Une très longue vie emplie de misères
Récit de vie
C’est la première fois que cela m’arrive…
habituellement, j’ai du mal à retenir mon esprit qui aime, autonome, s’élancer
à la recherche du passé mais en ce moment, il est préoccupé par toutes sortes
de sujets qui l’empêchent de se sentir libre et il me faut faire appel à ma
volonté pour qu’il se concentre sur vous, ma lointaine ancêtre, afin que je
puisse peut-être vous connaître un peu mieux…
Mon
Dieu ! Vous êtes née il y a plus de 245 ans et j’ai l’impression de vous
connaître comme si nous nous étions déjà fréquentées pourtant, Marie Angélique
Hélain, c’est la première fois que nous nous rencontrons… Puisque vous n’avez
jamais su écrire votre nom, vous ne m’en voudrez pas de faire comme vos
contemporains et de l’orthographier une fois Hélain et une autre Hélin… C’est
le 08 avril 1774 à Lerzy dans l’Aisne que vous avez poussé votre premier cri et
que, dans la foulée, abandonnant votre mère aux bons soins des matrones, votre père et quelques personnes de
l’assemblée vous ont menée devant Monsieur le Curé qui s’est empressé de vous
baptiser ; votre parrain est un célibataire nommé Jean Louis Marque qui
sait signer et votre marraine est une célibataire nommée Marie Angélique Dupont
qui donc vous a donné son nom mais qui ne signe pas votre acte de baptême parce
que chère Angélique, j’ai vu et lu votre acte de baptême qui a été bien
conservé durant tout ce temps et oui, même si cela vous étonne votre vie
intéresse encore des personnes en cette année 2019… enfin, au moins une, moi…
votre descendante… Laissez moi vous montrer qui je suis pour vous :
Mais bien entendu, vous n’avez
laissé aucune trace de votre existence durant les premières années de votre vie ;
il me faudra donc me contenter de savoir que votre père, qui exerçait la
profession de valet de charrue, est décédé le 30 octobre 1783 dans votre
demeure de Lerzy et qu’il a été inhumé le lendemain et que donc, vous n’aviez même
pas dix ans ! Heureusement pour la
famille, au moins l’un de vos frères, avait l’âge de travailler.
Vous voici fiancée, l’heureux élu
est Alexis Joseph Rahïr qui est né le 02 avril 1772 à Maubeuge de Thomas et de
Marie Joseph Ida Donneux ; en ce 17 Prairial de l’an 4 de la République (05
juin 1796), en la maison commune de Lerzy il est accompagné par un ami et par
son jeune frère Jean lorsqu’il déclare vouloir vous prendre pour épouse alors
que vous êtes assistée par François Lambert, votre oncle par alliance, Jean
Louis Marque qui est votre parrain et Pierre Hélin, votre frère que nous venons
d’évoquer… Alexis Rahïr, comme son père, exerce le métier de cloutier… ce qui n’est
sans doute pas un gage de prospérité… à tel point que, encore en 2019, nous
utilisons des expressions comme celles de « travailler pour des clous »
ou « Ca ne vaut pas un clou » Mais bon, en cette période
révolutionnaire dans laquelle vous évoluez, la vie est bien difficile pour tout
votre entourage mais cela ne vous empêche pas de mettre au monde, le 12 mars
1797 à Lerzy, votre premier enfant qui est nommé Louis François. A vous dire la
vérité Angélique, je ne vous trouve pas très prolifique… car votre deuxième
enfant naît le 24 mai 1800 à Maubeuge dans le Nord, peut-être des affaires
familiales de votre époux ont-elles motivé un déplacement dans sa ville natale
car je ne pense pas que vous ayez réellement vécu à Maubeuge ; cette
enfant est prénommée comme vous, Angélique, le second prénom de Joseph lui est
donné mais il ne sera jamais utilisé ; je vais apprendre à bien la connaître
et je vais la suivre durant toute son existence et, comme vous le savez, sa vie
sera pleine de surprises.
Donc, j’ai marqué un petit
étonnement lorsque votre fille Angélique est née à Maubeuge alors, évidemment,
j’ai été également un peu surprise que votre troisième enfant vienne au monde à
Englancourt… j’ai bien entendu envisagé que vous vous étiez alors installée
dans cette ville peu éloignée de Lerzy d’ailleurs mais, je pense en fait que, comme
pour la naissance d’Angélique, ce sont des affaires familiales qui ont conduit
vos pas à Englancourt malgré votre état de grossesse plus ou moins avancé… car
il se trouve que votre frère aîné, celui qui a sans doute veillé sur vous
lorsque vous étiez enfant, vit depuis très longtemps dans ce village où il s’est
marié… je ne saurai jamais les véritables raisons de la naissance dans ce
bourg, le 11 avril 1804 de votre fille Marie Joseph Célestine.
