Schéma pour situer les membres de la famille Livet - et alliés - en 1918 |
Tous les hommes valides de la famille sont au front, depuis le début pour Henri Montenach qui a déjà 46 ans en 1918 ; Papa Noé, mon arrière-grand-père, beau-frère de Henri Montenach juste cité, a commencé par être réformé n° 2 parce qu’à la veille de la mobilisation générale, il avait été victime d’un accident du travail qui lui avait brisé la jambe droite à plusieurs endroits… il est ensuite passé dans la réserve de la territoriale depuis octobre 1914… sa jambe s’étant quelque peu consolidée, il a été affecté aux services auxiliaires le 19 mai 1915 puis, le 12 janvier 1916, aux Gardes des Voies de Communication… En ce tout début de l’année 1918, il se trouve à Enghien-les-Bains dans le Val d’Oise ; bien qu’il n’y ait aucune trace probante, son petit-fils, René Livet, qui ne naîtra qu’en 1922, se souvenait que Noé lui racontait qu’il était alors brancardier.
L’autre homme de la famille, Georges Alexandre Sirejean est âgé de 46 ans en 1918 mais il n’a pas été rappelé, à dire vrai, il n’a même jamais fait son service militaire… il a toujours été d’une santé fragile et, en cette période qui nous intéresse, il est particulièrement faible… il semblerait qu’il souffre de tuberculose d’ailleurs, son frère, jumeau, qui était aux armées depuis le 23 mars 1915, a été réformé n° 2, dès le 16 avril suivant pour tuberculose pulmonaire… en ce début 1918, il est toujours dans ses foyers, pas très vaillant.
Georges Sirejean, respectivement fils et neveu des précédents, a 24 ans, né le 24 juillet 1894 il a été appelé dès le premier septembre 1914.
Même le jeune Lucien Montenach, le fils qu’Henri avait eu de son premier mariage mais qui a, presque depuis toujours puisque sa mère est décédée alors qu’il n’était qu’un tout petit enfant, été élevé par la seconde épouse de son père, Marie Chalvet, a rejoint le front… né le 13 décembre 1897, il a été appelé le 04 décembre 1917 et il a rejoint l’aéronautique militaire comme mécanicien… L’aviation française était très en retard par rapport à l’allemande… les grands moyens ont été déployés… Il ne faut pas que des aviateurs au sein de l’aéronautique, l’armée a besoin de techniciens, de mécaniciens etc. et, justement, dans le civil, le très jeune Lucien est mécanicien… Son père, Henri, exerce également dans l’aéronautique, il est, depuis le 09 août 1917, à l’école d’aviation de Vineuil qui est le prolongement de celle de Châteauroux.
A Paris, il ne reste donc plus que Georges Alexandre Sirejean, très malade, dont il faut s’occuper, Thérèse Livet, la mère de Noé, qui a déjà 63 ans, qui habite un peu à l’écart du reste de la famille mais qui, heureusement, vit avec sa fille Joséphine qui peut l’aider… enfin, disons qu’elles s’entraident mutuellement car la jeune femme a des particularités… mais là aussi il s’agit d’une autre histoire ; les trois sœurs Chalvet qui travaillent ensemble… lorsqu’il y a du travail… comme plieuse, brocheuse et relieuse… et tous leurs enfants dont certaines, Georgette et Henriette Sirejean, Elisa Montenach et Germaine Livet, heureusement, travaillent ; les autres enfants, dont seulement 2 garçons, sont écoliers et il faut s’occuper d’eux.
