Il est sept heures du matin. Avant d'embaucher chez l'un de ses patrons, François Joseph Godin doit absolument se rendre à la mairie du village de Sebourg dans le département du Nord de la France. Joseph vient déclarer que, la veille, le 1er juillet 1846, en sa maison, Euphroisine Monard, sa femme qui est fileuse, a mis au monde une fille ; les oncles maternels du bébé, Jean-Baptiste, ménager de 35 ans et Pierre Joseph, valet de charrue de 33 ans, tous les deux voisins de la famille Godin, confirment que le nouveau-né est sorti du sein de sa mère à 9 heures du soir.
L'été s'annonce particulièrement chaud et beau dans cette belle province du Hainaut et les fleurs égaient chemins et prairies. Est-ce à cette ambiance estivale que la fille de Joseph doit ses prénoms de Flore Félicie ?
A son arrivée dans la maisonnée, elle est accueillie par Jean-Baptiste qui a fait son entrée dans la vie le 24 janvier 1844 et puis, le 29 mars 1848, François Joseph Druon est venu les rejoindre. Les trois enfants auraient bien aimé jouer plus longtemps avec Matthieu qui, le 10 mars 1851 est venu faire un petit séjour sur terre mais, sans doute déçu par la difficulté de vivre, est parti pour d'autres cieux le 07 février 1852.
Le troisième prénom de Druon porté par le jeune frère de Flore, pas très courant de manière générale, est
assez souvent donné dans la région et surtout à Sebourg dont l'élégante église, classée aux monuments historiques ainsi que plusieurs pièces de mobilier qu'elle renferme, est souvent appelée église de Saint-Druon parce que les reliques du saint y sont conservées depuis sa mort survenue le 16 avril 1189. L'ermite avait passé ses dernières années en prières solitaires dans une cellule qui est aujourd'hui figurée par une resserre près du cœur de l'église ou se trouve le gisant du saint ; le gisant de Henri, sire de Sebourg, le fils de Baudoin, comte de Hainaut ainsi que celui de son épouse Allis sont également visibles, avec d'autres pièces très riches d'histoire, dans l'église.
Rue de l'église et haut clocher - Sebourg, province du Hainaut |
Entre l'église et la mairie, les jeux et les corvées, la vie s'écoule cahin-caha pour la fillette et ses frères jusqu'à ce que le destin décide d'en changer le cours. Euphroisine, la mère, malade ou victime d'un accident, décède âgée de seulement 48 ans, le 03 octobre 1857, au domicile familial ; le frère, Pierre Joseph Monard, et l'époux de la défunte sont dits ouvriers lorsqu'ils viennent faire la triste déclaration à la mairie du village.
Malgré toutes les vicissitudes de leur vie, il semblerait que le père de famille, Joseph, tire plutôt bien son épingle du jeu et qu'il sache profiter du fantastique essor économique favorisé par le développement du chemin de fer en tous les cas, il réussit à s'établir comme cultivateur.
Mais encore une fois, l'implacable destin va venir briser le bel élan du malheureux qui décède le 24 avril 1862 au lieu appelé Le Bois sur le territoire de Sebourg.
Jean Baptiste Monard, l'incontournable beau-frère du décédé, se rend à la mairie mais la nouveauté, est que l'homme qui l'assiste pour faire la triste déclaration est le jeune frère de Joseph, il se prénomme Pierre, il est âgé de 52 ans, est cultivateur comme son défunt frère, habite dans le voisinage mais... de l'autre côté de la frontière, dans le village belge de Roisin où les deux frères sont nés de Jean-Baptiste et de Rosalie Colmant ; l'Histoire a fait que l'un est devenu Belge pendant que l'autre était Français.
Lorsqu'elle se retrouve ainsi complètement orpheline, Flore est ouvrière. Elle a donc des revenus et, au même titre que ses frères, elle est ayant droit de son père ; les oncles, tant maternels que paternels, semblent très présents, le village doit comporter moins de 2 000 habitants, tout le monde se connaît... la vie de la fratrie Godin semble donc pouvoir poursuivre son cours sans trop de difficultés matérielles supplémentaires liées au décès de leur père.
