mardi 3 mai 2022

Intimisme : Naissance

Les semaines et les mois se sont succédé, les nausées se sont espacées, se mouvoir est devenu difficile, ne parlons pas de tenter de lacer ses bottines... Germaine aimerait tant retrouver ses habitudes d'avant, rire et danser avec ses amis, pourtant elle est si fière de porter la vie, heureuse d'être le centre de son monde... Qu'elle veuille juste soulever un broc et l'on se précipite pour le manipuler à sa place... elle ne doit prendre aucun risque, sa mission est trop importante... il faut que sa santé et ses forces soient préservées et que de son sein sorte le plus bel enfant que la terre puisse connaître...

Certaines lui prédisent une fille, d'autres un garçon... Les commères voient cela à la rondeur de son ventre, il paraît qu'elle porte haut... La sage-femme dit qu'elle ne sait pas... Alors, il faut tout prévoir. Si c'est un fils, il s'appellera René, si c'est une fille, elle s'appellera Renée... Qui a fait ce choix ? Germaine, sans doute puisqu'elle est la seule responsable de l'enfant à naître, mais l’a-t-elle décidé toute seule ou ses parents ont-ils influé sur sa décision ? 

C'est Berthe, une amie de la famille, qui a suivi toute la grossesse de Germaine ; bon, il faut dire qu'elle est entre de bonnes mains, celles de la meilleure sage-femme de tout Paris, c'est normal, c'est une amie du quartier. N'empêche que Madame Brehm a une excellente réputation au point tel que sa maison d'accouchements est confondue avec la clinique Baudelocque, puisque cette dernière, annexe de l'hôpital Port-Royal, est en travaux.

Le terme, à n'en pas douter, est proche et Noé clame partout qu'il va être grand-père ce 25 décembre... les paris sont ouverts, il est persuadé que son petit-fils - il n'en doute pas, c'est un garçon que sa fille attend - va arriver le jour de Noël, comme lui... mais Noé perd son pari... Le 25 décembre 1922, sa fille était lourde, elle n'a presque pas touché au merveilleux repas préparé par sa mère Emilie et ses tantes Louise et Marie ; elle n'a même pas tenté d'esquisser un pas de danse ; elle est restée sur le sofa, souriante et heureuse de la fête puis, bien lasse, elle est allée se coucher... La vie qui se développe en elle serait-elle devenue un enfant ? Combien de temps faudra-t-il encore attendre ?  Et puis, voilà, c'est arrivé... ce 26 décembre, elle s'est levée en s'appuyant lourdement sur la table de la salle à manger où elle n'a fait que picorer dans les plats, pourtant ses préférés, que sa mère lui avait préparés. Elle a laissé échappé un "Oh !" de surprise et de crainte lorsqu'elle a senti un liquide chaud lui couler le long des jambes... Emilie et tante Louise sont venues la soutenir pendant que Noé attrapait le petit sac de voyage préparé depuis longtemps déjà et se précipitait, avec son fils, dans l'escalier pour aller préparer sans attendre le fiacre... il n'y a pas loin à aller, la clinique de Berthe est à moins de 200 mètres de la maison... Le travail a été long et pénible malgré que Germaine ait bien appliqué toutes les techniques de respiration et de relaxation qui lui avaient été enseignées durant ces longues semaines de grossesse. Et enfin, déchirant ses entrailles, se propulsant hors de son corps tourmenté, il est né, l'enfant tant attendu par le clan des Livet... Il est 23 h et le miracle s'est accompli... c'est un garçon qui pousse un cri de surprise lorsque le souffle de la vie emplit pour la première fois ses minuscules poumons... Les douleurs de l'enfantement sont oubliées, la parturiente se change instantanément en maman et déjà elle a peur pour le petit être qui fait encore un peu partie d'elle... A-t-il tous ses doigts ? Voit-il ? Entend-il ? La sage-femme et ses aides rudoient le nouveau-né, elles rient en le lavant et en le badigeonnant avec on ne sait pas trop quel onguent pour que sa peau fragile puisse résister à toutes les attaques... ce bébé est beau et il n'y a pas que la mère à le dire...

