jeudi 28 avril 2022

Intimisme : Passé et avenir

Le destin est cruel pourtant, la vie est belle. En ce printemps 1922 où le plus beau jour de sa vie devait s'insérer, Germaine pensait être la seule à savoir qu'au plus profond d'elle-même un mystère se jouait. La mort lui a enlevé son beau parti mais, au lieu d'un grand vide, c'est la vie qui l'envahit... et sa mère et ses tantes, ses cousines et même les voisines ont deviné depuis déjà longtemps que leur petite princesse allait devenir mère. Il n'y a guère que Papa Noé à n'avoir rien compris et il est tout surpris et si heureux lorsque sa Germaine adorée, comme lorsqu'elle était petite fille, vient se lover contre lui, l'entoure de ses bras blancs en posant son joli visage sur son épaule pour lui confier son secret. 

On danse de joie et le champagne est de la fête, car un petit miracle dont on ne se lassera jamais est en train de se produire, un enfant va naître... Ils sont tous là, ceux du clan des Livet. Chacun se souvient de l'enfant qu'il était ou de ceux qu'il a eus. Il y a longtemps, si longtemps, Thérèse Livet avait tout juste 18 ans et était domestique dans une grande maison à Versailles jusqu'à ce qu'elle enfante, le jour de Noël 1873, d'un garçon, cadeau du ciel, que l'on a prénommé Noé. Personne ne sait plus qui était le père, même son nom n'a pas marqué la mémoire... géniteur dérisoire, sans aucun intérêt pour l'histoire, sa présence aurait faussé le futur car Thérèse s'est mariée, avec un autre, en décembre 1877 et a offert un papa à Noé avant de le faire devenir l'aîné d'une belle fratrie dont un frère et une sœur berceront le petit de Germaine. Ils formaient alors une si belle famille dont le chef, Jean Berroy, travailleur soigneux à l'excellente réputation, gagnait confortablement leur vie. C'était sans doute trop de bonheur et il fallait que cela cesse alors, l'implacable destin a fait chuter l'entrepreneur en nettoyage de devantures de la hauteur d'un deuxième étage parisien ; se cramponner à son échelle n'a servi à rien et Jean Berroy a violemment pris contact avec les pavés glissants... Oh, bien sûr, les passants se sont empressés de le secourir ! Il a été transporté à la pharmacie du coin où il a trépassé quelques minutes après, le crâne fracassé. Ils ont beaucoup pleuré, se sont tordu les bras de douleur ; perdus, ils ont tourné en rond, pleurant le passé, avant de reprendre le chemin de l'avenir... Thérèse a retrouvé un bon ami, lui aussi était entrepreneur et bien apprécié de ses nombreux clients, il avait un beau métier qui plaisait bien à Thérèse qui, à ses côtés, en a appris les rudiments pour pouvoir l'aider ; c'est ainsi qu'elle est devenue "fourreuse". Cet homme a été un si parfait papa pour les enfants de Thérèse que la mémoire familiale, à force de le présenter comme le père de Joséphine et d'Emile Berroy a gommé son nom et tous ceux qui ne connaissaient pas toute l'histoire l'ont nommé Jean Berroy...  

Le temps a passé et Noé a rencontré Emilie, la petite orpheline qui vivait avec son frère qui s'occupait bien d'elle sous la surveillance devenue maternelle de leurs sœurs Louise et Marie. Noé devait devenir boucher, mais cela aurait été trop bête, il n'aurait jamais rencontré la demoiselle Chalvet. Heureusement, il a finalement préféré être cocher et son fiacre l'a conduit jusqu'à la jeune fille ; toutes les semaines, il venait chercher le travail de reliure qu'elle faisait à façon pour l'apporter au patron.
Emilie est née le 19 août 1881, ici, dans le village du 14e parisien ; elle est la dernière, le bébé, le chouchou, la protégée... elle si vive, tellement jolie, extrêmement raffinée... La maman, Thérèse Neuhaüs, est partie de l'hôpital Broussais, impuissant à la soigner, usée par son dur métier de blanchisseuse, le 21 octobre 1891, vers des cieux plus cléments... Elle n'avait que 43 ans. Charles Edouard ne s'est pas remarié et, las de la vie, l'a quittée le 04 mai 1898, âgé de seulement 54 ans. Il semble qu'il n'exerçait plus son métier de doreur sur tranche, mais qu'il était simplement vendeur de journaux... Que lui est-il arrivé ?
Emilie est mineure lorsque Noé la demande en mariage alors, il faut obtenir un accord mais le juge de paix n'a plus qu'à entériner, le 24 mars 1899, celui du conseil de famille qui a déjà adopté le futur. Le mariage est célébré le 15 avril suivant ; les oncles de Noé sont venus l'épauler et c'est son frère, Emile, qui conduit la promise à l'autel. Pas de robe voyante, pas de plume au chapeau, le deuil est trop proche...
Ils s'aiment et sont heureux, l'enfant qui leur arrive est un cadeau de Dieu... C'est sans doute trop de bonheur qu'il faut absolument atténuer, alors la fatalité frappe un grand coup et lance la lourde voiture à bras d'Emile Chalvet, le frère de la jeune mariée, à grande vitesse sur les pavés glissants d'une rue de Paris... Emile s'arc-boute de toutes ses forces, tentant vainement de planter ses talons entre deux pavés, mais la voiture le projette au sol, lui roule sur le corps et l'accroche, l'entraînant dans une folle descente, son corps désarticulé frappant la chaussée... Il n'est même pas 5 heures du matin, le 22 août 1900, mais  Paris s'éveille doucement... Alertés les livreurs de journaux, de lait et de vin laissent choir sur le trottoir leur si précieuse marchandise et se lancent à la poursuite de la maudite carriole qu'ils ne rattrapent que lorsqu'elle finit sa course contre le mur d'angle d'une maison... On l'empoigne, la soulève et la pousse sur le côté pour dégager la victime... Ses vêtements sont en loques, ses chairs déchiquetées et ses membres disloqués... il souffre, il hurle lorsqu'on le charge sur la charrette meurtrière pour le conduire à l'Hôtel Dieu, l'hôpital le plus proche, où il rend l'âme quelques instants après son arrivée. La vie est si cruelle mais il faut continuer à l'aimer et jamais Emile et sa mort tragique ne seront oubliés... Son prénom sera donné au fils d'Emilie qui naîtra en 1907.
Celle qui sera appelée Germaine, mais qui est encore Andrée, est alors si petite, si fragile qu'il faut la protéger et transformer chaque instant de son existence en félicité car, qui peut savoir si ce ne sont pas les dernières secondes de sa vie ?

Germaine a surmonté les difficultés, elle est devenue une femme accomplie, la mission est réussie. Il n'y a plus maintenant qu'à accueillir l'enfant, nouveau maillon de la vie.

Catherine Livet

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4 commentaires:

  1. Que de drames autour de cette famille, et pourtant ils se relèvent à chaque fois ! La rage de vivre !

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    1. C'est vrai qu'ils ont connu bien des misères et qu'ils étaient pourtant d'une rare bienveillance

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  2. L'histoire familiale est riche, il y a de la matière à dire, mais quand même, 1100 mots en quoi ? deux jours. C'est là que je me dis que quelque chose cloche chez moi ! je tourne à 150 mots par jour, j'ai eu raison de commencer tôt mon projet. Merci beaucoup pour ce bel exemple de travail que tu acceptes de partager avec nous.

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    1. Qu'importe le nombre de mots ? Il faut avancer à son rythme et être fier de son histoire. Merci à toi pour ta lecture et ton commentaire.

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Merci pour cette lecture.
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