Quelques années passent ainsi jusqu'à ce qu'il soit temps pour Flore de penser au mariage. Il n'y a pas besoin de chercher bien loin car au cœur de Sebourg, vit celui qu'elle va accepter de prendre pour mari. Il s'appelle Alexis Leferme et elle le connaît depuis toujours puisqu'il est né le 1er décembre 1841 d'Alexis Célestin et de Virginie Audubert qui sont implantés depuis très longtemps à Sebourg.
Un contrat de mariage a été préalablement signé, le 07 juillet 1867 chez maître Lustremand, notaire à Jenlain, le village voisin et tout est donc en ordre lorsque le couple se présente devant Monsieur le maire le 15 suivant.
La future est assistée par ses oncles Jean-Baptiste et Pierre Joseph Monard ; un oncle maternel, François Audubert, est aux côtés du futur ainsi qu'un ami de ce dernier, Jean-Baptiste Hot, cabaretier de 68 ans ; seuls ces deux derniers témoins apposent leur signature dans le bas de l'acte de mariage de Flore avec Alexis.
Un peu moins d'un an après le mariage, il est évident que la taille jusqu'alors juvénile de Flore commence à s'épaissir... à n'en pas douter, elle porte le fruit de son union avec Alexis... quelques mois encore et il faut bien reconnaître que la pauvre Flore est devenue énorme... elle a du mal à se mouvoir tant son volumineux ventre est lourd et l'empêche même de voir où elle pose les pieds... Les langues des commères vont bon train, les paris sont ouverts... Pour sûr, ce n'est pas un mais deux petits que la Flore tient au chaud... tout le village en est persuadé maintenant... on ne dit rien mais on commence sérieusement à penser que l'accouchement va être à hauts risques...
Et puis, ce 08 septembre 1868, Flore a poussé un petit cri d'effroi lorsqu'elle a senti un liquide tiède lui couler le long des jambes... sans attendre, les douleurs ont fait leur apparition, d'abord diffuses, les
contractions sont devenues évidentes puis, au fur et à mesure qu'elles
se rapprochaient l'une de l'autre, montait leur intensité... Les matrones ont brusquement abandonné leur ouvrage, elles sont arrivées prestement à la rescousse, elles ont pratiquement porté la jeune femme en sa demeure et ont pris soin d'elle tout en ayant pensé à envoyer quérir la sage-femme... Elles en étaient sûres les voisines, le travail était commencé et il n'allait pas être facile... rien ne voulait sortir malgré les douleurs... Elles se signent et elles prient tout en tenant l'eau au chaud et les linges propres... on lui tamponne les tempes avec de l'eau fraîche pour tenter de la soulager un peu la Flore, faudrait pas qu'elle attrape une fièvre... on lui tapote l'épaule ou on lui presse la main crispée sur le drap pour l'encourager au passage mais on a du mal à trouver les mots de réconfort... Ce n'est jamais une partie de plaisir qu'un accouchement mais là, ça va mal, ça ne se présente vraiment pas bien, c'est pas habituel... de mémoire de femmes, on n'a pas encore connu une situation pareille... C'est long, c'est beaucoup trop long... des heures et des heures que la Flore est dans les douleurs... Alexis et son père ainsi que les oncles de Flore se rongent les sangs... on les rembarrent sans ménagement lorsqu'ils font mine de vouloir se mêler de l'affaire... il faut dire que tout le monde est à cran... on se relaie toute la nuit au chevet de la Flore... faudrait pas qu'elle flanche... et puis la sage-femme qui somnolait un peu sursaute, elle se précipite vers le lit où Flore qui vient d'étouffer un cri se tord de douleurs... encore quelques minutes et l'accoucheuse tire délicatement à elle un minuscule bébé qu'elle dit être de sexe masculin, il est 7 heures du matin lorsqu'elle coupe le cordon ombilical et passe le nouveau-né à une comparse qui s'empresse de le frictionner et de l'emmailloter bien serré...
