Bonjour mon lecteur,
Je vous présente une photo un peu particulière, un souvenir qui en dit beaucoup sur la vie de mes Parisiennes pendant la Première Guerre Mondiale.
Je crois que j'ai une chance immense que de posséder cette photographie sur laquelle figurent mon arrière-grand-mère et ma grand-mère paternelles.
Cette photo est assez exceptionnelle parce que mes ancêtres, mes Parisiennes, se trouvent en très bonne place, on les voit distinctement et aussi parce que sur ce cliché, on distingue toute la misère et les difficultés rencontrées à Paris durant la Grande Guerre. Il y a aussi cette grande chance que le tirage soit légendé.
Nous savons donc où nous sommes, à quelle époque et ce que représente la photo. C'est le parti communiste qui a organisé une soupe populaire pour les habitants du quartier, dans un grand bâtiment rustique, rue d'Alésia dans le 14e arrondissement de Paris.
Au premier plan, les marmites et les bassinent fumantes devraient réchauffer l'atmosphère, pourtant elles sont là, toutes ses femmes abandonnées par leurs hommes, elles sont là, emmitouflées dans leurs châles de laine sombre ; les sourires sont absents sauf sur le visage d'Emilie Chalvet, mon arrière-grand-mère...
Tous les regards, graves, sont tournés vers le photographe... Ils sont si peu nombreux, les hommes ; elles sont si nombreuses, les femmes qui doivent tout assumer seules, y compris les enfants, tous ces enfants qui ont froid, qui ont faim et qui ont peur pour leur père, leurs frères qui sont là-bas, on ne sait pas vraiment où, sous un déluge d'obus, hier vivants mais aujourd'hui peut-être morts, une grenade à la main, la baïonnette au canon... Qui peut réellement savoir au moment où la photo est prise ?
Il est là, le jeune Emile, le fils d'Emilie. Il est bien visible, coiffé du calot que peut-être son père lui a confié, lorsqu'il en a reçu un nouveau lors de la distribution d'octobre-novembre 1915, en lui faisant promettre d'en prendre grand soin jusqu'à son retour... parce qu'il va revenir, Noé Livet, c'est promis, c'est juré, pour lui faire de gros bécots sur ses bonnes joues rondes d'enfant chéri. Mais il a l'air bien triste le petit Emile malgré la protection des bras de sa grande sœur contre laquelle il se tient blotti, le temps de la photo. Germaine est elle-même si triste, leur père lui manque tellement, tout comme à leur mère pourtant toujours élégante, pimpante, bien mise et toujours souriante malgré toutes les difficultés... La tristesse ne se lit pas vraiment sur les traits d'Emilie et c'est normal... C'est elle le pivot autour duquel toute la vie de la famille tourne... C'est elle qui décide, dirige, agit... Elle n'a pas le droit de défaillir. Tout le monde se repose sur elle - et pas seulement ses enfants, car elle a aussi la grande responsabilité des habitants de l'immeuble où elle s'est installée - qui gronde lorsque les bêtises sont faites mais qui sait, d'une caresse ou d'un simple mot, sécher les larmes et faire renaître la joie...
Elle se tient, l'air grave, à la gauche d'Emilie, l'amie de toujours, celle qui est présente aux naissances, aux mariages et aux enterrements des Livet. Elle s'appelle Adrienne Soutiran, les enfants l'appelle tante Adrienne. Elle, habituellement si gaie, si vive, affiche un air si triste...
Ils tendent tous le cou vers l'objectif ; ils veulent qu'on les voit, qu'on se souvienne qu'au moins un jour, durant la Grande Guerre, ils étaient là, serrés les uns contre les autres, unis avec les autres habitants du quartier, de ce village populaire et habituellement si animé du 14e arrondissement parisien, dans l'attente de cette soupe fumante qui va leur apporter, le temps d'un repas chaud, un certain réconfort.
En temps ordinaire, ces gens - dans leur majorité - qui affichent leur détresse sur cette photo ne sont pas spécialement pauvres ; il y a des ouvriers, des artisans, des commerçants, des pharmaciens, des médecins, des propriétaires, des rentiers... S'il n'y avait que la cherté de la vie, on se plaindrait moins, mais il y a pénurie... de tout...
Elle est vraiment terrible cette guerre, que l'on croyait devoir durer le temps d'un éclair, où il est devenu difficile de se nourrir correctement à Paris mais, où l'on peut repartir de la soupe communiste avec une photo souvenir.
Catherine Livet
.・゜゜・ LIBRAIRIE ・゜゜・.
FNAC
(Pour la version numérique de mes livres)
Pour me joindre :
Belle analyse de cette touchante photo. Vous avez raison, c'est toujours un privilège et un plaisir de pouvoir mettre un visage sur ces ancêtres qu'on n'a pas connu personnellement. Merci de la partager avec nous, à la fois personnelle et universelle.
RépondreSupprimerMerci beaucoup Dominique
SupprimerDésolée, j'aurais du signer : Dominique de abcdairedemesancetres@wordpress.com
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