’adapter à la dure vie terrestre et elle vous a quittée, à la même adresse, le 03 septembre 1873. Mais avant ce départ précipité, également au 21 rue de l’école de Médecine, est arrivé un deuxième enfant. Même si ce bébé est né de père non nommé le 08 juillet 1873, Charles Edouard Chalvet est venu reconnaître l’enfant comme sa fille prénommée Louise, tout comme vous d’ailleurs, le 10 novembre suivant. Il faut que je vous dise Thérèse que dans plus de huit décennies, la plus jeune de vos petites-filles, née du mariage de votre fille Louise, deviendra ma marraine. Puis, dans les mêmes circonstances, naît, au tout début de l’année 1875, la petite Marie.

C’est donc à cette époque que vous convolez en justes noces, le 20 février 1875 avec mon futur arrière-arrière-grand-père qui, depuis qu’il travaille, est doreur sur tranche. Vous ne pouvez pas imaginer comme j’ai été contente de pouvoir lire votre acte de mariage. Vous m’aviez tant fait languir que je me serais contentée de bien moins mais ma persévérance a été récompensée au centuple car toute votre généalogie était précisée. A dire vrai, ce n’est pas bien de ma part d’afficher une telle joie à ce sujet car si cet acte fourmille de renseignements à votre sujet c’est parce que vous étiez orpheline de père et de mère. Voici ce que j’ai appris.

Vous êtes née le 29 juillet 1848 à Paris. Votre père, Edmé Antoine Auguste Neuhaüs est décédé le 13 juillet 1856 à Paris. Il était le fils d’Auguste Marie Edmé qui est décédé le 1er avril 1855 à Saint-Denis en Seine-Saint-Denis. En revanche, l’épouse de ce dernier, votre grand-mère paternelle, Louise Angélique Antoinette Aumont, est bien vivante lors de votre mariage, elle est rentière à Saint-Denis et est même à vos côtés pour donner son consentement à votre union.

Votre mère, Thérèse Karrer, est décédée depuis le 1er avril 1865 à Paris, son père, Joseph Antoine, est décédée le 31 mars 1862 à Colmar dans le Haut-Rhin et sa veuve, votre grand-mère maternelle, Thérèse Wittmer, qui habite toujours Colmar, vous a fait parvenir son consentement à votre mariage.

C’est incroyable comme le prénom de Thérèse semble être important pour les femmes de votre branche ! Saurais-je un jour pourquoi ?

Il y a aussi quelques précisions sur votre patronyme dont toutes les orthographes autres que celle de Neuhaüs doivent être regardées comme fantaisistes pourtant, vous ne faites pas figurer le tréma sur votre signature, tout comme votre grand-mère.

 

J’aimerais tant savoir Thérèse si vous avez vu une intervention divine dans l’éclipse de soleil partielle qui est survenue l’année de votre mariage, le 29 septembre. J’aime m’attarder à regarder l’illustration de ce phénomène ; nous sommes au Pont-Neuf, à deux pas de chez vous, et je me dis que, peut-être, vous êtes là, tournée vers le soleil et je vois les rues que vous avez empruntées, la diligence dans laquelle vous avez pris place, les trottoirs sur lesquels vous avez usé vos semelles, le pont que vous franchissiez sans doute fréquemment et je vois l’éclairage et les habitations, les devantures des boutiques. Et aussi, je dois bien vous l’avouer Thérèse, je suis étonnée par l’avancée de la science au sujet de ce phénomène naturel car, des communiqués ont été faits pour l’expliquer à la population comme le montre le schéma scientifique qui figure juste à côté de la représentation de l’éclipse.

