Contrairement à mes habitudes, ce n'est pas la veille du #RDVAncestral que je me suis mise à le préparer mais le jour même. Bon, bien entendu, j'ai une excuse puisqu'il y a déjà un mois que mon esprit piaffe d'impatience à l'idée d'aller retrouver celui de Georgette Sirejean, la cousine de René Livet, mon père, qui était persuadé que nous aurions été les meilleures amies du monde si nous avions été contemporaines.
Alors, comme le mois dernier, je me plonge dans la boîte à photos, et j'éparpille sur mon bureau certaines d'entre elles et je laisse corps et esprit se désolidariser pour que ce dernier puisse s'élever et partir à la rencontre de celui de Georgette qui, j'en suis certaine, m'attend impatient...
Ah Georgette ! Il faut que je te raconte une histoire qui m'est arrivée en 2017 et qui est l'un des bons côtés de la généalogie qui est devenue un passe-temps à la mode. C'est ainsi que j'ai fait la connaissance d'un lointain cousin que peut-être tu as connu.
Pourtant, tout n'a pas commencé dans la joie. Je m'étais mis en tête de déplacer la chape de plomb qui avait été coulée, après la Seconde Guerre Mondiale, sur le plus grand drame qu'ait connu le clan des Livet dont tu faisais naturellement partie.
C'est ainsi que j'ai débuté mes recherches au sujet de celui dont on ne parlait jamais aux enfants, celui qui, bien contre son gré, a causé tant de peines à son épouse, à leurs enfants et même, le malheureux, à ses petits-enfants qui pourtant étaient loin d'être nés à l'époque du tragique événement qui s'est par ailleurs joué en plusieurs actes.
Je pense sincèrement Georgette qu'il faut aujourd'hui ne plus avoir peur de prononcer son nom même si j'ai toujours quelques réticences à le faire depuis que j'ai retrouvé tous mes cousins éloignés qui sont encore perdus dans leurs questions sans réponse qu'ils se posent de génération en génération.
Même mon père, pourtant si talentueusement conteur, ne parlait pas de lui... il me disait simplement "Cette pauvre Jeannette, elle a tellement souffert depuis la guerre."
Tu vois Georgette comme je tourne autour du pot avant de dire que celui dont je veux parler s'appelle Mordouch Rivinoff, ton beau-frère, le mari de Jeannette, ma marraine.
Contrairement à ce que dit le journal, Mordouch est à droite |
Pour que mon lecteur puisse percevoir pourquoi ce malheureux est devenu tabou, je précise que Mordouch est né en 1909 à Ekaterinoslav et qu'il a donc connu la guerre civile russe, les "blancs" contre les "rouges"... sa famille - du moins sa mère accompagnée du petit Mordouch et de sa sœur car du père je dois dire que je n'ai aucune trace - a trouvé asile en France et Mordouch est donc arrivé en 1920... C'est en France qu'il a appris le métier, très moderne à l'époque, de monteur téléphoniste... Où et
comment cet employé des prestigieux établissements Goodrich a-t-il rencontré la jeune Jeanne Sirejean ? En tous les cas, même si l'union peut sembler un peu étrange de prime abord, le mariage est célébré. Le licenciement de Mordouch en 1937, pour négligences dans son travail, par la direction de Goodrich va enfler d'une manière inimaginable !
Communiste ardent, selon certains, syndiqué, sans
aucun doute, le camarade Rivinoff va trouver des défenseurs... Toute l'usine va faire grève le 24 décembre 1937 puis, tous les sites Goodrich vont suivre le mouvement... toute l'industrie, du pays entier va épauler les "camarades" et la grève va même s'infiltrer dans les services publics...
Un jour, c'est certain, je raconterai en détails cette extraordinaire histoire...
Mais, ce n'est pas tout. Mordouch semble décidément être né sous une mauvaise étoile et, le 22 juin 1941, lorsque débute l'opération "Barbarossa" - l'invasion de l'Union soviétique par l'Allemagne -, son destin se noue...
