#RDVAncestral Thérèse Livet marie son fils

 03 février 1910 - Paris - Mariage pluvieux

Comme les jours précédents, il fait anormalement chaud ce vendredi 19 octobre 2018 et dans ce bureau où le chauffage collectif a déjà été poussé à fond, l’air est devenu irrespirable… mon corps souffre et je ne suis pas loin du malaise lorsqu’un très léger courant d’air provoqué par les ventilateurs que l’on a enfin eu l’autorisation d’installer apportent un certain mieux-être… Avec quelques autres, je m’installe dans la salle d’attente pour que mon corps éprouvé prenne un peu de repos, c’est alors que je sens mon esprit me quitter… cet épisode météorologique vient de lui en rappeler d'autres et il veut savoir…

En ce mois de décembre 1909, tout Paris commence à préparer les fêtes de Noël et Thérèse Livet ne fait pas exception à la règle.

 
 
Ah Thérèse, vous voulez que vos petits-enfants aient une vie de rêve mais vraiment, je crois que vous avez beaucoup trop gâtée ma future grand-mère, votre petite-fille, et certainement son frère Emile Livet aussi ! Bon, tout de même, vous n’avez pas donné un crayon à Germaine pour qu’elle coche tous les jouets qu’elle désire mais, vous lui avez montré le catalogue édité spécialement pour l’occasion par les Galeries Lafayette et vous lui avez demandé de choisir ce qu’elle veut pour ses étrennes… un seul cadeau… enfin, de votre part… car elle va en recevoir de très nombreuses personnes.

Fontaine Wallace et Parisiens assoiffés
Le temps pourtant n’est pas au diapason des fêtes de fin d’année… le thermomètre affiche 16° ces 22 et 23 décembre 1909 pendant que des pluies diluviennes saturent les nappes phréatiques… des tempêtes inhabituelles propulsent l’air subtropical jusque sur la capitale… Décidément, le temps est complètement détraqué… début mars, vous avez emmené Germaine assister à un concours de ski organisé dans le parc de Saint-Cloud… le printemps a été oublié… et l’été a été maussade… la pluie a été le quotidien des Parisiens au mois de juillet et le thermomètre n’a jamais voulu s’élever et puis soudain, comme pour tenter de faire remonter la moyenne, une terrible vague de chaleur s’est abattue sur la capitale au début du mois d’août et les fontaines Wallace sont devenues les meilleures alliées des Parisiens mais, cet épisode brûlant n’a été qu’une parenthèse et la pluie a repris ses quartiers… il a même été enregistré 16 heures de pluie sans aucun arrêt durant la journée du 21 août alors que la température n’a jamais dépassé les 16°.

Bon, en cette fin d’année cependant, toute la famille était réunie pour la grande veillée de Noël et bien entendu, tout le monde à fait honneur au festin que vous avez préparé pour le lendemain, les plus gourmands d’entre eux se pourléchant les babines en attendant impatiemment que vous fassiez servir l’oie que vous aviez enfournée des heures plus tôt.

10 rue du Petit Pont

A cette époque de votre vie, vous habitez avec vos deux plus jeunes enfants, au 10 de la rue du Petit Pont dans le 5e arrondissement de Paris, dans l’ancien hôtel de la Marquise de Pompadour ; vous logez dans un très agréable appartement situé dans un très joli quartier offrant toutes les commodités ; oui, vraiment, vous êtes bien installée et vous aimez flâner au port de Montebello ou vous rendre sur l’Ile de la Cité en empruntant l’embarcation qui assure la traversée depuis l’embarcadère Notre Dame à 300 ou 400 mètres de votre porte…

En ce début d’année 1910, il ne se passe pas une journée sans pluie et même, on peut dire qu’il pleut sans discontinuer du 11 au 20 janvier puis, après une relative accalmie qui fait espérer que la pluie cesse, elle retombe encore plus violente les 24 et 25 janvier… d’ailleurs, on déplore des inondations en amont de la Seine depuis le 18 du mois… la situation est même catastrophique, des carrières de blanc d’Espagne s’effondrent faisant de malheureuses victimes…

 

Le 28 janvier, la Seine atteint 8,62 m au Pont d’Austerlitz, presque le record de 8,81 m atteint le 27 février 1658… Les promenades sur les ponts parisiens pour voir la Seine monter sont devenues le passe-temps à la mode, on parle de cette inquiétante montée des eaux avec les badauds comme si l’on se connaissait…

Mais Paris n’est pas le seul touché et les journaux se font l’écho du drame national qui se joue, aggravé par le froid et la neige.