On l'emmaillote, on l'emmitoufle et, précautionneusement, on le transporte à deux rues du 29 de la rue Boulard, où il est né, jusqu'à l'immeuble des Livet où tout est prêt pour le recevoir... Son trousseau est digne de celui d'un prince... Elles ont coupé, elles ont cousu, elles ont brodé… elles ont crocheté, elles ont tricoté… Elles se sont unies, comme elles l’ont toujours fait, pour partager les joies et l’adversité ; il y avait Germaine et sa mère et la sœur de cette dernière, mais aussi Georgette, Henriette et leur sœur Jeannette Sirejean ; il ne faut pas oublier Thérèse Livet, l'arrière-grand-mère et Joséphine Berroy, sa fille, ainsi que les femmes Soutiran et sans doute celles de la branche des Montenach, descendantes de Marie, l’autre sœur d’Emilie Chalvet.

Il y avait si longtemps que l’on n’avait pas enregistré une naissance au sein du clan des Livet que ce bébé est devenu un cadeau précieux pour chacun… Emilie est si heureuse de voir l'excellente santé de son petit-fils qu'elle en oublierait presque la très lourde opération, une hystérectomie totale, subie le 17 juillet dernier, à l'hôpital Cochin... sauf que l'intervention chirurgicale ne peut pas être qualifiée de réussite...
En tous les cas, elle est ivre de joie, d'assister aux premiers pas du bambin et d'entendre ses premiers mots. Pourtant, Emilie ne va pas bien... Depuis l'opération, sa fine silhouette s'est considérablement alourdie, son corps s'est élargi mais, tout cela ne serait rien si elle n'avait pas cette terrible douleur dans le ventre qui l'empêche de vivre normalement... Elle consulte à Cochin et le médecin lui prescrit le port d'une ceinture abdominale jusqu'au 30 juin 1924 où le chirurgien intervient, malgré les risques, une seconde fois... Emilie n'a que 43 ans...
Heureusement, le petit René, point central de toute la famille, est en excellente santé... on s'amuse un peu de sa manière de parler... il n'arrive pas à prononcer certains r... comme sa mère sauf que, contrairement à elle, le phénomène ne s'améliore pas avec le temps... Le petit René ne serait donc pas parfait et aurait peut-être hérité du défaut de prononciation de son grand-père, qui lui-même, comme le dit sa propre mère, Thérèse Livet, l'aurait tenu de son père à elle, François Frédéric... Ce n'est pas très grave, l'enfant est gai et vif, curieux de tout et charmant...
Et puis, il y a d'autres préoccupations. Que se passe-t-il ? Germaine est toujours fatiguée et se plaint de maux de tête... et un jour, soudainement, elle s’effondre, sans connaissance, en pleine rue… On se précipite, on lui défait son corsage pour qu’elle puisse respirer… on lui tapote les joues pour la faire revenir à elle, on lui fait boire un peu d’eau-de-vie pour la remonter puis on la relève et on la porte jusqu’à chez elle… Depuis cet évanouissement inexpliqué, les céphalées sont devenues continues et le 25 novembre 1926, en plein diner familial, elle va s’affaler, sans connaissance, dans son assiette… Son frère Emile et leur père Noé vont la transporter jusqu’à l’hôpital Broussais où elle est immédiatement admise mais il faut bien se rendre à l’évidence, personne ne peut rien pour la jeune femme… une tumeur maligne a été diagnostiquée… Noé décide de ramener sa fille à la maison pour qu’elle meure entourée des siens dans un lieu familier et apaisant… elle sort de Broussais le 08 décembre 1926 et décède dans l’immeuble des Livet le 04 janvier 1927, le petit René a 4 ans….
 
Catherine Livet
Ceci est la fin de la première phase de rédaction.
 

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1 commentaire:

  1. J'avais donc lu les 3 premières parties et il manquait celle-ci. C'est très bien écrit, beaux récits.

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Merci pour cette lecture.
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