vendredi 11 mars 2022

1918 - Mes Parisiennes et la Grande Guerre - Fin (ou presque)

 Dans les deux épisodes précédents, Emilie Chalvet est devenue concierge du 39 rue Daguerre, au cœur du 14e arrondissement parisien, au début de cette année 1918 qui s’avérera très difficile ; comme ses sœurs, très proches d’elle, et tous les Parisiens d’ailleurs, elle a fait la connaissance des Gothas, ces avions ennemis qui jettent mort et destruction sur la capitale qui a cependant formidablement organisé sa défense… On a même pensé à protéger monuments et œuvres d’art… Les hommes affectés au Camp Retranché de Paris (CRP) dont les territoriaux, les « Pépères », ne restent pas les deux pieds dans le même sabot et même s’ils ne sont pas confrontés aux mêmes terribles horreurs que les plus jeunes qui risquent leur vie au Front, le rôle qu’ils ont joué, très important, n’est peut-être pas toujours apprécié à sa juste valeur. On a aussi vu que l’Etat français a repris la main sur l’unité de tous en appelant chacun à participer à l’effort de guerre, tous les ministères s’impliquent, notamment celui de l’instruction publique en mettant à contribution, sous forme de concours d’affiches, les écoliers. 

L’illustration ci-contre présente la création d’un élève de l’école communale du boulevard Pereire à Paris, André Ménard, il n’est pas précisé l’âge du lauréat mais, il était probablement adolescent. Le slogan : « Fumeurs de l’arrière, économisez le Tabac pour que nos soldats n’en manquent pas » ne serait sans doute pas vraiment encouragé de nos jours. 

Dos d'une feuille de tickets de pain - mai 1918

Partout, il est rappelé à « ceux de l’arrière » que les restrictions qui leur sont imposées ne sont assurément que peu de chose par rapport aux sacrifices qui sont demandés à ceux du Front. Des slogans édifiants sont imprimés sur tous les supports possibles comme sur le dos des feuilles de rationnement alors distribuées, comme celle de tickets de pain qui est visible en illustration.

Sensible aux incitations à participer par tous les moyens à l’effort de guerre, Germaine, la fille aînée d’Emilie qui vient de fêter ses 18 ans, quitte le 13 mars 1918 son emploi de brocheuse au sein des Editons Max Leclerc et se fait embaucher dans une fabrique d’obus… Pour être tout à fait honnête, sa contribution à la guerre n’a pas été sa seule motivation, la nécessité a également largement participé à ce changement d’emploi… il n’y a plus guère de travail dans l’édition traditionnelle, tous les ateliers et toutes les usines se sont convertis à l’armement… alors, elle se retrouve à peser des obus toute la journée pour en vérifier la charge… le nom de son employeur de cette époque n’est pas parvenu jusqu’à moi, les seuls souvenirs de cette période sont qu’elle travaillait dans le 15e arrondissement et la description de son emploi et les seuls documents que je possède sont une carte d’adhérente au comité d’entente des métaux voiture, aviation et électricité… et une carte de grève… car il y a eu des grèves en cette terrible année 1918 au sein des usines d’armement… Il paraît que peu de femmes étaient alors syndiquées… Germaine l’est depuis qu’elle a mis les pieds dans un atelier… Ces grèves ont rapidement été étouffées… mais mériteraient un chapitre entier tant parler d’elles ferait particulièrement appréhender la vie des ouvrières -et des quelques ouvriers qui restaient dans les usines et ateliers- de cette vraiment très difficile année.

