Jean-Marie Pincemin et l'Armée d'Orient

Bonjour à tous,

Voici la suite du texte, extrait du tome 1 de "Les Poilus de Limay" que j'offre à lire librement ; il a également été publié dans un livret édité par la ville de Limay à l'occasion du centenaire de la Grande Guerre : "Au nom des nôtres" que vous pouvez télécharger gratuitement en cliquant ICI

Je vous souhaite une très bonne lecture.



Lors de la mobilisation générale Jean-Marie Pincemin a presque 36 ans, et donc, de par son âge, il est classé par l’armée dans la « territoriale » et il est affecté à la 10e section d’infirmiers. Entre-temps, comme nous l’avons vu plus haut, Jean-Marie Pincemin a quitté la Bretagne pour venir en région parisienne, c’est donc la 3e section d’infirmiers qu’il rejoint le 08 août 1914…
En ce début de guerre, le service de santé ne se montre pas très adapté et les premiers gestes de secours ne sont pas très appropriés… « l’emballage » de la plaie et l’évacuation du blessé vers l’arrière font plus de morts que de soignés… les blessures faites par les éclats d’obus sont les plus fréquentes et sont le plus souvent bien plus profondes que celles faites par les balles, des débris restent dans les chairs et les infections et autres gangrènes s’emparent des pauvres blessés qui, souvent, souffrent le martyr lors des transports chahutés et trop longs. Le service de santé va rapidement s’organiser et devenir enfin performant ; on va désormais soigner les blessés au plus près… paradoxe de la guerre, les hommes qui se tirent dessus avec la ferme intention de se tuer côtoient ceux qui pansent, soignent et évacuent les blessés avec le ferme espoir de les maintenir en vie.
Jean-Marie fait partie de ces infirmiers dévoués, il n’attend pas une accalmie, il bondit, passe rapidement au-dessus des cadavres qui seront relevés plus tard, se précipite vers les blessés, fait un pansement par-ci, une injection de morphine ou d’huile de camphre par-là pour atténuer la douleur et toujours avec le sourire et une parole de réconfort pour chacun… jamais fatigué, jamais découragé… prenant si peu de précautions pour sa personne que, par deux fois, il se retrouvera enseveli lors d’éclatements de gros calibres et, pourtant bien contusionné, refusera d’être évacué pour continuer à se porter au secours des blessés.

Groupe d’infirmiers et de brancardiers de la 15e SIM
Le Caporal Pincemin, ainsi nommé depuis le 1er novembre 1915, passe à la section coloniale le 1er octobre 1916 et on le retrouve au sein de la 15e SIM (Section d’Infirmiers Militaires) à partir du 1er mars 1917 où il est amené à prodiguer ses bons soins dans divers hôpitaux… mais ce qu’il importe de savoir est qu’il est soldat de l’Armée d’Orient !

Ce front très mal connu, encore de nos jours, ne porte peut-être pas très bien son nom.
Tout a commencé en octobre 1915 lorsque la Bulgarie, alliée des Germano-Autrichiens, a envahi la Serbie… Les Français et les Britanniques ont alors débarqué à Salonique, port grec macédonien, la Grèce étant alors un pays neutre… -la situation est bien plus compliquée mais ce n’est pas l’objet de ce récit- Et voilà, c’est l’ensemble de ces alliés -avec l’Italie, la Russie et, ne l’oublions pas, le Monténégro- qui est appelé l’Armée d’Orient qui est placée sous le haut commandement de la France.
Dans la région montagneuse où les belligérants se font face, le climat est rude, la neige tombe, souvent sous forme de tempête, sans interruption de jour comme de nuit ; les températures sont très largement en dessous de zéro. En tous les cas, telle est la situation en cet hiver 1917 : le 28 février, il y a de la neige toute la journée, la visibilité est nulle jusqu’à 16 heures où elle devient très mauvaise jusqu’à la fin de la journée ; Le lendemain, le temps est couvert, la neige est tombée pendant toute la nuit et tombe toute la journée, le vent est assez violent, la température est de -10° à 8 heures, elle atteindra 6° à midi pour redescendre à 1° à 17 heures… quelques tirs sont échangés.


