Noé
Célestin Leferme et son frère Henri, sont soldats du 1er Régiment
d’Artillerie à Pied (R.A.P), tous les deux sont à la défense de Maubeuge
lorsqu’elle capitule, quelques uns vont réussir à échapper aux Allemands mais
pas eux, ils sont donc prisonniers dès
le 07 septembre 1914 ; Henri se retrouvera dans l’un des camps de Münster.
Noé Célestin, avec tous ses compagnons d’infortune, parcourt une bonne vingtaine de kilomètres à pieds, sous les crachats, les insultes et les jets de fruits pourris, pour rejoindre les gares d’embarquement vers l’Allemagne ; pour Noé, ce sera celle de Mons en Belgique. Avec au moins quarante-neuf autres prisonniers, il doit embarquer dans un wagon à bestiaux dont le fumier qui jonche encore le plancher n’a même pas été recouvert de paille, on lui donne une toute petite ration de pain, très insuffisante en tous les cas… j’imagine qu’on lui donne suffisamment d’eau…
A son arrivée en Allemagne, ce ne sont qu’hostilités de la part de la population et il doit assister à la déferlante des soldats allemands qui, embarquant pour voyager en sens inverse, ne manquent pas de se moquer des prisonniers français en leur criant qu’ils s’en vont de ce pas conquérir la France qui sera bientôt à la botte de l’Allemagne ; dans les rues de Cologne, où Noé vient de débarquer, des mannequins, revêtus du très visible uniforme français, sont pendus aux fenêtres… Le moral de ce pauvre Noé en prend un sacré coup… comme celui de tous ses pauvres compagnons...
Il arrive enfin au but de son voyage, devant Friedrichsfeld, en plus de la fatigue et de l’abattement psychologique, la stupéfaction le frappe… il a beau écarquiller les yeux, il ne voit rien d’autre qu’une clôture de fils barbelés… aucun bâtiment… pas une baraque, même pas une tente… Le pauvre Noé va dormir en plein air sur la paille, protégé par une seule mauvaise couverture. Mais bientôt, avec l’aide d’ouvriers civils, les prisonniers vont construire eux-mêmes leur baraquements et ils mettent tant de cœur à l’ouvrage qu’ils peuvent y loger dès le mois de décembre de cette année 1914… il va leur être distribué une mauvaise paillasse faite d’un mélange de copeaux de bois et de paille et, luxe suprême pour ces malheureux, une seconde couverture.
Les prisonniers de Friedrichsfeld finiront même par
construire une véritable petite ville avec jardins, lazaret et chapelle ;
les chambrées seront chauffées à l’aide de grands poêles mais les maladies sont
légion et quelques
cas de typhoïde étant constatés, on met vite en place un système
d’égouts et on installe des cabinets d’aisance à la place des feuillées
utilisées jusque là… on n’oublie pas des douches et même une étuve pour la
désinfection et à l’infirmerie, les prisonniers seront vaccinés contre la
typhoïde et le choléra.
Des sous-officiers français obtiendront l’autorisation de fonder une
école où il sera possible d’apprendre, entre autres choses certainement, le
français, l’horlogerie, la menuiserie, la serrurerie et la cordonnerie.
Mais il existe, depuis le début de l’existence du camp et
qui va perdurer, un problème majeur qui est celui de la nourriture ; tous
les prisonniers se plaignent aussi bien sur les quantités qui sont jugées
insuffisantes que sur la qualité des aliments qui semble interpeller même les
moins gourmets… Les prisonniers n’ont certainement pas tort car la
sous-nutrition et les maladies font des ravages à l’intérieur du camp… jusqu’à
l’arrivée des premiers colis de France, à partir de mars 1915…
Voici, selon le journal « Nouvelles de France »
du 08 juin 1916, le menu qui est quotidiennement servi à notre pauvre
Noé :
-
Au réveil : café de glands doux torréfiés
-
A 10 h 30 : Quelques pommes de terre et un peu de viande
de rebut ou du lard de conserve (20 g par jour) et encore n’en touchait pas les
jours sans viande
-
A 1 heures : Une bouillie de farine, avoine, riz et orge,
parfois accompagnée d’un morceau de saucisse, hareng salé ou morue
-
La ration de pain, 400 g au début, est réduite, en avril 1915,
à 230 g ; et quel pain ! Un mélange presque immangeable de paille
hachée, de farine de son et d’épluchures de pommes de terre.
