Dans la première partie, mes Parisiennes de 1918 ont fait la connaissance des Gothas, la visite de ces volantes machines de mort va devenir habituelle au-dessus de Paris et mes Parisiennes comme tous les habitants de la capitale vont apprendre à vivre avec.
l’aviation allemande, elle doit donc montrer son efficacité ; chaque Parisien se presse pour prendre connaissances des avis de la préfecture, on se prête les journaux qui circulent de logement en logement. La première consigne donnée en cas d’attaque d’aéronefs est d’éteindre les lumières... la lumière est un sujet qui va être très développé par la défense. Ainsi, pour atténuer le rayonnement lumineux de la ville qui la rend trop visible des aviateurs ennemis, un essai concluant de “lumière bleue” a été mené dans le septième arrondissement de Paris, la mesure est étendue à toute la capitale, les vitres des candélabres et des verrières doivent être teintes en bleu et les propriétaires privés sont également tenus d’adopter le bleu... les règles d’éclairage tant des lieux publics que privés deviennent très strictes et des amendes sont distribuées aux contrevenants.
Il faut donc rendre Paris le plus invisible possible, en revanche, la lumière va être utilisée, sous forme de gros projecteurs, pour empêcher les aéronefs de survoler la ville, c’est le principal objectif de la Défense Contre les Aéronefs (DCA) du Camp Retranché de Paris (CRP). Parce que si jusque-là, on avait un peu bricolé avec les moyens du bord dans la défense de Paris -c’est par exemple de l’artillerie de campagne qui avait été installée sur la Tour Eiffel pour repousser les Zeppelins-, le gros des moyens étant bien entendu dirigé sur le front, un matériel spécifique, très technologique, est maintenant développé comme ce volumineux paraboloïde Baillaud mise au point par le lieutenant du Génie qui lui a donné son nom qui sera fabriquée en petite série.
On parle beaucoup à Paris, Emilie en tant que concierge est vite au courant de tout ce qui se passe, de ces fabuleux appareils qui, en résumé, permettent de déterminer la position d’un avion ennemi non visible en captant le son de son moteur ; des projecteurs non moins impressionnants par la taille sont pointés vers le ciel dans lequel, parfois, les Parisiens distinguent les “saucisses”, ces immenses ballons captifs sous lesquels sont attachés des câbles d’acier dans lesquels les avions ennemis se prennent et brisant leurs ailes fragiles, s’écroulent, en morceaux, sur le sol. Bien entendu, ces dispositifs viennent compléter les canons anti-aériens qui ont également été améliorés et spécialisés.
Essai de fumigènes - mars 1918 - Quais de Seine en plein Paris |
Peut-être avait-il simplement confiance en ses “Pépères” affectés au Camp
Retranché de Paris dont je parlerai prochainement parce que, bien entendu, j’en ai plusieurs dans ma généalogie de ces “Pépères” qui ont parfois payé un lourd tribut. Différents appareils sont utilisés pour diffuser ces écrans de fumée tel celui dit Verdier comme présenté sur la photo d’illustration tirée de l’ouvrage de la bibliothèque du musée de l’armée à Paris “L’organisation de la défense contre aéronefs du Camp retranché de Paris 1914-1918” Fumigène Verdier après 3 min d'utilisation
Naissent alors, d’imaginations stimulées par les circonstances, des idées qui nous paraissent aujourd’hui pour le moins farfelues, il est même très sérieusement envisagé de faire un faux Paris... l’aviation allemande serait ainsi astucieusement dirigée vers des leurres placés dans des zones désertes aux portes de la ville ; on fait appel à des artistes pour peindre d’immenses toiles qui figureraient les toits des monuments par exemple...
En fait, seule la première tranche a été menée à bien, la reconstitution de la gare de l’Est avec des trains, simple assemblage de planches, mais très savamment éclairé latéralement pour figurer la lumière intérieure des wagons, des vapeurs artificielles et des toiles peintes, comme un décor de théâtre, étant ajoutées au tout...
Bon, il nous faut faire un bel effort d’imagination pour voir un train en regardant cette photo... pourtant, bien mis en scène, vu du ciel, de nuit... l’illusion opérait.