Après ce grand événement, le temps s’est écoulé et enfin, un garçon vous a été offert. Contrairement à ses sœurs, il est né à votre domicile du 6 rue des Lavandières. Emile Marie pousse son premier cri le 05 janvier 1879 ; il deviendra un beau jeune homme, bien sain et bien instruit. Il aura la grande chance de travailler dans le secteur du livre et, deviendra relieur… ce sera le début d’une grande spécialité de la famille mais avant cela, après tant d’années passées au 6 rue des Lavandières dans le 5e arrondissement de Paris, vous allez déménager ; il faut dire que le quartier change, les maisons des n° 5, 7, 9, 11 à 14 et 16 et 18 ont été détruites en 1861 et d'autres démolitions font totalement disparaître les immeubles numérotés 1, 3 et 10 en 1866. Vous vivez en fait dans un gigantesque chantier permanent, le quartier de la Sorbonne est en pleine rénovation et il est évident que tous les immeubles de la rue vont être expropriés et, même si vous savez alors que la maison où vous habitez ne sera détruite que plus tard - elle le sera en 1888 -,  vous quittez la rue des Lavandières, si proche de la Seine mais, vous semblez conserver votre activité de blanchisseuse pourtant si liée à votre ancienne rue.
Votre petite famille va radicalement changer de quartier pour s’installer dans le 14e arrondissement de la capitale où la plus jeune de vos filles va naître et grandir puis, va donner naissance à sa fille qui va également devenir une femme dans ce même quartier et donner naissance, à son tour, à un fils qui va aller à l’école, grandir et devenir père, toujours au même endroit, dans notre village du 14e où, à mon tour, je vais naître et grandir…
Mais, lorsque j’imagine le déroulement de toutes ces années qui se sont écoulées entre votre vie et ma venue au monde, je me demande si le hasard existe. A deux pas du 06 de la rue des Lavandières, il y avait la rue Galande où habitait, à la même époque que vous, une autre Thérèse qui deviendra la mère de mon futur arrière-grand-père, Noé Livet car c'est lui qui deviendra le mari de votre fille Emilie, la dernière de vos enfants. Connaissiez-vous la famille Livet à cette époque ? Je pense que oui même si aucun souvenir n'est parvenu jusqu'à moi à ce sujet. Comment pourrait-il en être autrement ? La photo ci-contre nous montre l'étroite rue des Lavandières, on aperçoit la lumière qui la pénètre pourtant grâce aux premières démolitions ; elle a été prise par Charles Marville vers 1866 qui, pour se faire, s'était installé sur la place Maubert, au croisement de la rue des Lavandières et de la rue Galande : la boutique du marchand de vins à droite de la photo est située au n° 1 de la rue Galande, elle fait l'angle avec le n° 2 de la rue des Lavandières ; la boutique d'en face, bien éclairée, ouvre sur la place Maubert.

Vous ne verrez pas le mariage de vos enfants et vous échapperez à la douleur de devoir porter votre fils en terre car le malheureux va être victime d’un terrible accident de voiture à bras, sans doute trop chargée, et il  va décéder, le 22 août 1900 à l’hôpital de l’hôtel Dieu où il a été conduit. Cette tragédie marquera si durablement la famille qu’elle sera racontée de génération en génération jusqu’à moi.

Mais vous, pourquoi êtes-vous partie si tôt ? Déjà usée par la vie, malade ou peut-être blessée, vous avez été conduite à l’hôpital Broussais dont vous ne sortirez pas. Vous décédez le 21 octobre 1891 dans cet établissement situé dans le 14e arrondissement. Vous étiez toujours blanchisseuse, habitiez 127 bis rue de l’Ouest dans ce même arrondissement et vous n’aviez que 43 ans.

J’ai un regret vous concernant. Vous êtes la seule de mes ascendantes de cette époque dont je ne possède pas une photo. J’en ai plusieurs de Thérèse Livet, beaucoup de votre fille Emilie et de sa sœur Louise, quelques-unes de votre fille Marie et de votre fils Emile et même une de votre époux Charles  Edouard Chalvet où il figure entouré de trois de vos enfants. A chaque fois que je la regarde, je déplore votre absence. J’aime beaucoup ce cliché, regardez, le voici : coiffé d'une casquette, votre époux, Charles Edouard Chalvet ; assis à ses côtés votre fils Emile, juste derrière lui, une main posée sur son épaule droite, Emilie, la benjamine. Lorsque votre mari les abandonnera pour vous rejoindre en 1898, vos deux plus jeunes enfants continueront à habiter dans votre appartement du 39 rue de Plaisance et puis Emilie, autorisée par le conseil de famille, épousera Noé Livet et puis, Emile se brisera les os dans cet accident de voiture à bras mortel. La dernière personne sur cette photo est votre fille Marie. L'une de vos filles a-t-elle hérité de vos traits ?

Je vous laisse Thérèse. Il faut que mon esprit rejoigne mon enveloppe terrestre. J’ai une tâche à accomplir impérativement dans la journée, celle de mettre par écrit notre improbable rencontre. 

Catherine Livet

Ce texte a été écrit dans le cadre du #RDVAncestral. Vous êtes chaleureusement invité à participer à cette rencontre.


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Sources/Bibliographie

  • archives privées
  • archives de Paris
  • archives du Haut-Rhin
  • les chroniques météo
  • les albums de Charles Marville
  • Livre des Chalvet par Catherine Livet
  • Livre des Livet par Catherine Livet


 

6 commentaires:

  1. Nous aussi nous avons vécu une éclipse solaire et nous aussi avons eu droit à un cours d'astrologie collectif !

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  2. Une fois de plus, mais c'est normal, je garde le texte comme un modèle, tout y est à sa juste place et dans les bonnes proportions.

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  3. Très beau récit. J'aime bien la formule choisie de s'adresser à la personne directement. A retenir comme idée pour mes futures narrations.

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    1. Merci anonyme. Oui, s'adresser à une personne permet de créer un lien.

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