Récit de vie
Harassée mais pas encore terrassée par les difficultés et problèmes en tout genre qui ont ponctué ma laborieuse journée j’atteins enfin mon perron et, dès que je franchis la porte vitrée, la magie opère… Je suis chez moi, au milieu de ses meubles chargés d’histoires d’ancêtres, protégée par l’invraisemblable épaisseur des murs de pierre qui veillent jalousement sur ma tranquillité… Malgré l’heure tardive, la fatigue s’envole… mon esprit papillonne de bibelot en bibelot, chacun ayant sa propre anecdote à conter… mais je connais déjà ces histoires et même leurs secrets… mon esprit veut plus, il veut connaître ceux qui ne m’ont rien laissé… et, déplaçant un léger souffle tiède, il abandonne mon corps bien installé dans son fauteuil favori pour répondre à un lointain appel.
Ah Mariette ! Tu es née de la relation adultère d’un beau bonimenteur qui nous restera pour toujours inconnu et de celle qui, sans doute par ignorance, ne te reconnaîtra jamais mais qui sera pour toujours ta mère, Angélique Rahïr qui, subjuguée par ce beau parleur de passage dans son village natal a quitté amis, famille et mari pour cheminer à travers la France à la recherche éperdue d’une nouvelle vie emplie de bonheur et d’argent… Abandonnée sur le bord de la route, alourdie par la vie à l’état pur qui, sans aucun égard, déforme son corps en se nourrissant de ses entrailles, ta mère, pour survivre, exerce malgré son état, le dur métier de blanchisseuse ; elle a échoué, depuis environ six mois, au 8 rue de l’hôpital à Auxonne en Côte d’Or et c’est dans cette masure que tu pousses ton premier cri en ce jour du 13 juin 1831.
Bébé robuste, malgré la grande précarité, accueillie sous le nom de Marguerite Angélique Rahïr, fille naturelle non reconnue d’Angélique Rahïr, tu t’accroches à la vie et ta mère, sans doute mue par ce merveilleux instinct maternel, sinon désespérée, du moins résignée, reprend le chemin du retour… ou presque parce qu’elle ne revient pas chez Jean Baptiste Merda, son époux, mais s’installe dans une maison de la rue Sainte-Croix d’Avesnes (sur Helpe) dans le Nord… ce n’est pas un hasard… son cousin, Jean Joseph Raÿr, y habite depuis son mariage, le 13 juin 1827, avec Félicie Antoinette Joseph Colnot. C’est dans cette maison que la sage-femme du lieu, Benoîte Lebon, femme Martin, fait ta connaissance alors qu’elle vient aider ta petite sœur à voir le jour ; Madame Lebon sait que ta mère est mariée à un Merda qu’elle nommera toujours Louis Joseph au lieu de Jean Baptiste… elle déclare donc ta petite sœur comme étant fille d’Angélique Rahïr et de Louis Joseph Merdas, journalier à Lerzy, couple marié. Quelques années passent et la même sage-femme vient déclarer la naissance d’une autre de tes sœurs, dans les mêmes termes et le bébé s’appelle Catherine Clémence Merdas.
Le temps a passé et tu es devenue une jeune femme, tu es couturière et voilà que l’on appelle à tes côtés… Benoîte Lebon… tu vas mettre au monde ton premier enfant ! C’est un beau gros garçon qui vient de naître et qui s’agite en hurlant dans les bras de la sage-femme qui se charge de le déclarer sous l’identité de Joseph Henri Merda… né le 10 septembre 1849, fils naturel de Henriette Merda… parce que c’est ainsi nommée qu’elle t-a toujours connue… Tout ton entourage t’appelait Henriette ou, plus familièrement, Mariette… et, puisque la brave Benoîte Lebon avait déclaré les naissances de tes sœurs sous le patronyme de Merda(s), tu ne pouvais que t’appeler de la même façon… Personne n’a apporté un quelconque démenti, personne n’a jamais eu l’idée de faire rectifier les déclarations… La même sage-femme va t’aider à mettre au monde tes quatre premiers enfants qui seront tous déclarés comme fils et filles naturels d’Henriette Merda.
Schéma de quelques "liens croisés" |
Et puis, ce 08 août de 1860, tu nous invites à ton mariage ; ton fiancé est Constand Joseph Noyon, il a 50 ans, est journalier à Avesnes où il est né de Frédéric Joseph et de Ermeline Collet ; ce n’est pas un inconnu, vous évoluez tous dans un cercle assez restreint, il est le beau-frère de Rose Eugénie Colnot qui est elle-même la belle-sœur de Jean Joseph Raÿr, cousin de ta mère. Constand Noyon est veuf depuis le 30 janvier 1858 de Marie Joséphine Cuvelier qui lui a donné un certain nombre d’enfants dont deux vont particulièrement retenir mon attention : Clémentine Noyon qui, cantinière en 1870, aura une vie réellement extraordinaire, sera médaillée de “l’année terrible” et sur laquelle j’ai déjà écrit quelques lignes et son frère, Henri… qui va jouer un rôle important dans la vie de ta fille aînée mais il est encore trop tôt pour en parler.