D’autres mesures de protection sont prises et, à chaque fois, les Parisiens se déplacent pour aller voir les mises en œuvre... on regarde avec grand intérêt les ouvriers, triés sur le volet, qui sont chargés, sous l’autorité du service des beaux-arts, de descendre avec mille précautions, l’un après l’autre, les vitraux monumentaux, si précieux, de la Sainte-Chapelle de l’Ile de la Cité pour les préserver des bombardements. On protège les monuments par des sacs emplis de sable ou de terre que l’on place sur des échafaudages érigés le long de leur façade... la vue n’est pas très agréable mais, c’est sans compter sur la créativité des Parisiens qui, voulant retrouver un peu de beauté au sein de cette capitale qui, enlaidie par la guerre, ne les ravit plus à chaque instant et, comme il faut aussi protéger les vitres qui ont une fâcheuse tendance à se briser au passage des Gothas, on colle du papier gommé sur les vitrines des magasins... mais on le fait avec art et chaque boutiquier rivalise d’imagination pour que son décor soit plus joli que celui du voisin... chacun devient artiste et les “œuvres” ainsi exposées dans les rues de Paris offrent une distraction aux Parisiens. Les grands magasins participent également à ce concours d’un genre particulier et, même si elles n’ont strictement rien à acheter, Emilie et ses sœurs aiment flâner de temps à autre devant ces éphémères expressions d’art graphique.Le papier gommé contre le bris des vitrines, devient décoratif
Mais au 39 rue Daguerre, sur lequel Emilie Chalvet, concierge du lieu, veille avec un grand dévouement, ce qui passionne les locataires de l’immeuble, mais aussi les habitants de toute la rue, du quartier, de l’arrondissement, de tout Paris en fait, c’est l’affaire Bolo qui occupe la une des journaux. Les langues vont bon train et on commente volubilement le passé pour le moins aventureux de ce Paul Bolo que l’on surnomme alors Bolo-Pacha parce qu’après des aventures plus ou moins avouables, il est devenu le conseiller financier d’Abbas II Hilmi, Khédive d’Egypte. Mais voilà que, dès la fin de l’année 1914, le Khédive, considéré comme trop proche de l’Allemagne, est destitué et doit s’enfuir en Suisse ; Bolo reste son conseiller et aurait pris contact avec des banques allemandes dans le but de contrôler des quotidiens français... Dès janvier 1917, une enquête avait été menée et les services secrets avaient mis à jour que les comptes de Bolo avaient été crédités de onze millions de Marks, qui avaient transités par une banque américaine après avoir été émis par la Deutsche Bank. Arrêté en septembre 1917, Bolo est déféré devant le conseil de guerre de Paris en février de cette année 1918, le magistrat qui instruit l’affaire est le capitaine Pierre Bouchardon... Oh là là ! Comme on se souvient de lui à Paris... c’est lui qui avait dirigé le procès de l’espionne appelée Mata Hari qui a fini face à un peloton d’exécution en octobre dernier ! Ce qu’Emilie ne pourra jamais savoir, et c’est mieux ainsi parce que je me demande bien ce qu’elle en aurait pensé, c’est que ce même magistrat instruira le procès de Philippe Pétain et celui de Pierre Laval qui jouera un rôle important dans la vie de son futur petit-fils... mais ce n’est pas pour tout de suite car, pour l’instant, ce 14 février 1918, Paul Bolo dit Bolo-Pacha est condamné à mort, l’exécution prévue le 08 avril suivant sera repoussée au 17, mais les Parisiens suivront l’affaire jusqu’au bout... un impressionnant service d’ordre sera mis en place pour empêcher la foule -l’heure est pourtant très matinale- de s’approcher trop près du polygone du tir de Vincennes où a été préparé le poteau où sera exécuté le traitre... au même endroit que la belle espionne évoquée un peu plus haut.
La foule qui voudrait assister à l'execution de Paul Bolo - Photo extraite de "Le pays de France" du 25 avril 1918 |
Je ne sais pas si mes Parisiennes ont tenté d’assister à ce morbide spectacle... Emilie n’a rien dit à ce sujet et si elle était extrêmement curieuse -Parisienne jusqu’à la façon de penser- elle était bien trop bienveillante pour pouvoir se délecter d’une telle horreur.
Et voilà, dans les grandes lignes, la vie de mes Parisiennes en ce mois frileux de février 1918.
Catherine Livet
Sources/Bibliographie
Gallica
Le Pays de France
Le Journal
Archives de Paris
Bibliothèque du musée de l’armée
et, bien entendu, les souvenirs familiaux
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