Cependant,
il était possible d’améliorer l’ordinaire par des achats à la cantine… lorsque l’on y trouvait encore divers aliments comme -ce ne sont que des exemples- du
pain, de la charcuterie, de la margarine et du fromage… par la suite, saucisse
et margarine devinrent introuvables… encore fallait-il avoir un peu, voir pas
mal, d’argent… ce qui n’était pas le cas pour la majorité des pauvres hommes du
camp…
Les prisonniers sont réellement affamés et lorsqu’ils réclament un
supplément de ration aux médecins allemands sensés s’occuper de leur santé, il
leur est répondu : « Nous ne pouvons rien vous donner de plus mais
ce n’est pas de notre faute mais bien celle de vos amis les Anglais qui bloquent
les mers et empêchent le ravitaillement »
Tout est parfaitement
orchestré pour briser le moral des Français. Heureusement, l’aide en tout genre
s’organise et se penche sérieusement sur le sort des prisonniers dans les camps
allemands et des bons à échanger contre des denrées sont édités et distribués à
nos pauvres nécessiteux.
Lorsque Noé est arrivé au camp de Friedrichsfeld, la
correspondance est tout bonnement interdite cependant, sous les différentes
pressions, dès novembre 1914, alors même que le camp n’est pas complètement
construit, il est possible d’écrire une carte tous les 45 jours mais seulement
aux parents restés en région envahie et encore… cette carte ne part d’ailleurs
pas toujours et la réponse, lorsqu’elle arrive, peut avoir mis des semaines
voir des mois à parvenir à son destinataire. Il faut attendre presqu’une année
pour que cette mesure s’assouplisse et qu’il soit possible d’envoyer quatre
cartes et deux lettres par mois, non seulement en zone envahie mais aussi dans
toute la France. Mais si l’on veut que la carte que l’on vient d’écrire arrive
à son destinataire, il vaut mieux ne pas parler de choses qui pourraient fâcher
le censeur allemand… et d’ailleurs, si l’on veut que cette carte ne soit pas
tout simplement jetée au panier
sans même être lue, il faut respecter les consignes : ne pas écrire à
l’encre et écrire lisiblement…
En plus du courrier, très attendu, les colis arrivent de
France avec quelques denrées, quelques objets et… du tabac très
prisé -vous l’entendez comme vous le voulez- de nos pauvres prisonniers. Les
familles -sans doute celle de Noé l’a-t-elle fait mais, il est impossible de le
savoir réellement- envoient également des mandats pour que leur fils, leur
frère, leur mari puisse, notamment, améliorer son ordinaire avec les menus
achats possibles à la cantine… mais l’administration allemande régente encore
ce domaine… et aucun mandat ne peut être perçu directement par le malheureux
bénéficiaire de ces petites sommes d’argent qui ont parfois été envoyées au
prix de grands sacrifices de la part de la famille restée en France. Chaque prisonnier qui a la chance de recevoir des
mandats, se voit ouvrir un compte au bureau du camp qui est crédité du montant
du mandat reçu, le titulaire du camp peut percevoir 8 à 10 marks par semaine…
encore faut-il qu’il en fasse la demande.
Quant aux avoirs que les prisonniers pouvaient détenir à
leur arrivée au camp, ils ont été obligatoirement déposés dans des banques
allemandes… contre reçus bien entendu.
Ah mais tous ces hommes dans ce camp de prisonniers ! Même s’ils ne sont ni bien nourris, ni bien
soignés, ne seraient-ils pas mieux à travailler à l’effort de guerre
allemand ? Au départ, les Allemands demandent des volontaires qui
recevront une petite solde qui semble varier de 30 pfennigs à 1 mark par jour
ainsi qu’une meilleure, ou du moins plus abondante, ration alimentaire et, il
n’est question que de travaux agricoles… Certains, appâtés par ce maigre
bénéfice ou nostalgiques de leur terre cultivable, se portent effectivement
volontaires… pour des travaux agricoles… mais il faut reconnaître qu’ils sont
loin d’être assez nombreux en comparaison des besoins des Allemands surtout
lorsque les prisonniers vont s’apercevoir qu’il ne s’agit pas, dans la majorité
des cas, d’aller travailler dans les fermes des environs mais plutôt de
regagner les usines en tout genre, y compris les mines -qui s’avèreront très
meurtrières- et les manufactures de l’armement… Les volontaires deviennent de
moins en moins nombreux et les Allemands décident donc très rapidement de
désigner d’office les travailleurs… mais même lorsqu’ils sont conduits de force
dans les usines, certains refusent tout simplement de travailler… ils sont
alors jetés en prison… et si certains cèdent au bout de quelques jours de cet
inhumain traitement, d’autres persistent dans leur refus dont un pauvre être, le soldat Recloux, qui restera
célèbre pour avoir fait six semaines de cachot avant de faire plier les
Allemands qui, en désespoir de cause, le dispensent de travail et le renvoient
dans son baraquement.
