vendredi 22 avril 2022

Intimisme : Source de vie

Ses premiers pas la conduisent au seuil du 20e siècle, éblouissant de promesses de prospérité, de science et de progrès.

Elle est couverte de soie et de dentelles et est parée d'ors et de perles... c'est normal, ses parents sont persuadés d'avoir engendré une princesse...

Elle s'appelle Andrée mais on l'appelle Germaine ; il paraît que cela vient d'elle... Pitchounette qui ne saurait pas prononcer le "r" d'Andrée, c'est du moins ce que colporte le souvenir familial... comme je m'empresse de le faire... Ce n'est pas vraiment un drame mais, elle porte sans doute un germe héréditaire, qu'elle transmettra et qui expliquerait quelques mystères nés bien avant le 17 janvier 1900, jour où la douce Emilie Chalvet a enfanté la fille de Noé Livet qui deviendra la reine du Petit Montrouge, quartier du village de Paris 14e.

Elle est vive, elle est gaie, elle est gâtée... je pense même un peu capricieuse, mais puis-je réellement donner mon impression sur celle qui sera ma grand-mère et que, jamais, je ne connaîtrai ? Elle aime les parures, les fêtes, le théâtre et les livres sont sa passion... tout comme faire des glissades sur la rampe de l'escalier principal, 26 rue Deparcieux, avec le fils de la bignole... Il est trop Chou, Lucien ; elle le connaît depuis toujours ; il avait quatre ans lorsqu'elle est arrivée sur terre... Les parents, les amis, les voisins se voyaient bien organiser un beau mariage, plus tard, pour les petits fiancés, si beaux, si gentils, si aimés du quartier... Mais le voila soldat, la France a besoin de bras depuis qu'elle est en guerre. Lucien Chou n'est plus, depuis le 12 avril 1915, qu'un matricule du 169e régiment d'infanterie. Il en a connu des choses terribles dans la Somme, il n'en parle qu'à mots couverts... "C'est plus calme ici que dans la Somme mais, les tranchées sont pleines de boue...", écrit-il. Il a tellement froid, là-bas, loin du 14e... Il s'ennuie tant de sa douce qu'il lui envoie presque chaque jour, à chaque fois qu'il peut le faire, une page de prose joliment décorée de guirlandes de fleurs... Mais pourquoi sa belle ne lui adresse-t-elle pas de photographie ? Pourquoi ne répond-elle pas promptement à ses missives affectueuses ? Il a froid, il a si froid que son pied droit a manqué être gelé... Heureux instant dans cette période de malheurs, il est permissionnaire...

Il arrive. Elle court vers lui mais, se tord les pieds à cause des talons des bottines qui remplacent désormais les solides souliers qu'elle chaussait, hier encore, lorsqu'elle était enfant. Il court vers elle qui se jette dans ses bras... Il rêvait de déposer de gros bécots sonores sur ses bonnes joues roses mais les rondeurs de l'enfance de sa bien-aimée ont disparu... Ils rient, se congratulent mais, ne se reconnaissent pas... Il a changé ; ses yeux de velours brun se sont ternis, ses joues se sont creusées, ses lèvres se pincent et malgré la joie des retrouvailles, son visage dégage une certaine tristesse... Comme hier, ils se tiennent la main et avancent fièrement dans les rues de leur village. Il faut répondre au salut de tous, heureux du retour du "p'tit de la Lucie", les voir ensemble réjouit les uns et amuse les autres.

Il faut qu'il embrasse Emilie, la mère de la demoiselle. Il pousse la lourde porte et s'élance dans l'escalier mais la belle freine son ardeur, empêtrée dans ses lourdes jupes qu'elle n'a pas eu le temps de remonter... 

Mais quel est ce petit qui vient au devant d'eux, qui lui serre la main en l'appelant Monsieur ? Mais si, c'est bien Emile, le frère de Germaine ! Lucien se souvient très bien. Pour chasser les larmes du bambin, chagrin de le voir partir, il avait fermement agrippé les bras de l'enfant et, tournant sur lui-même à très grande vitesse, l'avait soulevé dans les airs pour lui faire faire la toupie et surtout renaître le rire de l'insouciance.

Noé Livet est absent pour cause de guerre mais, Emilie qui d'habitude se languit de son époux adoré, est heureuse ; elle sert des gâteaux et des confitures... Germaine et Lucien redeviennent des enfants le temps du goûter... une promenade au grand air s'impose... Il saute sur la rampe et, les bras écartés pour garder l'équilibre, se laisse glisser, dans un grand éclat de rire, jusqu'à la boule sur laquelle, d'une main, il prend appui pour se projeter sur le pallier... Elle est joyeuse, il lui faut le rejoindre, il l'attend un étage plus bas, le regard tourné vers elle, les bras tendus au ciel. Elle saute sur la rampe mais, tout n'était que mirage... ses jupes se sont allongées, son corsage s'est ajusté et sa taille s'est resserrée... La chute est rude et les rires taris... C'est fini, jamais plus elle ne glissera sur une rampe...

Ils sont heureux et la permission est longue ; elle s'est fait porter pâle pour pouvoir profiter de cette parenthèse dans la guerre et ils ont échangé un baiser passion, à l'abri des regards, derrière les murs protecteurs de l'observatoire du Parc Montsouris... Mais cette permission était accordée pour dire au revoir à sa famille et vient le temps de se quitter... Les sanglots empêchent la parole, l'émotion opprime la poitrine, le souffle devient court et les larmes coulent... Lucien Chou va bientôt embarquer pour un long voyage vers l'inconnu... le Front d'Orient l'attend... il y arrivera à la fin du mois de septembre 1917 et ne rentrera que deux ans plus tard... Pendant tout ce temps, les lettres n'arriveront pas et les "fiançailles" seront rompues...

A bientôt pour la suite,

Catherine Livet

Suite

Vers le début de l'histoire

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6 commentaires:

  1. Que d'émotions à cette lecture.Merci pour ce moment très intimiste.

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  2. Je me rends compte que j'avais déjà lu l'article sans mettre de commentaire. A bientôt pour le prochain épisode.

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    1. Merci beaucoup pour le commentaire et la lecture. A bientôt

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Merci pour cette lecture.
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