samedi 19 juin 2021

Un #RDVAncestral suivi : Télémaque 3e du nom

 

Me voici, comme chaque veille du troisième samedi du mois, le jour du #RDVAncestral, à écourter la traditionnelle soirée apéritive tant mon esprit a envie de s’évader de mon corps las… il a comme un besoin vital de retrouver ses semblables, qu’ils soient bien installés dans les cieux divins, qu’ils errent dans les limbes mystérieux ou qu’ils soient perdus dans les dédales de l’enfer, peu importe, il faut qu’il échange avec ses congénères, il faut qu’il sache et comprenne et aujourd’hui, il est comme obsédé par les Télémaque dont il a déjà fait la connaissance mais il lui en manque au moins un…

Ah te voici, Marcel Léon Télémaque Rahïr, frère de Jules Télémaque et fils de Jules Edmond Télémaque !

Ce prénom que vous avez en commun, Télémaque, qui évoque tant « l’Odyssée d’Homère » mais aussi, bien sûr, « les aventures de Télémaque » de Fénelon.

Que de voyages, que d’aventures ton père et ton frère ont connus ! Mais qu’en est-il pour toi né le 09 avril 1895 à Levallois-Perret dans les Hauts-de-Seine en région parisienne ?

Je ne vais pas m’étendre sur le seul frère que je te connais car, j’ai déjà beaucoup parlé de ce rebelle, ce « mauvais garçon » qui aimait trop les voyages et qui, de vagabondages en vagabondages, s’est retrouvé en Afrique.
Ton père, grand voyageur, a connu les campagnes du Tonkin et a visité l’Argentine et le Brésil, entre autres tourismes à l’intérieur comme à l’extérieur de l’hexagone.  Le mouvement étant le moteur de son existence, il a été cocher puis, comprenant presque par instinct la grande liberté qu’elle promettait, il s’est entiché de la voiture automobile et il est devenu chauffeur de ce véhicule à moteur qui allait révolutionner les déplacements.
Toi, plus sagement peut-être, tu es devenu employé du chemin de fer ainsi, tu te déplaces avec une grande facilité et un certain confort.

Extrait de l'historique du 416e RI
Tu habites dans le 18e arrondissement parisien, avec ton père et ta mère Léontine Berger ; lorsque la déclaration de guerre est proclamée. Tu n’as pas 20 ans mais, tu vas tout de même être mobilisé et, dès le 19 décembre 1914, tu es considéré comme soldat.
Tu fais tes classes au sein du 76e Régiment d’Infanterie puis, le 1er avril 1915, tu passes au 416e Régiment d’Infanterie ; ce régiment où la jeunesse est légion, si jeune même que dans ses rangs, au
début de son existence, il comptait un enfant de 16 ans, le caporal Mouton, qui avait été blessé très sérieusement à Yprès et qui, à peine guéri, avait demandé de retourner immédiatement au front.

Tu connais ton baptême du feu, les horreurs et les grandeurs de la guerre et nous arrivons ainsi au 26 septembre 1915.

Ce 26 au matin, à Tahure, l’artillerie prépare l’attaque mais, la pluie gêne sa progression et

Extrait du JMO du 416e RI

l’observation est rendue très difficile… il faut même reconnaître les choses comme elles sont et ce jour-là, on peut qualifier la préparation… d’insuffisante… La fusillade fait rage dès 5 heures du matin … Les hommes glissent, s’enlisent dans la boue… la situation n’est pas optimale surtout que, de l’autre côté, l’ennemi est très bien organisé et les pertes du 416e R.I. sont considérables… 14 pages répertorient les 803 victimes de cette terrible journée ; dans ce tableau qui nous est ainsi présenté, une colonne est réservée aux prisonniers, mais elle est restée vide pourtant…

Mon pauvre Marcel, tu viens de « disparaître »…

 

Quelques instants avant, tu as été cloué au sol, un éclat d’obus t’a atteint au pied et à la main droite… c’est dans cette condition que tu as été fait prisonnier. 

Blessé, tu as été dirigé sur le lazaret de Cologne en Allemagne où tu as été soigné puis, remis sur pied, tu as été conduit au camp de prisonniers de Stendal en Saxe.

C'est là que, désormais tu partages ton sort avec 2 490 Français dont trois-cent-quarante-deux sous-officiers. Et, faute de voyager en dehors des frontières allemandes, tu peux côtoyer des Belges, des Anglais et des Russes.

Camp de Stendal - Saxe

Il paraît que tu es logé dans un baraquement spacieux et salubre ; tu dors sur une paillasse constituée de lanières de papier mélangées à de la paille, des copeaux de bois ainsi que du crin… que l’on oublie souvent de renouveler… Il est également dit que tu bénéficies d’un très bon accès à l’eau et que les installations sanitaires, douches et WC sont en bon état. Tu es également bien vêtu et l’étuve de désinfection fonctionne régulièrement. Tu as le droit à une portion de morue deux fois par semaine et de viande salée trois fois par semaine.