 Salonique depuis un navire qui entre en rade, 
comme Jean-Marie l’a découverte
Bien que cela ne soit pas tout à fait certain, il est plus que probable que ce soit à cette époque, début mars 1917, que le Caporal Pincemin entre en rade où de nombreux navires de tout genre se côtoient, paquebots, cargos, cuirassiers, torpilleurs et autours d’eux, des barques où des marchands ambulants grecs proposent, à des prix plutôt élevés, des fruits, du vin et du tabac. 
Jean-Marie, encore à bord du navire qui l’a transporté jusqu’à ces lieux inconnus, jouit d’une vue extraordinaire sur la ville de Salonique dont les quais sont bordés d’agréables maisons, le soleil fait briller le toit des mosquées dont les minarets dépassent les habitations.


Le regard aux aguets, l’esprit en alerte, intrigué, Jean-Marie traverse la ville, tout lui paraît si étrange, les costumes tant des hommes que des femmes dont la variété semble sans limite, certaines tenues étant même très bariolées… même les ânes ne sont pas comme dans sa Bretagne natale ou comme à Limay en région parisienne où il vivait si tranquille avant la guerre, les équidés ici  semblent bien petits, ils ne sont pas harnachés de la même façon non plus et même leurs conducteurs semblent de petite taille à Jean-Marie qui doit maintenant parcourir quelques kilomètres dans les terres où il découvre le camp français de Zeïtenlick…  
immense terrain hérissé de tentes à perte de vue et de quelques bâtiments plus solides et, bien que les Français aient fait d’importants travaux pour ouvrir des routes et, surtout, aseptiser les marécages, la région n’est guère accueillante… elle n’est même ni praticable ni salubre… le sol est comme recouvert de gravillons, pas un arbre ne se dresse, pas un buisson ne pousse…

Visible de la route qu’empruntent obligatoirement les nouveaux arrivants… comme un avertissement, le cimetière qui accueille les alliés et qui ne cesse de s’étaler est installé tout près ajoutant encore un peu d’angoisse à celle née du fait d’être dans un pays inconnu parfois très loin de sa terre natale, surtout pour les soldats venus de colonies tant françaises que britanniques d’ailleurs… ce conflit n’aura sans doute jamais aussi bien porté son nom de guerre mondiale que sur cette terre hostile et désolée ou à coté des pays d’Europe qui sont tous représentés, vont se côtoyer nos tirailleurs sénégalais, nos spahis marocains et même
des soldats annamites et tonkinois, des Indiens seront également présents etc. Ce n’est pas le premier cimetière de la région, Jean-Marie en a déjà aperçu plusieurs autours de Salonique dont certains semblent très anciens et même abandonnés... quelle vision glaçante pour des hommes qui craignent déjà de trouver la mort...
Dans le camp même, ou ses environs immédiats, Jean-Marie est impressionné par le nombre des hôpitaux militaires temporaires qui ont été installés dans des bâtiments, autant que possible,  en dur ; Il va intervenir dans plusieurs d’entre eux… formé pour tenter de réparer des blessures de guerre, il va très vite découvrir que le plus grand ennemi ici s’appelle maladie… Dysenterie, maladies vénériennes, scorbut et surtout paludisme se propagent à la vitesse de l’éclair tant et si bien que pratiquement tous les hommes présents durant ces années de guerre en ces lieux insalubres vont en être victimes… beaucoup vont périr. Dès le début de l’installation dans la région, des infirmiers sont décédés de paludisme ainsi, après une grande enquête sanitaire, il a été décidé de vacciner tout nouvel infirmier. L’hiver, bien des hommes sont hospitalisés pour des gelures ; la faim est un autre fléau car le ravitaillement se fait très mal sur ces terrains accidentés où les voies de communication sont pratiquement inexistantes, on manque de tout en fait… même le courrier et les colis, tant attendus, n’arrivent que tardivement, irrégulièrement… lorsqu’ils arrivent… si le bateau sur lequel ils voyageaient n’a pas été coulé… il en va de même pour le matériel, les médicaments…
Alors, les soldats, encouragés par le personnel d’encadrement, après avoir asséché les marais, les transforment en cultures, on les appellera bientôt, sarcastiquement, à l’instar de Georges Clemenceau lui-même, « les jardiniers de Salonique » Ce sobriquet leur collera à la peau et jouera un rôle important dans l’imaginaire collectif français qui, en opposition aux glorieux soldats se battant sur le sol français, deviendront les « planqués » de Salonique… jardinant sous le riant soleil de Grèce… mal aimés durant la guerre, ils seront comme oubliés après.
Jean-Marie va assister à une nouvelle grande catastrophe qui va s’abattre sur Salonique, celle de l’incendie du 08 août 1917 qui part, paraît-il, d’une étincelle provenant de la cuisine d’une petite maison entre le centre et la ville haute qui serait retombée sur un tas de paille se trouvant à proximité et qui, à ce contact, se serait
embrasé… seulement voilà, les départs de feux sont si fréquents que personne, ou presque, n’y fait attention… mais l’eau est rare et le vent violent… l’incendie va prendre une tournure inouïe ! Le feu se propage, se nourrissant des nombreuses constructions en bois, et l’incendie perdure… il ne s’arrêtera que le lendemain après avoir détruit un tiers de la ville et ayant causé des dizaines de milliers de victimes et des dégâts inestimables… toute l’Armée d’Orient va distribuer des vivres, construire des abris et s’occuper des blessés…
Dès son arrivée au camp, Jean-Marie va prendre conscience des difficultés matérielles et naturelles avec lesquelles doivent composer les soldats mais ce qu’il ne perçoit peut-être pas immédiatement, c’est le découragement qui mine chaque homme… De nombreux journaux rédigés, illustrés et publiés par des soldats circulent dans le camp et beaucoup essaient de mettre de l’humour pour tenter de redonner un semblant de sourire aux hommes, le sous-titre « Contre la Neurasthénie, le Cafard » du journal « Le
Croissant » en dit long sur l’état d’esprit des troupes ; tout comme le journal « Ah ! Oh ! » qui sous-titre « Journal d’Informations louftingues. Publié par un groupe de poilus de l’A.O. pour le plus grand esbaudissement de leurs camarades »