Dans le domaine du travail forcé, la propagande et
la vantardise qui leur sont propres vont se retourner contre les Allemands et lorsque la presse allemande va se targuer
à grand renfort de titres racoleurs que la main-d’œuvre des travailleurs
français assure à l’Allemagne de ne manquer ni de charbon ni de minerai, de
violentes protestations montent du camp de Friedrichsfeld et les travailleurs
plus ou moins volontaires, sont exhortés par leur camarades à cesser de
travailler pour les Allemands…
Beaucoup comprennent la gravité de leurs actes et, s’il ne
leur est pas possible de refuser le travail, trouvent le moyen de se faire
porter malades.
Les Allemands ont beaucoup trop besoin de cette
main-d’œuvre et inventent tous les prétextes possibles pour renvoyer les
Français dans leurs usines et leurs mines ; c’est ainsi qu’un avis est
placardé dès le 15 juillet 1915 dans le
camp ; le message qui peut être lu sur l’illustration est sans équivoque
et les menaces sont très rapidement mises en application : la brutalité et
même la cruauté vont devenir quotidiennes pour les malheureux réfractaires au
travail obligatoire ; les sévices prennent la forme de privation de
nourriture ou de couchage sous un hangar exposé au vent sans couverture ni même
une simple capote ou, au contraire, le puni est enfermé dans une pièce qui
atteint une température de 60°… on ne compte pas les coups de crosse ou de
baïonnette… Mais certains Français, qui ont la tête plus dure et le corps plus coriace que ne peut l’imaginer un Allemand, résistent toujours malgré ces
tortures ; ils sont alors envoyés à la baraque disciplinaire, celle qui
porte le n° 20B et qui est située à l’intérieur du camp mais que les autres
prisonniers ne peuvent pas approcher
tant elle est gardée par des factionnaires qui ont ordre de refouler sans
ménagement ceux qui voudraient tenter d’apporter un quelconque soutien à ces
pauvres hommes. Le séjour dans cette prison aux fenêtres grillagées dure une
quinzaine de jours en moyenne et le puni ne reçoit qu’une gamelle tous les
trois jours et une ration de pain journalière de 240 g, il ne reçoit bien
entendu pas son courrier pas plus que ses colis mais les tortures ne s’arrêtent
pas là, chaque jour, il est obligé, au pas de gymnastique, de pratiquer de
l’exercice, pendant quatre heures avec un sac de sable de 20 kg sur le dos… le
terrain où se pratique ce sport peu olympique est appelé, paraît-il, le
« cafarodrome » par les habitants du camp.
Début octobre 1915, une cinquantaine de prisonniers du
baraquement disciplinaire refusent de porter le sac de sable… Ces prisonniers
particulièrement rétifs sont immédiatement jetés au cachot d’où ils sont
extirpés, chaque jour, pour être exposés durant deux heures, qu’il pleuve,
qu’il vente, qu’il neige ou qu’il fasse un soleil de plomb, attachés à un
poteau…
Ce traitement particulièrement monstrueux était
pourtant sensé avoir été supprimé dès
décembre 1914… les autorités allemandes ayant d’ailleurs cherché à se justifier
en tentant d’expliquer que les mauvais traitements n’étaient infligés aux
prisonniers qu’en représailles aux sévices que les Français et les Anglais feraient subir aux prisonniers allemands.
Mais
dans ce même avis destiné aux prisonniers qui est placardé un peu partout dans
le camp même pas encore construit dès le 20 octobre 1914, les Allemands
préviennent également qu’ils tireront sans sommation sur les prisonniers
ayant simplement le dessein de fuir.