Intérieurement d'un baraquement - camp de Stendal

Pourtant, des plaintes sont régulièrement déposées concernant la nourriture, tant pour la qualité que pour la quantité comme cette histoire de pommes de terre dont la portion journalière par homme est fixée à 1,750 kg mais qui est réduite, dans les faits, à 0,700 kg. Il a été assuré que le commandant est bienveillant à l’égard des prisonniers et que la peine du poteau n’est plus infligée depuis 1916.

Tu dois fournir des travaux simples dans les champs ou sur la voie de chemin de fer  ou dans les usines et fabriques du voisinage, pendant huit heures par jour, trajet non compris… mais les gardes ont ordre de faire usage de leurs armes pour tout refus de travail… qui s’effectue également dans des mines et… une usine de munitions… Il paraît que l’on te verse 15 à 80 pfennigs par jour, en fonction du travail que tu accomplis et que, chaque matin, on te remet une marmite isolante tellement performante que, le midi lorsque tu l’ouvres, le déjeuner qu’elle contient est encore chaud…

Mais il n’y a pas que le travail et des distractions sont organisées et tu peux suivre la messe qui est célébrée par le père Henri Bloquet qui est l’un des prisonniers du camp en même temps que toi. Tu peux envoyer et recevoir le courrier sans contrainte…

En cas de maladie, tu es très bien soigné puisque trois médecins allemands sont en service dans le camp dont l’infirmerie est largement approvisionnée en pansements et médicaments, mais il faut tout de même déplorer des décès, principalement liés à la tuberculose, parmi les prisonniers.

Bon, je ne sais pas si l’on peut totalement faire confiance à ce rapport de visite du camp de Stendal mais en tout cas, la Croix Rouge, dès le 22 novembre suivant ta capture, a donné de tes nouvelles à ta mère.

Pauvre jeune homme, tu seras rapatrié le 13 janvier 1919 et, dès le 15 suivant, l’armée te passe au 1er Régiment de Zouaves puis, pense que tu serais mieux utilisé en exerçant ton métier d’origine et tu es classé au chemin de fer.

Est-ce cette affectation spéciale au chemin de fer qui te conduit dans l’Aube où tu t’installes rue Viardin à Troyes et où, le 19 août 1919, tu épouses Raymonde Bistac, la fille de tes voisins.

Est-ce ton séjour au camp de Stendal qui t’a coupé l’envie de voyager ? Peut-être n’avais-tu pas le virus qui avait contaminé ton père et ton frère ? Ou Troyes t’a semblé le paradis sur terre ? En tous les cas, après ton mariage, tu sembles ne plus jamais quitter la ville où, en 1937, tu deviendras régisseur et où tu décèderas en 1971 à l’âge de 76 ans.

Il me faut maintenant te quitter, le temps réservé à notre rencontre est maintenant écoulé et il faut que je rejoigne mon corps qui à besoin de son esprit pour mener à bien notre mission terrestre. Mais avant de partir, je te conseille de regarder ce qui se passe sur terre car il va encore être question de toi pendant la Grande Guerre.

Catherine Livet 

LIBRAIRIE 

FNAC
(pour la version numérique de mes livres)

Ce texte est écrit dans le cadre du #RDVAncestral de juin 2021. Cette rencontre est mensuelle, elle a lieu chaque 3e samedi du mois et est ouverte à tous. Vous voulez écrire au sujet de l'un de vos ancêtres mais, vous ne savez pas par où commencer, rejoignez l'aventure du #RDVAncestral

Sources/bibliographie

  • archives de Paris
  • archives de la ville de Troyes
  • archives de l'Aube
  • archives de la Croix Rouge
  • site Mémoire des Hommes
  • historique du 416e Régiment d'Infanterie
  • rapport des docteurs Blanchod et Speiser sur leurs visites aux camps de prisonniers français en Allemagne en mars et avril 1916.
  • "A nos Poilus" 2019 par Catherine Livet

6 commentaires:

  1. Merci Catherine pour cette lecture ... Nos héros du jour sont tous les deux employés du chemin de fer :)
    La description du camp de prisonnier me semble bien policée ....

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    1. Merci Véronique pour ta lecture. Oui, les conditions de détention semblent être parfaites... c'est toujours ce qui ressort des rapports que j'ai lus... les témoignages de prisonniers sont parfois divergents.

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  2. Réponses
    1. Merci beaucoup Christiane, c'est vraiment très gentil.

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  3. Une marmite isolante, ils ont osé écrire ça dans un rapport ? je reste pantoise. J'aime ton contre-rapport très second degré.

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  4. Oui, la marmite ! Il faut le faire ! Déjà à l'époque, il y avait des individus hors-sol qui, pourtant avaient un rôle officiel et, souvent, de premier rang à tenir.

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Merci pour cette lecture.
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