Mais la délivrance ne suit pas... Flore est toujours dans les affres de l'enfantement... Elles avaient vu juste les femmes du village, Flore mûrissait des jumeaux... le temps passe, il s'écoule si lentement, si douloureusement pendant que le bébé tente de se frayer laborieusement un passage vers la vie en bousculant les entrailles et en déchirant les chairs de la parturiente... on retient son souffle... on a mal pour la malheureuse... il y a déjà deux heures que le premier est sorti lorsqu'enfin, Flore arrive à expulser le suivant... il est peut-être encore plus petit que son aîné et la sage-femme le reconnaît également de sexe masculin... Une accalmie permet au cœur de Flore, qui a cru mourir, de se calmer un peu et puis, une demi-heure après la seconde naissance, les contractions reprennent... les sourires commencent à renaître sur les visages des femmes... c'est la délivrance... enfin ! Oh mon Dieu non ! pensent-elles toutes en même temps... ce n'est pas le placenta qui quitte Flore mais un troisième enfant que la sage-femme vient de recueillir... il est sans vie...
Le père des jumeaux attend le début d'après-midi pour aller faire les déclarations. La première naissance est enregistrée à deux heures du soir, Alexis nomme le bébé Eloi Joseph ; le grand-père du nouveau-né, Alexis Célestin Leferme et l'incontournable Pierre Joseph Monard, oncle maternel de Flore, sont venus aider le jeune père sans doute un peu débordé par la tâche. La seconde naissance est enregistrée dans la foulée de la première, l'enfant est nommé François Alexis.
Et puis, peut-être parce qu'ils ne savaient pas ce qu'il fallait faire dans le cas d'un enfant mort-né, Alexis et son père retournent à la mairie à 6 heures du soir pour faire cette sinistre déclaration.
Les jumeaux survivants sont bien fragiles, surtout le second, François Alexis, qui décède peu de temps après que sa naissance ait été inscrite sur le registre d'état civil de Sebourg... son éphémère vie n'aura duré qu'environ 5 heures mais père et grand-père attendront le lendemain pour faire la déclaration de décès.
Tous les soins alors possibles sont apportés à Eloi Joseph mais il est bien maigrichon, bien faible et son âme minuscule quitte le petit corps le 14 septembre suivant à 6 heures du matin... après une vie de moins de cinq jours...
Jeune, saine et robuste, Flore va se refaire une santé et sortir vive de cette terrible épreuve ; elle ne va pas s’arrêter à ce coup d'essai raté et va donner la vie à neuf autres enfants qui, à part la dernière née qui décédera à l'age de 10 mois, atteindront l'âge adulte et se marieront.
Alexis la laissera veuve le 27 août 1897, jour où il décède, chez eux, durant la nuit, Pavé du Gouvoi à Sebourg. Flore lui survivra jusqu'au 03 janvier 1914 et quittera la terre âgée de 68 ans ; ce seront deux de ses fils, Henri et Louis qui s'occuperont de faire la déclaration de décès... il faut croire que l'école n'était pas une grande priorité de Sebourg car les jeunes hommes, alors que nous sommes au 20e siècle sont incapables de signer le registre de l'état civil.
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une très belle histoire poignante bravo
RépondreSupprimerMerci beaucoup
SupprimerMerci beaucoup !
SupprimerMerci beaucoup !
SupprimerTrès belle histoire
RépondreSupprimerMerci beaucoup
RépondreSupprimerBelle histoire bien raconter... nous sommes nombreux à avoir ce genre d histoire dans nos ancêtres... c est donc bien intéressant. Merci
RépondreSupprimerMerci à vous Martine pour votre lecture et votre commentaire.
SupprimerMerci beaucoup Martine
RépondreSupprimerencore une jolie histoire bien racontée!
RépondreSupprimerMerci beaucoup Christiane !
SupprimerUne très belle contextualisation pour ce récit de naissance 👏
RépondreSupprimerMerci beaucoup Laurence !
SupprimerMerci pour cette belle histoire, Flore a vécu , et ses enfants ont suivis ..... malgré toutes les epreuves tous sont là .... Bien à vous
RépondreSupprimerMerci beaucoup !
SupprimerJ'ai beaucoup aimé ce récit auquel on se sent invité auprès des personnages.
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