Chacun essaye tant bien que mal d’avoir une vie
« normale » alors, on se débrouille avec ce que l’on a pour fêter
Noël par exemple comme le démontre cette photographie ou, quelques Français
associés à quelques Russes ont trouvé le moyen de magnifiquement décorer un beau
sapin ; sur l’ardoise au pied de l’arbre entre les deux groupes d’hommes,
on peut lire que la photo souvenir a été prise à l’occasion du noël 1916. Il ne
faut pas oublier qu’il n’y avait pas que des Français dans ce camp de
prisonniers de Friedrichsfeld. Il est probable que de nombreux autres arbres
aient été installés au quatre coins du camp et que chaque prisonnier a ainsi fêté dignement, chaque
année, chaque fête importante… si loin de sa famille.
cas de typhoïde étant constatés, on met vite en place un système d’égouts et on installe des cabinets d’aisance à la place des feuillées utilisées jusque là… on n’oublie pas des douches et même une étuve pour la désinfection et à l’infirmerie, les prisonniers seront vaccinés contre la typhoïde et le choléra.
Des sous-officiers français obtiendront l’autorisation de fonder une
école où il sera possible d’apprendre, entre autres choses certainement, le
français, l’horlogerie, la menuiserie, la serrurerie et la cordonnerie.
Mais il existe, depuis le début de l’existence du camp et
qui va perdurer, un problème majeur qui est celui de la nourriture ; tous
les prisonniers se plaignent aussi bien sur les quantités qui sont jugées
insuffisantes que sur la qualité des aliments qui semble interpeller même les
moins gourmets… Les prisonniers n’ont certainement pas tort car la
sous-nutrition et les maladies font des ravages à l’intérieur du camp… jusqu’à
l’arrivée des premiers colis de France, à partir de mars 1915…
Voici, selon le journal « Nouvelles de France »
du 08 juin 1916, le menu qui est quotidiennement servi à notre pauvre
Noé :
-
Au réveil : café de glands doux torréfiés
-
A 10 h 30 : Quelques pommes de terre et un peu de viande
de rebut ou du lard de conserve (20 g par jour) et encore n’en touchait pas les
jours sans viande
-
A 1 heures : Une bouillie de farine, avoine, riz et orge,
parfois accompagnée d’un morceau de saucisse, hareng salé ou morue
-
La ration de pain, 400 g au début, est réduite, en avril 1915,
à 230 g ; et quel pain ! Un mélange presque immangeable de paille
hachée, de farine de son et d’épluchures de pommes de terre.
Cependant,
il était possible d’améliorer l’ordinaire par des achats à la cantine… lorsque l’on y trouvait encore divers aliments comme -ce ne sont que des exemples- du
pain, de la charcuterie, de la margarine et du fromage… par la suite, saucisse
et margarine devinrent introuvables… encore fallait-il avoir un peu, voir pas
mal, d’argent… ce qui n’était pas le cas pour la majorité des pauvres hommes du
camp…
Les prisonniers sont réellement affamés et lorsqu’ils réclament un
supplément de ration aux médecins allemands sensés s’occuper de leur santé, il
leur est répondu : « Nous ne pouvons rien vous donner de plus mais
ce n’est pas de notre faute mais bien celle de vos amis les Anglais qui bloquent
les mers et empêchent le ravitaillement »
Tout est parfaitement
orchestré pour briser le moral des Français. Heureusement, l’aide en tout genre
s’organise et se penche sérieusement sur le sort des prisonniers dans les camps
allemands et des bons à échanger contre des denrées sont édités et distribués à
nos pauvres nécessiteux.