A cette époque, nous savions donc que Mordouch était né russe et nous avons découvert, lors de l'affaire de son licenciement, qu'il était communiste... Il est donc déjà plus que suspect aux yeux des Allemands qui viennent le chercher chez lui pour le conduire à la forteresse de Royallieu à Compiègne dans l'Oise où il est assigné, dans un premier temps, au quartier B, réservé aux internés civils... mais on voudrait bien l'étiqueter bolchevik... jusqu'au moment où on trouve mieux... C'est alors que son nom est ajouté à la liste des Russes déclarés juifs... Le 12 septembre 1942 - avec 141 autres Russes juifs - il est transféré à Drancy et, deux jours plus tard, il est conduit à la gare du Bourget où il embarque dans le convoi 32 pour son dernier voyage. La date de son décès sera fixée au 19 septembre 1942.
Voilà ce qu'il en est pour les grandes lignes de la courte vie de Mordouch Rivinoff.
Et donc, en 2017, je suis très étonnée de trouver son nom et surtout la mention de sa terrible mort en déportation sur un site de généalogie... J'entre donc en contact avec le propriétaire de l'arbre qui m'explique qu'au dos d'une photo étaient notés trois noms : Jeannette Rivinoff, Georgette Sirejean et Henriette Giroir. Guy, puisque tel est son prénom, est donc en possession d'une photo, sur laquelle tu figures avec tes deux sœurs, qu'il s'empresse de me transmettre... Et là, quelle ne fut pas ma surprise ! Tu portes une très élégante robe à rayures géantes et je suis certaine de t'avoir déjà contemplée revêtue de cette magnifique robe... Je fouille alors dans la boîte à souvenirs dont je suis la gardienne et je trouve plusieurs photos que je transmets à mon correspondant qui reconnaît formellement sa grand-mère, ta tante, dont mon père ne se souvenait plus.... les photos que je possède ont été, sans aucun doute, prises le même jour que la sienne qui porte au dos la mention "Argenteuil - 1946".
C'est ainsi ma chère Georgette que ton beau-frère, Mordouch Rivinoff, aidé par ton inoubliable robe à rayures géantes, m'a présenté Marguerite Sirejean à gauche en regardant la photo.
Il reste un mystère : Qui est la cinquième femme qui apparaît sur trois ou quatre photos en ma possession, celle qui est assise à l'extrême droite toujours en faisant face à la photo que voici.
Qui sait ? Un nouveau petit miracle peut se reproduire !
Il faut que je te quitte Georgette. Sur la terre il est déjà pratiquement treize heures et la maisonnée à faim... je suis attendue...
Catherine Livet
Ce texte a été écrit dans le cadre du #RDVAncestral de février 2021.
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Voilà encore un destin extraordinaire que tu nous contes Catherine ! Et un petit mystère à résoudre, peut-être qu'un de tes lecteurs la reconnaîtra...
RépondreSupprimerMerci Christelle. Avec un peu de chance, quelqu'un va identifier mon inconnue sur la photo
SupprimerUne si jolie robe qui nous entraine dans l'horreur de 39/45 ....
RépondreSupprimerOui, la période n'était pas très heureuse. Merci Véronique pour ton commentaire
SupprimerQuel destin tragique que celui de Mordouch et étrange cette robe qui renoue un fil
RépondreSupprimerOui, c'est vraiment un drame que la vie de Mordouch
SupprimerDes destins inoubliables immortalisés par une robe. Merci pour le partage !
RépondreSupprimerMerci Evelyne pour cette lecture et le commentaire
SupprimerJ'adore cette histoire ! même si le fond est bien triste.
RépondreSupprimerMerci Béatrice. Il y a le petit bonheur, des années plus tard, d'avoir identifié une personne sur une photographie oubliée.
SupprimerAurions-nous, dans un avenir proche le plaisir de découvrir cette mystérieuse dame dans l'un de vos si riches textes ?
RépondreSupprimerTout dépendra de mes lecteurs
SupprimerQue d émotions en lisant ces acticles sur ma grand mère et mon grand père , sur YEYETTE
RépondreSupprimerque j aimais tant et TANTE GEORGETTE que j ai connu un peu . merci