Pourtant des dépenses, que l’on pourrait aujourd’hui trouver parfaitement inutiles, sont engagées par Germaine Livet… Elle est alors âgée de 18 ans, son « petit fiancé » est là bas… quelque part… soldat… il lui réclame une photographie… Et il semblerait que la jeune fille aime bien se faire prendre
Carte de droits à la retraite de Germaine Livet |
Sa mère, Emilie Chalvet, a trouvé une solution pour ne plus avoir de dépense de loyer… Pendant très longtemps, la famille a habité rue Deparcieux dans le 14e arrondissement de Paris, les Livet sont très connus dans le quartier… et l’idée d’Emilie, est de devenir concierge… elle est appréciée des habitants alors, sa demande est relayée auprès de tous les propriétaires des rues avoisinantes et voilà que la loge du 39 rue Daguerre est libre… la personne qui la tenait jusqu’à présent ne se sentant plus la force de le faire, s’est retirée chez sa fille… Et c’est ainsi qu’au tout début de l’année 1918, Emilie déménage avec sa fille et son jeune fils, Emile, alors âgé de 11 ans… la loge n’est pas très grande, elle se compose d’une pièce à vivre d’une vingtaine de mètres carrés mais qui sert aussi pour la réception des locataires de l’immeuble et d’une alcôve d’environ huit ou neuf mètres carrés que l’on isole du reste du logement à l’aide d’un paravent… mais Emilie bénéficie aussi, pour sa famille, de l’appartement du 3e étage… celui là même où, des décennies plus tard, je vais naître.. ou presque puisque je vais voir le jour à l’hôpital voisin et je ne serai installée dans cet appartement qu’à la sortie de la maternité… Bien entendu, en ce début de 1918, Emilie ne sait pas qu’elle vient d’ancrer ses descendants, pour longtemps, dans ce quartier-village du 14e et que l’immeuble dont elle est maintenant la concierge deviendra « l’immeuble des Livet »… en attendant, elle fait de substantielles économies et peut continuer à exercer, à domicile, son métier de relieuse qu’elle effectue avec ses sœurs ; Louise fait la pliure des documents, Marie est chargée de la piqûre sur la pliure de Louise et Emilie intervient pour relier les différents petits fascicules, formés par Marie, pour constituer un livre… avant la guerre, elles travaillaient chez Marie qui avait le plus grand appartement mais aujourd’hui, Emilie doit être présente pour les locataires du 39 rue Daguerre alors, ce sont ses sœurs qui viennent travailler chez elle. Et puis, il y a un autre changement aussi, avant la guerre encore, c’était Noé Livet, son époux, qui amenait le travail à faire et qui emportait l’ouvrage terminé… cette fichue guerre complique grandement la vie… il faut maintenant donner la pièce aux gamins du quartier pour qu’ils se chargent des livraisons.
Voilà donc l’organisation des Livet en ce tout début d’année 1918, Germaine est logée et nourrie par sa mère, elle n’a aucune facture de gaz, d’eau, de charbon à régler… bien entendu, si nécessaire, elle aide volontiers sa mère pour une facture donnée mais Emilie a toujours été une parfaite ménagère, très économe alors, les difficultés financières sont plutôt rares, voir inexistantes… surtout qu’elle n’a plus de loyer à payer. C’est ainsi que Germaine peut s’offrir un peu, voir beaucoup, de superflu, très prisé par les jeunes filles de son âge… comme les photos qu’elle affectionne tant.
Mais voilà qu’en cette période qui se voudrait joyeuse, la tristesse étreint les cœurs… Papa Noé et oncle Henri ne sont pas là, tout comme les cousins, et ils ne pourront pas faire plein de bécots sur les bonnes joues rondes de la petite Germaine qui est en train de se transformer en une ravissante jeune femme…
Germaine va donc chez le photographe et fait faire un tirage spécialement pour son cher père. Je conserve aujourd’hui plusieurs exemplaires de cette photo, une d’origine, en noir et blanc et d’autres, mises en couleurs, plus ou moins réussies… la qualité n’est pas au rendez-vous, c’est ce qui explique les différents tirages encore en ma possession aujourd’hui… Celui
Voici la transcription de cette carte :
« Je t’écrie pour t’envoyez
Ma photo qui je pense
Te trouvera en bonne santé
Moi et mon frère on se porte
Bien et je pense que tu es
De même sais pour toi
Que je me suis fais photographier
Je pense que sa te fera plaisir
Je t’embrasse de tout cœur ta
Fille qui t’aime
Pour la vie Germaine
Emile et maman se joint A ma carte Pour t’embrasser de tous cœur
Je pense que tu viendras dans le courant de la
semaine
Maman s’ennuie »
Nicolas II et Emile Loubet - 1901 |
"Le Journal" du 19 janvier 1918 |
Les troupes russes se sont démoralisées, les désertions se sont multipliées, l’économie s’est effondrée… les tensions, les manifestations et les grèves sont devenues quotidiennes… le régime tsariste de Nicolas II a été remplacé en 1917 et les Bolcheviks ont, quelques mois plus tard, remplacés le gouvernement provisoire… et Emilie commence à comprendre que les répercussions vont se faire sentir à travers le monde et que l’onde de choc va toucher son petit univers.
