Un Communard déporté en Nouvelle-Calédonie
Ce soir, je découvre enfin le
contenu de la grosse enveloppe qui est arrivée en septembre des archives du
service historique de la défense, mais que je n’avais pas encore eu le temps
d’analyser. Dans ce dossier se trouvent les dossiers de deux des trois époux de
l’incroyable Clémentine Noyon, tous les deux Communards, déportés au bagne de Nouvelle-Calédonie.
Je résiste pour empêcher mon
esprit d’imaginer le siège de Paris, la Commune et la semaine sanglante, car il
faut bien remettre les personnes de ma généalogie impliquées dans ces
événements en place et ce n’est pas évident parce que la branche la plus concernée
est vraiment la championne des mariages « croisés » et des situations
compliquées et souvent difficiles si elles ne sont pas dramatiques.
Voyons le petit schéma
suivant :
Charles Muyllaërt, mon
arrière-grand-père, est le fils de Hortense Merda et de son deuxième époux
François Muyllaërt.
Hortense Merda, par son premier
mariage, est la belle-sœur de Clémentine Noyon, mariées successivement à deux
Communards et ayant elle-même joué un rôle fort important dans tous ces événements, tant et si bien qu’elle est médaillée militaire.
De plus, Clémentine Noyon est la
demi-sœur de Julia Noyon, qui finira au bagne, qui est la
demi-sœur de Hortense Merda. Et
donc, Julia Noyon est également la demi-sœur d’Henri Noyon, le premier mari de
Hortense Merda.
Il faut croire que ce genre de situation plaît beaucoup
dans cette branche de ma famille puisque Hortense Merda mariera Henriette, la
fille qu’elle a eue de son premier mari, avec Léon Muyllaërt, le fils que son
deuxième époux a eu de son propre premier mariage… Henriette Noyon et Léon
Muyllaërt, ensemble, ont été élevés par Hortense Merda et François
Muyllaërt.
Ça y est, mes doigts restent en suspend au-dessus de mon
clavier, tout mon corps se fige… mon esprit vient de le quitter pour s’élever,
partir à la recherche de celui d’Isidore Emile Petitjean …
Paris est dévasté, ce ne sont que bruits de cavalcades,
cris et détonations ; les pieds des rares passants glissent sur les pavés
imbibés du sang des cadavres d’hommes et de femmes que l’on voit un peu partout
aux milieux des bâtiments ruinés…
Barricade de la rue de Flandre |
Voici le pont de Flandre où plus un train ne circule… il
y a un petit groupe d’hommes dans le terrain vague avoisinant ; un vieillard
est agenouillé… Ah mon Dieu ! Ce n’est pas possible ! C’est Joseph Lapostre, un de mes ancêtres, il est couvert de crasse et du sang de son fils
Adolphe dont le corps exsangue duquel s’échappe un râle presque imperceptible
maintenant gît sur le sol terreux de ce lieu sordide…
Nous sommes donc le 26
mai 1871… il faut que mon esprit remonte encore un peu le temps…
Ah, j’y
suis ! Nous sommes maintenant le 03 avril 1871, sur le plateau de Châtillon… Vous
êtes là, Isidore Petitjean, au milieu de vos nombreux compagnons et Clémentine
Noyon, votre épouse, est toujours à vos côtés… vous venez d’être arrêtés, on
vous conduit à Versailles où vous allez être jugés… Il y a d’étranges
raccourcis dans la vie : votre épouse a été décorée en janvier précédent
de la médaille militaire par le Général Vinoy qui vient de donner l’ordre de
votre arrestation… Il faut dire Isidore que votre situation est un peu
nébuleuse… les témoignages et vos déclarations sont contradictoires… Et oui
Isidore, j’ai en mains toutes les pièces de votre procès… car une enquête a été
diligentée. Oui, je comprends que vous soyez bien étonné que, si longtemps
après les événements, je m’intéresse à votre petite personne et que j’ai exhumé
des pièces signées de votre main et relatant les paroles que vous avez prononcées
pour votre défense en 1871 et 1872.