File d'attente - distribution de charbon - quartier Opéra
Comme toujours, la stupeur passée, la colère oubliée, les Parisiens reprennent leurs occupations
quotidiennes, Emilie passe de longues heures dans les files d’attente pour aller chercher le ravitaillement, elle soutient et s’occupe activement des locataires les plus faibles de l’immeuble, les seuls hommes qui y habitent ont atteint un âge… disons… canonique et trois femmes ont de très jeunes enfants. Comme tous, elle s’est habituée à être sortie du lit par les alertes qui préviennent que les avions ennemis sont en approche, on se presse pour descendre à la cave, mais on ne se précipite plus, tout se passe dans le plus grand calme et on ressort des abris un peu au petit bonheur la chance parce que l’on n’entend pas souvent le signal de fin d’alerte, soit parce que le son ne parvient pas jusqu’aux entrailles de la terre où l’on se terre, soit parce que les pompiers chargés de sonner la fin de la menace ne l’ont pas fait trop occupés qu’ils sont à éteindre un incendie et à porter secours aux sinistrés. La nuit a été tranquille, pas d’alerte, on a pu dormir sur ses deux oreilles, mais en ce matin du 23 mars 1918 où il fait frisquet, la température doit être aux alentours de 3 ou 4°, ce n’est pas la « berloque » que l’on a oublié de sonner mais, bien l’alerte qui n’a pas été donnée pourtant… le sifflement terrible qui a été perçu par les piétons matinaux est bien celui d’une bombe
formidable qui vient de tomber dans
Rue de Vanves - Paris 14e - 23 mars 1918 /Gallica/agence Rol
un fracas assourdissant… On scrute le ciel bien dégagé à la recherche des Gothas meurtriers sans en apercevoir même l’ombre… Les sirènes hurlent enfin l’ordre de se rendre aux abris… mais la matinée est déjà bien avancée… les Parisiens vont rester terrés durant une grande partie de la journée car à espaces réguliers, d’autres bombes d’une puissance qui paraît inouïe vont s’abattre sur la ville… Les dégâts sont impressionnants partout et notamment dans le quartier dans lequel les habitants, l’alerte enfin levée, errent, hagards… marquant à vie les enfants du moins si j’en crois les souvenirs d’Emile, le fils d’Emilie, alors âgés de 11 ans qui racontera encore très, vraiment très longtemps après, les évènements de ce
jour de désolation… lui qui connaîtra pourtant la seconde guerre mondiale
Rue de Vanves - Paris 14e - 23 mars 1918 /Gallica/agence Rol
de près puisqu’il y participera comme soldat, n’oubliera jamais le sentiment d’effroi qui avait dominé tout son petit être, gravant pour toujours dans sa mémoire enfantine cette date du 23 mars 1918… il se croyait pourtant bien à l’abri dans les profondeurs de la terre, blotti dans les bras protecteurs de sa chère mère qui lui avait pourtant assuré qu’ils étaient descendus si bas sous terre, bien cachés par l’immeuble, qu’aucune bombe ne pourrait jamais les atteindre tant qu’ils seraient ainsi bien sages et silencieux au fond de la cave… mais l’enfant a ressenti le formidable tremblement en même temps qu’il percevait le terrifiant vacarme lorsque la bombe lancée avec une force incroyable s’est
abattue à deux pas d’eux, creusant un profond cratère rue de Vanves (aujourd’hui rue
Rue Liancourt - Paris 14e - 23 mars 1918 / Gallica/agence Rol
Raymond Losserand), là même où Emilie et Noé Livet habitaient durant les premières années de leur mariage, à quelques centaines de mètres du 39 rue Daguerre ; les immeubles aux alentours ont été pulvérisés, les vitres et des pans entiers de façades sont tombés partout dans le quartier, des toitures ont été emportées, des maisons entières ont été éventrées rue Liancourt, voie parallèle à la rue Daguerre, et puis, rapidement, les nouvelles se sont répandues… il n’y a pas que le triangle formée par ces trois rues du quartier qui a été transformé en champ de ruines… tout Paris a été touché, aucun quartier n’a été épargné…

Plus tard, les pompiers de Paris, dans leur rapport, noteront qu’ils auront, pour cette seule journée, comptabilisé 21 impacts de bombes plus 1 dans

la banlieue… Pendant que les civils sont invités à ne pas quitter les abris, les soldats, y compris les « Pépères » du CRP sont sur les dents, la chasse aérienne est immédiatement mobilisée pour aller débusquer l’aviation ennemie qui, pense-t-on, vole à si haute altitude que personne n’a pu la détecter ni par la vue ni par le bruit des moteurs… Un aviateur, peut-être volontaire américain, flirtant dangereusement avec la voie lactée dans l’espoir d’élever son appareil si haut qu’il pourrait localiser les Gothas sous lui, perd le contrôle et s’écrase lourdement pour trouver la mort sur le sol qu’il voulait défendre… Il faut se rendre à l’évidence, ce ne sont pas des avions qui ont pilonné la ville… Les études balistiques déterminent que les fragments d’obus qui ont été analysés appartiennent à un obus de 210 qu’aucun avion n’est capable de transporter, ces conclusions recoupent les rapports des services de renseignements qui avaient isolé l’onde d’un canon unique qui tirait à une vitesse de 1 5OO m/s contre environ la moitié pour les projectiles connus jusqu’alors, Paris vient d’être
Dessin humoristique - "Le Journal" 25 mars 1918