Ah Mariette ! Je dois t’avouer que j’ai été surprise en constatant, à la lecture de ton acte de mariage, que tu savais signer… et surtout que tu signais du nom qui t’avait été attribué à la naissance… Angélique Rahir mais il est tout de même précisé dans l’acte que tu es Marguerite Angélique Rahïr, dite Mariette Merda. Ta mère, veuve Delattre, est présente et consentante et, parmi les témoins, il y a Joseph Rahïr, chiffonnier de 59 ans qui est dit être ton cousin. Ton mari ne sait pas signer ni ta mère d’ailleurs mais Joseph Rahïr trace difficilement quelques lettres à la fin de l’acte.
Un petit garçon vient au monde en août 1863 dans votre maison de la rue des Pavillons toujours à Avesnes, c’est ton époux qui ne sait toujours pas signer qui va déclarer la naissance ; le petit Charles Henri n’atteindra pas l’âge de 5ans.
Tu mets
au monde ton septième enfant ! Avec ton mari, vous n’en êtes vraiment
pas à votre coup d’essai… alors… pourquoi Constant Noyon n’est-il pas
allé déclarer la naissance de ce bébé ? L’enfant est né en 1864
pourtant, il faudra attendre le 1er août 1871 pour qu’il ait une
existence légale ! Cette situation est d’autant plus étrange qu’en
septembre 1867, c’est bien Constant Noyon qui va déclarer en mairie la
naissance de votre petit Louis qui décèdera, dans votre maison de la rue
Sainte-Croix, là même où il est né, en juillet 1868. En fait, on a la
certitude que le garçonnet né en 1864 a été baptisé et la justice, en
1871, va d’ailleurs se baser sur cet acte pour déterminer la date de
naissance de l’enfant… peut-être a-t-on pensé que cette célébration
valait déclaration de naissance... pourtant, il est plus que probable
que tous tes enfants aient été baptisés.
En
1865, la plus jeune de tes sœurs, Clémence, se marie… événement
extrêmement banal me diras-tu… oui mais… son fiancé est Charles Durget,
il n’est pas du quartier, même pas de la région… il est né le 04 octobre
1831 à Port-sur –Saône en Haute-Saône d’Antoine et de Anne Fiard qui
ont donné leur consentement par acte ; le jeune homme a également reçu
l’autorisation de se marier du général commandant la 1ère subdivision de
la 3e division militaire à Lille car le futur est maréchal des logis au
9e régiment de cuirassier en garnison à Lunéville, passé dans la
réserve du Nord… à Avesnes. Le mariage est célébré le 20 novembre de
cette année et l’enfant née le 20 décembre 1858 de Clémence Merda, est
reconnue et légitimée par Charles Durget et devient donc Marie-Louise
Durget. Cet homme va devenir le pilier de la famille, il sera là pour
toutes les grandes occasions… et sans doute aussi pour les petites…
Et puis voilà, nous ne saurons probablement jamais la cause de ton décès… tu es veuve depuis le 27 septembre 1872, Constant Noyon est décédé à l’hospice civil d’Avesnes,
lorsque tu nous quittes définitivement en ce 26 février 1873… tu n’as
que 41 ans, l’aîné de tes enfants a 18 ans, le plus jeune a 9 ans et la
petite Julia,
future « bagnarde » a à peine 12 ans …tu décèdes dans une maison de la
rue Sainte-Croix toujours à Avesnes mais il n’est pas dit chez qui… la
déclaration est faite par ton beau-frère, Charles Durget qui est assisté
de Henri Matton qui est âgé de 61 ans et qui est agent de police…
Ta mère et toujours vivante et va rester parmi les siens pendant de nombreuses années après ton départ, sa mère, ta grand-mère, malgré une vie des plus difficiles, s’était éteinte à l’âge de 84 ans… tu es partie beaucoup trop jeune et la vie de tes enfants, déjà peu enviable, va se durcir… bien entendu, chacun aura un destin particulier… nous avons déjà évoqué celui de ta fille Julia mais il nous reste à conter celle de ton aînée, Hortense qui est née en 1855… mais ce sera pour une autre fois…
La nuit est très sombre, chargée de pluie... Enfin mon esprit rentre de sa promenade et regagne mon corps envahi par une saine fatigue... quelques heures de sommeil et je vais pouvoir retrouver mes contemporains et leur faire partager mes notes au sujet de ma lointaine ancêtre Mariette... je vais même rédiger un petit texte et le publier dans le cadre du premier #RDVAncestral 2018.
Catherine Livet
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La vie de la mère de Mariette, Angélique Rahïr est parue dans le cadre du #RDVAncestral de décembre 2017
Sources/bibliographie :
- Archives départementales du Nord
- Bibliothèque numérique de Roubaix
- La Dépêche de Brest
Merci beaucoup pour vos lectures et n’oubliez pas que j’apprécie infiniment vos commentaires et messages et qu’un j’aime fait toujours plaisir.
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