Lorsque Noé est arrivé au camp de Friedrichsfeld, la
correspondance est tout bonnement interdite cependant, sous les différentes
pressions, dès novembre 1914, alors même que le camp n’est pas complètement
construit, il est possible d’écrire une carte tous les 45 jours mais seulement
aux parents restés en région envahie et encore… cette carte ne part d’ailleurs
pas toujours et la réponse, lorsqu’elle arrive, peut avoir mis des semaines
voir des mois à parvenir à son destinataire. Il faut attendre presqu’une année
pour que cette mesure s’assouplisse et qu’il soit possible d’envoyer quatre
cartes et deux lettres par mois, non seulement en zone envahie mais aussi dans
toute la France. Mais si l’on veut que la carte que l’on vient d’écrire arrive
à son destinataire, il vaut mieux ne pas parler de choses qui pourraient fâcher
le censeur allemand… et d’ailleurs, si l’on veut que cette carte ne soit pas
tout simplement jetée au panier
sans même être lue, il faut respecter les consignes : ne pas écrire à
l’encre et écrire lisiblement…
En plus du courrier, très attendu, les colis arrivent de
France avec quelques denrées, quelques objets et… du tabac très
prisé -vous l’entendez comme vous le voulez- de nos pauvres prisonniers. Les
familles -sans doute celle de Noé l’a-t-elle fait mais, il est impossible de le
savoir réellement- envoient également des mandats pour que leur fils, leur
frère, leur mari puisse, notamment, améliorer son ordinaire avec les menus
achats possibles à la cantine… mais l’administration allemande régente encore
ce domaine… et aucun mandat ne peut être perçu directement par le malheureux
bénéficiaire de ces petites sommes d’argent qui ont parfois été envoyées au
prix de grands sacrifices de la part de la famille restée en France. Chaque prisonnier qui a la chance de recevoir des
mandats, se voit ouvrir un compte au bureau du camp qui est crédité du montant
du mandat reçu, le titulaire du camp peut percevoir 8 à 10 marks par semaine…
encore faut-il qu’il en fasse la demande.
Quant aux avoirs que les prisonniers pouvaient détenir à
leur arrivée au camp, ils ont été obligatoirement déposés dans des banques
allemandes… contre reçus bien entendu.
Ah mais tous ces hommes dans ce camp de prisonniers ! Même s’ils ne sont ni bien nourris, ni bien
soignés, ne seraient-ils pas mieux à travailler à l’effort de guerre
allemand ? Au départ, les Allemands demandent des volontaires qui
recevront une petite solde qui semble varier de 30 pfennigs à 1 mark par jour
ainsi qu’une meilleure, ou du moins plus abondante, ration alimentaire et, il
n’est question que de travaux agricoles… Certains, appâtés par ce maigre
bénéfice ou nostalgiques de leur terre cultivable, se portent effectivement
volontaires… pour des travaux agricoles… mais il faut reconnaître qu’ils sont
loin d’être assez nombreux en comparaison des besoins des Allemands surtout
lorsque les prisonniers vont s’apercevoir qu’il ne s’agit pas, dans la majorité
des cas, d’aller travailler dans les fermes des environs mais plutôt de
regagner les usines en tout genre, y compris les mines -qui s’avèreront très
meurtrières- et les manufactures de l’armement… Les volontaires deviennent de
moins en moins nombreux et les Allemands décident donc très rapidement de
désigner d’office les travailleurs… mais même lorsqu’ils sont conduits de force
dans les usines, certains refusent tout simplement de travailler… ils sont
alors jetés en prison… et si certains cèdent au bout de quelques jours de cet
inhumain traitement, d’autres persistent dans leur refus dont un pauvre être, le soldat Recloux, qui restera
célèbre pour avoir fait six semaines de cachot avant de faire plier les
Allemands qui, en désespoir de cause, le dispensent de travail et le renvoient
dans son baraquement.
Dans le domaine du travail forcé, la propagande et
la vantardise qui leur sont propres vont se retourner contre les Allemands et lorsque la presse allemande va se targuer
à grand renfort de titres racoleurs que la main-d’œuvre des travailleurs
français assure à l’Allemagne de ne manquer ni de charbon ni de minerai, de
violentes protestations montent du camp de Friedrichsfeld et les travailleurs
plus ou moins volontaires, sont exhortés par leur camarades à cesser de
travailler pour les Allemands…
Beaucoup comprennent la gravité de leurs actes et, s’il ne
leur est pas possible de refuser le travail, trouvent le moyen de se faire
porter malades.