victime d’un canon à longue, très longue, portée… Au départ on a beaucoup de mal à le croire, on pense même à
une mauvaise plaisanterie pourtant, il faut bien se rendre à l’évidence, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, la mystérieuse arme de destruction est bien un canon… Le Ministère de la Guerre lui-même, dans un communiqué officiel, vient de l’annoncer… La légende de la « Grosse Bertha » , (celle des Parisiens) vient de naître mais, bien que ce canon existe alors, ce n’est pas lui qui vient de faire frémir mes Parisiennes mais le « Canon de Paris », une extraordinaire machine de mort qui a été installée, dans le plus grand secret, à 120 kilomètres, à Crépy-en-Laonnois dans l’Aisne, l’installation de ce gigantesque canon au fabuleux tube de 34 m et d’un poids avoisinant les 750 tonnes dont 175 pour le tube seul a complètement échappée à la défense ! L’annonce officielle du Ministère de la Guerre précisait « les mesures pour contre-battre la pièce ennemie sont en voie d’exécution » et c’était vrai, sans perdre un instant un canon de 240 mm est alors pointé sur le cœur du mal et pilonne dès le 24 mars la position ennemie parfaitement repérée faisant des morts allemands mais ne parvenant pas à détruire le puissant engin de guerre… Il paraît que ce « Pariser Kanonen » a été conçu et fabriqué pour bombarder Paris dans l’unique but de jeter la terreur et la panique dans la population… L’objectif est loupé car, décidément, une fois la surprise passée, il faudra beaucoup plus qu’un monstrueux canon à la portée titanesque pour terroriser les Parisiens, comme le démontre le dessin satirique paru dans « le Journal » du 25 mars. Je fais une petite digression pour les plus attentifs qui auraient remarqué que je parle d’obus de 210 mm et qu’il est noté obus de 240 dans l’article du journal en illustration… cette différence peut s’expliquer par le fait que, au passage du projectile, le tube du canon s’abîmait très vite et était donc chargé avec des calibres de plus en plus gros -pour rattraper le diamètre intérieur du tube qui se faisait donc, au fil des tirs, de plus en plus grand- de 210 donc à 240 en passant par 235 mm puis, après 65 tirs, le tube était remplacé et rechargé avec des obus de 210 etc.

Le « Canon de Paris » se révèle particulièrement meurtrier quelques jours seulement après ses premiers

"L'illustration" 06 avril 1918
essais et l’hécatombe du 29 mars est restée pour toujours gravée dans la mémoire collective française : en ce Vendredi Saint, les fidèles se pressent nombreux pour assister à la cérémonie des Ténèbres de l’église Saint-Gervais lorsque dans un fracas assourdissant que l’on entend dans presque tout Paris, un obus s’abat sur l’édifice religieux, pénètre la toiture et frappe un pilier soutenant la voûte dont une partie s’effondre sur les fidèles, pris au piège, provocant la mort et la désolation… Les secours sont rapidement portés mais se trouvent entravés par les chutes de pierre et la menace de voir le reste de la voûte tomber d’un seul tenant… Le bilan est abominable, on parle de 89 morts dont le Conseiller de la légation suisse et de 90 blessés. Monsieur Poincaré s’est rendu sur le lieu du drame ainsi que Monsieur Clemenceau et plusieurs autres ministres, le préfet, le Cardinal Amette, archevêque de Paris, s’est lui aussi précipité sur le lieu etc. Il y a unanimité pour condamner ce crime affreux où femmes et enfants ont été sacrifiés. Le Président de la République ira même visiter les blessés hospitalisés. « Le Petit Journal » du 31 mars dresse la liste des personnes tuées et blessées, fait part de l’indignation du monde entier dont la Suisse qui avait déjà perdu un citoyen tué à Paris lors d’un raid de Gothas, le quotidien nous expose le point de vue diplomatique et donne la parole au curé de la paroisse qui relate les faits vécus de l’intérieur de l’église… 

Le cardinal
Amette, profondément choqué, fait une déclaration parue dans ce même journal : « Hier, vendredi saint, à l’heure même de la mort de Notre-Seigneur Jésus Christ, alors que les fidèles étaient réunis dans les églises pour commémorer ce grand mystère, les Allemands ont recommencé à bombarder Paris, après une interruption de plusieurs jours. Un obus est tombé sur une de nos églises et la voûte s’est effondrée, écrasant de nombreux fidèles rassemblés pour l’office divin. On compte au moins 75 morts et 90 blessés ; dont la plupart sont des femmes et des enfants. Un tel crime, commis dans de telles conditions, en un tel jour et à une telle heure, soulève la réprobation de toutes les consciences. Dans notre profonde douleur, nous avons le devoir de nous faire l’écho de cette réprobation et d’en appeler à la justice de Dieu, en même temps que nous implorons sa miséricorde pour les victimes »
A la mémoire des victimes - Eglise St-Gervais
signé Léon-Adolphe, Cardinal Amette, archevêque de Paris. Dans les jours qui suivent ce drame, aucun journal ne diverge, les Allemands viennent de commettre l’irréparable et ce crime va longtemps rester associé à leur image… Bien entendu, comme toujours, les badauds se pressent pour voir les décombres… ceci dit, les passants ayant assisté au drame ont également été les premiers à porter assistance aux victimes. Un opuscule sera édité en 1919 relatant le crime et plus tard, un impressionnant monument commémoratif sera installé dans l’église en hommage aux malheureuses victimes.