En fin d’année 1917, le 14 décembre, le Général Guillaumat succède au Général Sarrial au poste de commandement en chef de l’Armée d’Orient ; il réorganise les forces alliées, rétablit la discipline et surtout, redonne le moral aux troupes ; il met en place un plan d’offensive générale rompant avec la position défensive, très morose, qui avait été adoptée jusqu’ici ; les troupes françaises et alliées vont enfin pouvoir entrer en action ! Le Général Guillaumat est rappelé pour prendre le commandement du camp retranché de Paris le 15 juin 1918, il faut dire que les Allemands sont aux portes -ou presque- de la capitale. Mais Guillaumat n’oublie par pour autant l’Armée d’Orient et plaide en hauts lieux sa cause, il doit même se transformer en ambassadeur et déployer des trésors de diplomatie pour faire accepter son idée à Londres et à Rome très peu motivées par une offensive sur le front d’Orient qui sera menée par son successeur, le Général Franchet d’Esperay qui, pour ne pas perdre de temps en attendant que tous soient d’accord, se lance dans les travaux préparatoires à l’offensive prévue. La situation va se débloquer en un temps record…
Le Général Franchet d’Esperey décide d’attaquer l’ennemi par la montagne et après une préparation d’artillerie d’une journée, les hommes s’élancent, le 15 septembre 1918, à l’assaut des hauteurs, le massif de Dobropolje et le Vétrenik sont conquis… au prix de lourdes pertes. Petit à petit, la ligne germano-bulgare cède partout. Franchet d’Esperey, profite de l’affaiblissement de l’ennemi pour attaquer sur l’ensemble du front.
Le 21 septembre, la percée atteint 50 km ; les alliés poursuivent leur marche vers Gradsko tout en engageant des forces sur les flancs pour couper la retraite aux ennemis. Un important matériel est saisi, les Bulgares fuient en désordre, massacrant tout sur leur passage. Dans la nuit, la 2e Armée Serbe, galvanisée, enlève Krivolak et saisit du matériel roulant et des vivres.
Le 22 septembre, la cavalerie italienne galope ; l’artillerie lourde française coupe les routes de la 11e Armée Allemande ; La 156e division française (175e et 176e R.I, 1er Régiment de Marche d’Afrique) s’ébranle ; Le Général Jouinot-Gambetta, avec ses fantastiques escadrons (1er et 4e chasseurs d’Afrique, Régiment de Marche des Spahis marocains) franchit, avec beaucoup de difficultés, les anciennes positions bulgares hérissées de barbelés.
Le 23 septembre, on peut parler de début de débâcle chez l’ennemi. Jouinot-Gambetta doit atteindre Uskub avant les fuyards, son avant-garde rencontre une vigoureuse résistance et ne peut se dégager qu’avec l’aide des coloniaux de la 11e division et des troupes grecques… mais Jouinot-Gambetta, prévoyant, a fait reconnaître plusieurs itinéraires.
La progression continue mais le 24 septembre, au sud de Gradsko, la défense désespérée de l’ennemi décime les colonnes ; le commandant de la 17e division coloniale décide donc de faire un large mouvement circulaire, l’ennemi n’a pas le temps de réagir. Ce même jour le Général Milne, commandant des troupes britanniques met en mouvement ses colonnes pour suivre la retraite bulgare mais ne suit que très lentement l’adversaire… La cavalerie serbe, en revanche, poursuit farouchement les fuyards et l’aviation française bombarde sans répit l’ennemi affolé. Le Général Henrys décide, devant l’attaque frontale qui s’avère meurtrière qu’il devait effectuer, de modifier les instructions reçues et lie son mouvement à celui de la 1ere armée serbe ; ce mouvement d’ampleur accule la 11e armée allemande aux montagnes de l’Albanie.
Durant les jours qui suivent, les cavaleries alliées galopent partout, les avions sillonnent le ciel… L’ennemi étant désespéré, les combats deviennent acharnés…
Au matin du 29 septembre, une effroyable panique s’empare des Bulgaro-Allemands lorsqu’ils voient surgir de l’épais brouillard qui la masquait, la rapide cavalerie du Général Jouinot-Gambetta…
C’est terminé, le Gouvernement Bulgare vient de capituler. Le gouvernement bulgare avait envoyé une demande de cessez-le-feu dès le 24 septembre.
Cette victoire fulgurante de l’Armée d’Orient va entraîner la capitulation de l’Empire ottoman (30 octobre), de l’Autriche (03 novembre) et de la Hongrie (mais qui ne signera que le 13 novembre)