Les Allemands ont beaucoup trop besoin de cette
main-d’œuvre et inventent tous les prétextes possibles pour renvoyer les
Français dans leurs usines et leurs mines ; c’est ainsi qu’un avis est
placardé dès le 15 juillet 1915 dans le
camp ; le message qui peut être lu sur l’illustration est sans équivoque
et les menaces sont très rapidement mises en application : la brutalité et
même la cruauté vont devenir quotidiennes pour les malheureux réfractaires au
travail obligatoire ; les sévices prennent la forme de privation de
nourriture ou de couchage sous un hangar exposé au vent sans couverture ni même
une simple capote ou, au contraire, le puni est enfermé dans une pièce qui
atteint une température de 60°… on ne compte pas les coups de crosse ou de
baïonnette… Mais certains Français, qui ont la tête plus dure et le corps plus coriace que ne peut l’imaginer un Allemand, résistent toujours malgré ces
tortures ; ils sont alors envoyés à la baraque disciplinaire, celle qui
porte le n° 20B et qui est située à l’intérieur du camp mais que les autres
prisonniers ne peuvent pas approcher
tant elle est gardée par des factionnaires qui ont ordre de refouler sans
ménagement ceux qui voudraient tenter d’apporter un quelconque soutien à ces
pauvres hommes. Le séjour dans cette prison aux fenêtres grillagées dure une
quinzaine de jours en moyenne et le puni ne reçoit qu’une gamelle tous les
trois jours et une ration de pain journalière de 240 g, il ne reçoit bien
entendu pas son courrier pas plus que ses colis mais les tortures ne s’arrêtent
pas là, chaque jour, il est obligé, au pas de gymnastique, de pratiquer de
l’exercice, pendant quatre heures avec un sac de sable de 20 kg sur le dos… le
terrain où se pratique ce sport peu olympique est appelé, paraît-il, le
« cafarodrome » par les habitants du camp.
Début octobre 1915, une cinquantaine de prisonniers du
baraquement disciplinaire refusent de porter le sac de sable… Ces prisonniers
particulièrement rétifs sont immédiatement jetés au cachot d’où ils sont
extirpés, chaque jour, pour être exposés durant deux heures, qu’il pleuve,
qu’il vente, qu’il neige ou qu’il fasse un soleil de plomb, attachés à un
poteau…
Ce traitement particulièrement monstrueux était
pourtant sensé avoir été supprimé dès
décembre 1914… les autorités allemandes ayant d’ailleurs cherché à se justifier
en tentant d’expliquer que les mauvais traitements n’étaient infligés aux
prisonniers qu’en représailles aux sévices que les Français et les Anglais feraient subir aux prisonniers allemands.
Mais
dans ce même avis destiné aux prisonniers qui est placardé un peu partout dans
le camp même pas encore construit dès le 20 octobre 1914, les Allemands
préviennent également qu’ils tireront sans sommation sur les prisonniers
ayant simplement le dessein de fuir.
Chacun essaye tant bien que mal d’avoir une vie
« normale » alors, on se débrouille avec ce que l’on a pour fêter
Noël par exemple comme le démontre cette photographie ou, quelques Français
associés à quelques Russes ont trouvé le moyen de magnifiquement décorer un beau
sapin ; sur l’ardoise au pied de l’arbre entre les deux groupes d’hommes,
on peut lire que la photo souvenir a été prise à l’occasion du noël 1916. Il ne
faut pas oublier qu’il n’y avait pas que des Français dans ce camp de
prisonniers de Friedrichsfeld. Il est probable que de nombreux autres arbres
aient été installés au quatre coins du camp et que chaque prisonnier a ainsi fêté dignement, chaque
année, chaque fête importante… si loin de sa famille.
On
retrouve également, mais à une année indéterminée, du moins pour la photo, une
délégation de prisonniers français chargée de déposer une gerbe de fleurs, le
jour de la Toussaint, au pieds du monuments
qui est érigé en souvenir des
Français morts en captivité à Friedrichsfeld lors de la guerre de 1870-1871,
monument auquel les Français prisonniers de 1914-1915, ont ajouté une plaque
commémorative sur laquelle on peut lire « A NOS AINES »Toute cette vie au sein du camp, malgré les nombreuses interdictions et obligations, peut sans doute surprendre mais il ne faut pas oublier que certains hommes vivent dans ce camp, comme Noé Leferme, depuis le début, qu’ils ont tout construit eux-mêmes et qu’ils ont finit par bien s’organiser ; il paraît que des distractions sont régulièrement offertes comme « la symphonie », organisée et jouée
par les prisonniers eux-mêmes, qui se tiendrait tous les
dimanches de onze heures à midi sur la place principale du camp.