Les préoccupations deviennent plus matérielles encore, le danger immédiat… les sirènes hurlent dans la nuit du 30 au 31 janvier 1918… les locataires dévalent les escaliers en chemise, ils traînent derrière eux des manteaux, couvertures et objets divers… ils se ruent vers les caves et les abris qui sont depuis longtemps identifiés dans le quartier… Ca tombe bien, il n’y a pas bien loin à aller… il faut atteindre la loge d’Emilie… la sirène l’a sortie du lit, dans la précipitation, le paravent qui sépare la partie privée de son petit logement est tombé, endommagé à plusieurs endroits… On ne sait pas pourquoi, ce détail l’a marqué et elle le racontera longtemps, toute sa vie même… Je pense qu’elle voulait expliquer qu’elle considérait qu’elle avait manqué de sang-froid ce jour là, elle aurait du être plus calme, surtout que non seulement elle avait cassé son paravent mais aussi, elle n’avait pas pris le temps de lasser ses bottines, ni même d’enfiler des pantoufles… en chemise, en cheveux… presque nue en somme, elle avait tiré la lourde table de chêne pour dégager l’accès à la non moins lourde trappe, seul moyen possible pour descendre dans les entrailles de Paris… les carrières si profondes qu’aucune bombe ne pourrait jamais les atteindre… Avant la guerre, ce passage était strictement interdit, il avait même été condamné mais depuis, un escalier a été aménagé pour que les habitants puissent s’y mettre à l’abri, Emilie est chargée de le maintenir propre et accessible en cas de besoin et là, c’est sûr, tous ont besoin d’elle… elle va aider chacun à emprunter l’escalier si pentu qu’il ressemble à une échelle de meunier, elle va porter les enfants et soutenir les vieillards… Toujours en chemises, toujours en cheveux et toujours pieds nus, une lampe à pétrole à la main, elle va courir d’un appartement à l’autre dans tout l’immeuble pour s’assurer que personne n’est en plan… elle va même aller vérifier au 37 de la rue Daguerre que l’on ne peut, de toute façon, atteindre qu’en passant par le premier étage du 39… Elle n’est pas tellement sûre qu’elle soit responsable des habitants du 37 mais elle les connaît tous, ils sont obligés de lui dire bonjour à chaque fois qu’ils entrent ou qu’ils sortent de chez eux puisqu’ils doivent emprunter la porte d’entrée de « son » immeuble.
Taube en vol |
Les essais n’ont pas été concluants et les « Taubes » ont rapidement disparu du ciel de Paris mais la France a pris au sérieux l’avertissement et des mesures pour lutter contre une attaque aérienne sont mis en place… du moins les prémices car les Parisiens ne sont qu’au début de leurs surprises…
Zeppelin |
Enterrement national |
Un enterrement national avait été organisé pour les morts de ce jour, le crime avait alors été qualifié de particulièrement odieux… Dix-sept bombes étaient tombées du ciel sur le quartier de Belleville, la station de métro Couronne avait été complètement pulvérisée, juste après le passage d’une rame…
C'est sûr que les souvenirs remontent à l’esprit, on se souvient bien des premiers raids aériens mais aujourd’hui, les Parisiens comprennent parfaitement qu’ils sont face à une arme aboutie… deux ans plus tard, presque jour pour jour, la menace revient planer… autrement plus terrifiante…
Gotha |
La tour Eiffel en1918 - défense anti raids aériens |
Boulevard Saint-Michel le 31 janvier 1918 |
Ce premier mois de l’année 1918 se termine pour mes Parisiennes… Elles ne le savent pas encore, ce n’est que le début de leurs malheurs… D’autres évènements, plus meurtriers les uns que les autres vont s’abattre sur elles et tous les Parisiens… des fléaux inimaginables vont ravager la population civile… le danger ne viendra pas que des airs…
A suivre…
Catherine Livet
.・゜゜・ LIBRAIRIE ・゜゜・.
FNAC
(Pour la version numérique de mes livres)
Pour me joindre :
Ce texte a été écrit dans le cadre de ma première participation au premier #RMNA, Raconte-Moi Nos Ancêtres, nouveau rendez-vous annuel qui nous ramène à l’an 1918
Pour lire la suite :
La 1ere finale de la coupe de France de foot
Mes Parisiennes - fin
Sources - Bibliographie :
- Archives privées
- Archives de Paris
- Gallica
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