"Le Petit Parisien" du 27 janvier 1910
Le « Voltigeur » du pont de l’Alma a de l’eau jusqu’aux épaules mais, ce qui se passe en surface n’est rien comparé à ce qui se passe dans les souterrains de la capitale. C’est la catastrophe ! Le sous-sol parisien est noyé… les bateaux citernes ne passent plus sous les ponts et ne peuvent donc plus évacuer les boues de Paris alors que dans le même temps, partout les égouts sont éventrés, les fosses d’aisance sont inondées et leur contenu se répand partout dans les rues… La situation sanitaire devient terrifiante et des maladies comme la typhoïde commencent à poindre, le métro, bien entendu, ne circule plus, il n’y a plus de gaz, plus d’électricité et… plus d’eau potable… Il faut évacuer des centaines de sinistrés, les loger en urgence dans des gymnases… La police se mobilise, la solidarité s’organise rapidement… on fait appel aux marins, les soldats du Génie sont appelés à la rescousse…

 


Ma pauvre Thérèse, le moindre déplacement est devenu une épreuve et pourtant, il faut bien sortir pour aller chercher un peu d’eau potable, un peu de nourriture... des passerelles de fortune ont été installées un peu partout, on utilise des échelles pour sortir et entrer par les fenêtres, des embarcations sillonnent les rues de Paris, du simple radeau à ce tout nouveau canot en toile que la ville vient d’acquérir en passant par des embarcations plus classiques comme celle mise en circulation dans votre quartier et que vous avez certainement empruntée comme sur la photo prise
Rue de la Bûcherie dans le prolongement de la rue de la Huchette qui croisent la rue du Petit Pont

Une pompe d'épuisement en action
Enfin, dans le Petit Parisien du 29 janvier on peut lire : « On confirme l’arrêt de la crue. A une heure du matin, la Seine semblait étale » dans l’édition du 30 janvier, les lecteurs reprennent espoir : « La fin d’un cauchemar : la Seine décroît », le 31 la Seine baisse lentement mais, Paris continue à être miné par l’inondation souterraine et la misère est bien grande malgré tous les secours déployés pour venir en aide à la population et dans les jours qui suivent, au fur et à mesure que l’eau se retire des rues de Paris, les habitants peuvent entrevoir l’étendue du désastre : partout on constate des excavations, des gouffres béants, des soulèvements de chaussées, des trottoirs affaissés. Mais le
Parisien fait face et les concierges, souvent les premiers, dès le premier février, s’activent et lavent et réparent tout ce qu’ils peuvent ; les boutiquiers, malgré les sous-sols toujours inondés, nettoient et préparent leurs étalages… Cependant, il faut rester très vigilants… la chaussée, par endroits, s’effondre brutalement… La compagnie des eaux met tout en œuvre pour fournir de l’eau propre, celle du métropolitain s’emploie à évacuer l’eau à l’aide de pompes dont le débit peut atteindre 2 000 m3 à l’heure ; un matériel électrique de remplacement arrive en masse et la capitale est généreusement approvisionnée en chaux vive et en formol pour pouvoir procéder, dès que l’état du sous-sol le permet, à une désinfection totale.

Le service de désinfection

Les sinistrés doivent se rendre à leur commissariat de quartier où il leur sera remis gratuitement les produits nécessaires aux travaux d’assainissement
et des conseils leurs sont prodigués : il faut jeter de l’hypochlorite de chaux sur les boues avant de les retirer ; les murs et les parquets doivent être nettoyés avec une solution faite de 1,5 kg d’hypochlorite de chaux pour 100 l d’eau ; les boiseries et les meubles sont lavés à l’eau de javel dans la proportion de 4 l pour 100 litres d’eau... Le risque des épidémies fait peur la typhoïde étant particulièrement redoutée.

 

Et ce 02 février 1910, vous voici Thérèse, avec vos voisins, vos amis, votre famille en train de laver,

Boulevard Saint-Germain après la décrue
frotter, désinfecter… Tous les Chalvet, la famille de votre belle fille, qui ont la chance d’habiter un quartier protégé sont venus prêter main-forte car, Parisienne jusqu’au bout, qui échappe souvent à l’entendement général… et il faut l’avouer, à la limite même parfois de la déraison… vous êtes convaincue que ce n’est pas une crue de la Seine, même dite plus tard centennale, qui va vous empêcher de suivre le cours de votre vie et… demain vous deviez marier votre fils, alors demain… vous allez marier votre fils !

C’est ainsi que Louis Désiré Berroy, employé de commerce né le 17 novembre 1879, le fils de Jean et de Thérèse Livet, épouse ce 03 février 1910, dans la salle des mariages de la mairie du 5e arrondissement dont l’odeur des désinfectants masque à peine celle de l’humidité, la demoiselle Angèle Michel.

Non Thérèse, je ne peux pas rester pour le repas et les festivités mais oui, je reviendrais un jour assister au mariage de votre fils Noé, mon arrière-grand-père. En attendant, il faut que mon esprit regagne au plus vite son époque car mon corps a besoin de lui pour accomplir ses obligations.

Catherine Livet

Ce texte est écrit dans le cadre du #RDVAncestral du mois d’octobre 2018. Tout le monde est invité à participer à l'événement.

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Sources/bibliographie
  • le “Petit Parisien”
  • Gallica (Photos)
  • Archives de Paris

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