En revanche, le fonctionnement du camp de Friedrichsfeld
n’est pas forcément transposable à un autre camp de prisonniers car la
direction de chaque camp avait une très large latitude pour l’organiser et les
prisonniers ont été plus ou moins bien traités.
Noé Célestin Leferme, arrivé le premier au camp de
Friedrichsfeld au début du mois de septembre 1914 y restera jusqu’à son
rapatriement, le 24 novembre 1918… plus de quatre ans passés dans cette petite
ville artificielle qu’est, petit à petit, devenu le camp de Friedrichsfeld…
Comment s’est passé son retour ? Avait-il encore une place auprès de son
épouse, Philomène Vrand, et de ses enfants dont un fils, René, qui avait 15 ans
à son départ et qui est devenu l’homme de la maison et la petite Léa qui
n’avait que 9 ans ? Comment a-t-il été accueilli par les cousins, les
voisins qui pleurent un fils, un frère ou un époux tombé au champs
d’honneur ? Comment a-t-il été regardé par ceux qui sont revenus mutilés,
défigurés, gazés ? A-t-il seulement osé parler de ses peurs, de ses
souffrances de ses traumatismes ?
Moi aussi, 100 ans plus tard, j’ai failli faire l’impasse
sur « mes » prisonniers de la Grande Guerre… Il est grand temps de
parler de ces malheureux qui, comme Noé Célestin Leferme et son frère Henri,
méritent de sortir de l’oubli.
Prêt à lire, dès demain, ce qui se cache derrière la lettre... G
Catherine Livet
Quel récit ! On entre vraiment dans le quotidien des prisonniers de Friedrichsfeld grâce aux documents que tu as pu consulter ! Merci Catherine
RépondreSupprimerComme j'aimerai pourvoir le faire pour tous les personnages de ma généalogie
SupprimerBonjour, la lettre F comme Friedrichsefeld m'a interpellée, car l'arrière grand-père de mon mari a aussi été prisonnier au camp de Friedrichsfeld dès le 8 septembre 2014- j'ai écrit à ce sujet lors du challenge 2017 http://mesgenealogies.blogspot.com/2017/06/challengeaz-p.html et sur Charles et sa drôle de guerre http://mesgenealogies.blogspot.com/2018/01/charles-et-sa-drole-de-guerre_14.html. Nos ancêtres se sont très certainement croisés !
RépondreSupprimerJe vais prendre le temps de lire ton article. A bientôt sur la toile pour les nouvelles lettres.
Bonne journée Véronique
Merci Véronique. C'est pratiquement sûr que nos ancêtres se sont croisés dans ce camp, en tous les cas, ils ont vécu de la même façon et ont connu les mêmes événements durant leur séjour au camp. J'avais déjà lu ton article sur Charles que j'avais trouvé très intéressant
SupprimerBravo pour cet article émouvant et très détaillé. J'ai trouvé moi aussi un soldat prisonnier en Allemagne, et ne savais rien de ses conditions de détention.
RépondreSupprimerMerci beaucoup. J'ai pensé que c'était bien aussi de parler de ces prisonniers que l'on oublie souvent et qui n'ont pas forcément bien été considérés de leur vivant
SupprimerBonjour, J'ai été interpellé par le F car le grand-père de mon mari a aussi été fait prisonnier en septembre 1914 dans le même camp. Nos ancêtres se sont peut être croisés. J'ai aussi écrit à ce sujet sur mon blog http://mesgenealogies.blogspot.com/2018/01/charles-et-sa-drole-de-guerre_14.html … et http://mesgenealogies.blogspot.com/2017/06/challengeaz-p.html …
RépondreSupprimerJe vais lire plus attentivement ton article et les autres. Bon challenge. Véronique
Merci pour toutes tes lectures Véronique. Je n'ai pas encore lu toutes les participations mais je vais le faire...
RépondreSupprimerUne histoire bouleversante les prisonniers livrée a eux même. Merci
RépondreSupprimerUne question ou trouver vous vos histoire. Une très bonne soirée .
Fabrice
Merci pour votre lecture et votre commentaire Fabrice. Je tente de reconstituer des pans de vie de mes ancêtres à partir de renseignements trouvés dans les archives, la presse etc.
RépondreSupprimer