Bien entendu, comme toujours depuis le début de la guerre, mes Parisiennes entre deux bombardements, reprennent leurs habitudes jusqu’à la nuit du 12 au 13 avril où les alertes signalent ces maudits Gothas dont, deux, ayant réussi à forcer la défense, viennent larguer leurs bombes

Rue de Rivoli - 13 avril 1918
meurtrières … une seule maison est atteinte mais… une conduite de gaz s’embrase et l’incendie gagne les bâtiments avoisinants… Ce sera la bombe la plus meurtrière de l’histoire des raids des Gothas sur Paris ; on extirpera 27 cadavres des décombres et on déplorera 72 blessés. Il semble que les citadins aient montré un peu d’humeur au sujet de ce raid car l’alerte a été sonnée alors que les avions ennemis étaient déjà dans le ciel parisien, il faut donc leur expliquer que pour échapper à la vigilance de la défense, les aviateurs allemands ont adopté de nouvelles techniques d’approche, haut dans le ciel, deux aviateurs coupent les moteurs et planent au-dessus des radars qui ne peuvent donc pas les localiser pendant que d’autres passent, moteurs en fonctionnement pour focaliser l’attention de la défense sur eux… On ne peut donc faire aucun reproche à nos vaillants défenseurs qui restent vigilants jours et nuits qu’il pleuve ou qu’il vente. Mais une fois de plus, les esprits ont été profondément marqués, tant et si bien que, en 1924, il sera décidé de garder le souvenir de ces

nouveaux crimes et une plaque de marbre pour un coût de 600 F, décorée des armes de Paris, sera installée sur la façade de l’immeuble du 12 de la rue de Rivoli.

Selon les souvenirs qui ont été transmis dans la famille et qui sont parvenus jusqu’à moi, le cousin de Noé, Désiré Henri Livet, serait intervenu lors de ce drame pour porter secours… C’est bien possible, comme il est aussi probable qu’il ait été présent sur bien d’autres lieux de drames et d’accidents puisque Désiré, très proche de la famille, né le 12 juin 1878 à Arnouville-lès-Mantes dans les Yvelines, était gardien de la paix à Paris durant toute la période de la première guerre mondiale.

Mes Parisiennes qui, décidément, s’habituent à tout ne rechignent à aucun sacrifice et passent leur temps dans les files d’attente pour qu’on leur remette une carte de tickets de rationnement pour absolument tout puis, munies du précieux sésame, passent encore des heures dans d’autres files d’attente pour récupérer les quelques denrées auxquelles elles ont droit… Il est même imaginé d’interdire de servir de la viande certains jours de la semaine… 

La vie difficile, les privations, la très grande mobilité… les soldats rentrent du front, passent quelques permissions en famille… apportent des maladies… repartent avec d’autres… font que cette fichue