Certains rapports, qui figurent au dossier, ne vous
présentent pas sous votre meilleur jour. Il vous est, entre autres choses,
reproché d’avoir fait commerce d’une grande quantité d’objets et d’effets que
vous alliez chercher à l’aide de la voiture qui était à votre disposition en
votre qualité de cantinier au 127ᵉ bataillon de la Garde Nationale où votre
femme était également cantinière ; le commissaire de police prétend que
ces objets que vous commercialisez proviennent
de pillages ou d’achats que vous faites directement auprès des Prussiens du
côté de Saint-Denis. Naturellement, vous soutenez n’avoir jamais rapporté que
ce qui était nécessaire à votre commerce de cantinier.
Plus grave encore, des témoins disent vous avoir vu avec
les galons de caporal, armé et ayant fait usage de votre fusil. Bien entendu,
vous contestez avoir fait usage d’une arme pour la bonne raison que vous
n’en avez jamais eu et vous déclarez n’avoir jamais porté un autre uniforme que
celui de cantinier.
Ce ne sera que le 06 mai 1872 que le jugement sera
prononcé :
- Petitjean Isidore Émile est-il coupable d’avoir en mars, avril et mai 1871, à Paris, dans un mouvement insurrectionnel, porté des armes apparentes ? La réponse est « oui » à l’unanimité.
- Le même est-il coupable d’avoir en mars, avril et mai 1871, à Paris, dans un mouvement insurrectionnel, porté un uniforme militaire. La réponse est « oui » à l’unanimité.
- A-t-il à la même époque et au même lieu dans un mouvement insurrectionnel, fait usage de ses armes ? La réponse est « non » à l’unanimité.
- Circonstances atténuantes ? Trois voix vous les accordent, quatre vous les refusent.
Le conseil vous condamne donc, à l’unanimité, à la peine
de la déportation simple et à la dégradation civique.
"le Garonne" |
Vous embarquez à bord du bateau « la Garonne »
qui prend le départ le 31 juillet de cette même année 1872 et qui voguera
plutôt tranquillement sous les ordres du capitaine Rallier ; plus de
cinq-cents déportés vous accompagnent jusqu’à Nouméa en Nouvelle-Calédonie où
vous arrivez le 05 novembre 1872.
Il y a encore quelques incohérences… vous avez été arrêté
le 03 ou 04 avril 1871, mais vous êtes considéré comme étant actif dans un mouvement en mai de la même année...
Oui bien entendu Isidore que j’ai vraiment trop résumé cette
partie très importante de votre vie mais, voyez-vous, il faut maintenant que mon
esprit regagne mon corps pour que mes mains puissent actionner le clavier de
mon ordinateur pour que, déjà, je puisse retranscrire ce que nous venons
d’évoquer de votre procès. Mais il faut que je vous dise que vous tenez une
place importante dans le livre que je consacre à ma branche Rahïr-Merda dont
vous faites partie par votre mariage avec Clémentine Noyon, apparentée à mon
ancêtre Hortense Merda… Oui, je sais, c'est, à première vue, assez compliqué, mais
reportez-vous au schéma généalogique en haut de ce texte, tout devrait être un
peu plus clair.
Rassurez-vous Isidore, je ne sais pas absolument tout à
votre sujet, car je ne sais pas ce qu’est devenue Delphine, votre fille, née à
Avesnes, dans le Nord, le 28 octobre 1855 et, si dans les pièces du dossier de
votre procès, il est bien dit que vous êtes le père d’une fille, l’âge annoncé
de cette enfant ne semble pas correspondre à celui que Delphine aurait eu en
1871.
Catherine Livet
Ce texte est rédigé dans le cadre du #RDVAncestral d'octobre 2019 ; il est le résumé d'un chapitre de mon livre "Mes ancêtres et la Commune de Paris"
(Pour la version numérique de mes livres)
Petit texte lié : Adolphe Lapote
Vous pouvez également consulter : de Rahïr à Merda (présentation) où vous découvrirez la Nouvelle-Calédonie et les "bagnards" de ma généalogie.
Sources/bibliographie
- archives du Nord
- archives de Paris
- archives du service historique de la défense
peut être a t'il connu mon bagnard à moi également déporté mais sur l’île Nou !!!
RépondreSupprimerAh oui ! Le monde est vraiment petit... Il faudrait vérifier les dates et essayer de retrouver leurs déplacements en Nouvelle Calédonie...
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