Mais dans l’euphorie générale, on en est venu à oublier le plus grand ennemi de l’Armée d’Orient  qui compte bien prendre sa revanche… et durant cet automne 1918, sournoisement, la maladie s’est propagée, continuant à décimer les troupes… Partout, et pas qu’au front d’Orient, à Paris aussi, on va parler de pandémie, encore aujourd’hui, on parle volontiers de la grippe dite espagnole qui n’est jamais venue de ce pays mais qui va faire des ravages à cette époque…
Chambre de malades dans un hôpital à Salonique
Et voilà, le destin en a décidé ainsi, c’est son tour, le Caporal Pincemin est malade… il est hospitalisé dans l’hôpital militaire de Zeïtenlick où, sans doute, il a contribué à soigner et à réconforter des centaines de personnes pratiquement toutes porteuses de maladies contagieuses… Il décède dans cet hôpital le 03 décembre 1918, d’une congestion pulmonaire, Mort pour la France !






Lucienne Pincemin, la fille de Jean-Marie née le 12 septembre 1909 à Limay, est adoptée par la Nation par jugement du tribunal de Mantes en date du 13 février 1919.
La transcription du décès de Jean-Marie Mathurin Pincemin ne sera faite que le 29 octobre 1919 à Limay où sa dépouille sera rapatriée et placée en terre dans le carré militaire du cimetière ; son nom figure sur le monument aux morts et sur la plaque commémorative de l’église Saint-Aubin de cette même ville.


"Remarquable de courage et d'entrain et de belle humeur. Enterré à deux reprises par des éclatements de gros projectiles a refusé quoique fortement contusionné à se laisser évacuer"
(Il est plusieurs fois cité)

Catherine Livet
 

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Sources / Bibliographie : 
  • Consulat général de France à Thessalonique
  • Services consulaires de la Grèce du Nord
  • Mémoire des Hommes
  • Archives des Yvelines
  • Chemins de mémoire - le Front d'Oient


2 commentaires:

  1. Bonsoir merci pour le récit de cette partie de guerre au delà de nos frontières, vécue par nos poilus on a indexé tellement de fiches de ces soldats morts là bas, sans vraiment connaître cette partie de leur histoire. une stèle est entrain d être érigée à leur mémoire récit d'une autre historienne. merci de nous avoir fait partager ceci . cordialement

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