grippe que l’on nomme encore aujourd’hui espagnole est là, tapie en embuscade, prête à se propager partout en France et en Navarre… Au départ, on ne fait pas attention à elle, une grippe, qu’elle soit espagnole ou d’une autre nationalité reste une grippe… bon, il est vrai qu’elle semble très contagieuse… qui ne tousse pas durant ce printemps 1918 ? Mais il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat… l’évolution est brève et bénigne pour la plupart de la population, il faut juste faire attention aux nourrissons et aux anciens… comme toujours. Au début du mois de juillet, les rapports des services de santé des armées laissent penser qu’avec les beaux jours, elle va même complètement disparaître… ouf ! on vient d’échapper au pire… Pourtant, on apprend dans le même temps qu’à Londres, rien ne fonctionne… les fonctionnaires et les
ouvriers sont alités… la grippe sévirait également outre-Rhin, les Boches semblant être très touchés… alors que nos troupes y résisteraient merveilleusement bien… Pour les Français, il suffit d’apporter quelques soins du nez et de la gorge tout en évitant les réunions… Mais voilà que la grippe, pratiquement absente des journaux jusqu’alors devient presque quotidienne dans les colonnes de la presse parisienne… On trouve tous les conseils possibles pour se prémunir et même pour se soigner…
les réclames pour des remèdes tous plus formidables les uns que les autres
fleurissent dans les journaux. La grippe finit par arriver au 39 rue Daguerre et se déclare un matin, il n’est même pas 5 heures, Léontine, une toute jeune maman, locataire du premier, appelle au secours, les portes claquent derrière elle, elle arrive devant la porte de la loge d’Emilie qu’elle appelle à la rescousse, sont petit Adolphe étouffe, il brûle de fièvre… les deux femmes remontent s’occuper du bébé, font bouillir de l’eau et Emilie se lance dans un savant mélange d’eau chaude et d’eau froide pour obtenir une eau à une température à un degré de moins que celle du petit corps qui se tord de douleur… les voisines sont accourues, l’une charge le poêle de charbon, une autre distribue des linges imbibés d’eau de javel, une autre encore attrape les vêtements et les draps du petit malade, les jette dans une lessiveuse… Bref, on fait tout ce que l’on peut pour enrayer la propagation de cette fichue grippe et tout ce que l’on croit bon de faire pour soigner le petit être si fragile… jusqu’à lui verser quelques gouttes de rhum dans l’eau qu’on l’oblige à boire… mieux encore, Emilie est redescendue préparer une mixture dont elle a le secret… une soupe d’ail… Avec tout ça, le jour s’est levé, Germaine est sortie à la recherche d’un médecin, il n’y en a plus beaucoup dans le quartier, comme dans tout Paris d’ailleurs… il y a le Docteur de la rue Lalande qui a repris du service, il a plus de 70 ans… mais lorsque Germaine arrive chez lui, il est déjà parti au chevet d’un autre malade… Elle court alors jusqu’à la rue Boulard chez les sages-femmes… mais là aussi, elles sont déjà au chevet d’autres enfants malades… A la pharmacie, après une attente dans une file interminable, Germaine s’entend dire qu’il n’y a plus de quinine… mais déjà, elle n’a pas trouvé de rhum dans les commerces pour préparer au moins un bon grog…

Soyez rassurés, le petit Adolphe, après son bon bain de siège et sa goûteuse soupe à l’ail s’est vite remis. Mais dans les jours qui vont suivre, pratiquement tous les locataires vont tomber malades… Emilie va être chaque jour à leur chevet, les obligeant à ingurgiter sa fameuse soupe à l’ail… il n’y aura aucun décès…

Cette grippe à laquelle personne ne faisait attention, bénigne au début est devenu terriblement meurtrière et… le sujet de toutes les conversations… les bruits les plus fous se répandent… le bacille de la grippe aurait été introduit dans des conserves par les Allemands… Des oranges auraient été également contaminées…

Certains habitants quittent la capitale pour tenter de fuir l’épidémie… pas mes Parisiennes…

Une des bonnes nouvelles de cette période maudite sera l’arrivée mi-octobre, des 500 hectolitres de rhum promis aux Parisiens… il faudra aller le chercher dans les pharmacies… avec une ordonnance…

Quelques jours plus tard, arrive une autre bonne nouvelle… malgré les privations, les peurs et cette fichue grippe… Marie Chalvet, la sœur d’Emilie, met au monde un beau gros bébé plein de vie que l’on nomme Raymond Lucien Montenach… si le père de l’enfant est absent, cette naissance lui vaudra un retour anticipé… il regagnera ses foyers le … 06 novembre prochain.

La grippe est oubliée au 39 de la rue Daguerre et tout le petit monde d’Emilie a repris son train-train habituel jusqu’au jour où… Emilie est malade… Sa fièvre est si forte qu’elle ne reconnaît personne… elle délire… elle frissonne… elle crache… elle râle… une chape de plomb tombe sur l’immeuble… on ne fait pas de bruit… on pense à retenir les portes pour qu’elles ne claquent pas… on parle à voix basse… même les babillages se font murmures… Germaine, sa fille, un peu affolée, trop jeune, se rue chez Adrienne Soutiran, l’amie de sa mère qui habite alors au numéro 84 de la rue Daguerre ; les deux femmes se connaissent bien, depuis l’enfance, elles exercent le même métier, ensemble, chez Emilie ; elles ont toujours habité à deux pas l’une de l’autre… C’est Adrienne qui va soigner la malade et l’obliger à avaler la trop goûteuse soupe à l’ail dont elle connaît la recette… et un matin, Emilie se sent mieux… la grippe n’est plus qu’un mauvais souvenir. 

Catherine Livet

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Sources / Bibliographie
Archives de Paris
Gallica / Presse
Archives privées
et, bien entendu, souvenirs familiaux

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