La vie suit son cours sans fait
notable qui puisse laisser une trace dans les archives jusqu’à ce que votre
histoire vous rattrape… Je ne saurai jamais pour quelle raison, votre époux se
trouve dans le Nord, dans la maison de Monsieur Albert Dethaye qui est située
rue des Religieuses à Solre le Château
où il décède le 05 septembre 1807… C’est son frère aîné, Nicolas,
cloutier et domicilié à Maubeuge qui fait la déclaration de décès, votre époux
est bien dit domicilié à Lerzy… vous voici veuve avec trois enfants bien jeunes
encore et bientôt vous avez du mal à vous mouvoir prestement tant votre
silhouette, porteuse de vie, s’est alourdie car il faut dépêcher la sage femme
pour qu’elle vous assiste et, ce 20 mars 1808, Marie Elisabeth Désirée, fille
posthume de Alexis Rahïr, pousse son premier cri.
Franchement Angélique, je me suis
longtemps demandé comment vous avez fait pour élever vos enfants… quels ont été
vos moyens d’existence ?
Tout transpire la misère dans
votre entourage et celui de vos enfants… partout, j’ai relevé des détails qui,
mis les uns derrières les autres, donnent des indications sur votre malheureuse
vie… En premier lieu la vie un peu chaotique, du moins aux premiers abords, d’Angélique,
votre fille aînée mais, dès que j’ai
commencé à vouloir en connaître un peu plus sur vous et que je me suis
intéressée à vos autres enfants, il a bien fallu que je reconnaisse que toute
votre famille était touchée par cette même fatalité…
Toujours à Lerzy, ce 19 mars
1823, vous mariez votre fils unique. La fiancée est Marie Françoise Dupont, elle
est née le 21 janvier 1805 à Lerzy de Pierre Joseph qui est sabotier et de
Marie Rose Siméon qui est…
disparue de Lerzy depuis 1816, attaquée d’une
aliénation mentale… Le juge de paix du canton de La Capelle doit dresser un
acte de notoriété pour que la jeune femme puisse se marier et il est même
ajouté que la disparue est aussi dite défunte… mais en fait, qui peut prouver
ce décès ? Il est à noter que votre future bru est assistée par son
parrain, Honoré Berteaux âgé de 44 ans, cultivateur du bourg et par son frère aîné,
Jean François Dupont, sabotier de 30 ans aussi domicilié à Lerzy. Les
signatures des mariés qui ornent le bas de l’acte sont bien laborieuses.
Ah Angélique ! Comme les
prénoms des enfants de votre fils m’ont surprise ! Hormis l’aîné qui a
porté ceux de Constant Romain durant les cinq heures de son éphémère
vie, les autres enfants ont été baptisés Orphise, Bélisaire, Léocadie,
Euphrasie et Olympe… pourtant, je crois bien que ces prénoms étaient plus
usités que je n’ai pu le penser jusqu’alors.
Ensuite, vous allez marier votre
fille Angélique, le 07 octobre 1825, avec Jean-Baptiste Merda et son étrange
vie, que j’ai déjà largement racontée, va débuter…
Et comme les choses doivent être
faites dans l’ordre, vous mariez maintenant Marie Joseph Célestine… comme pour
son aînée, tout semble simple… votre fille unit sa misère à celle d’un garçon
de son âge, de son village ou de celui d’à côté, qu’elle connaît depuis
toujours… ils auront des enfants et, comme vous, feront ce qu’ils pourront pour
les élever…
A première vue, tout paraît se dérouler comme prévu. Le fiancé
s’appelle Pierre Joseph Delmotte, il est né le 07 mai 1807 à La Vallée aux
Bleds, qui est une dépendance du village de Voulpaix, à une quinzaine de
kilomètres de Lerzy, de Pierre Joseph et de Marie Catherine Williot qui est
décédée, alors que Pierre Joseph Delmotte n’était qu’un petit garçon, le 08
décembre 1815. Deux amis assistent le marié et la future est secondée par son
frère et par son beau-frère lors du mariage des deux jeunes gens le 20 août
1828 à Lerzy ; Célestine, Jean Baptiste Merda et le père du marié ne savent pas
signer et la signature du marié est plutôt primitive... tout comme celle du frère de la mariée...
Le 19 mai 1829 au domicile
conjugal, Célestine met au monde un garçon que Pierre Joseph Delmotte, tisseur
en coton, s’empresse d’aller déclarer à la mairie de Lerzy et auquel il donne
le prénom de Jean-Baptiste… en revanche, il préfère dire qu’il ne sait pas
signer…
Naturellement, les naissances
devraient se suivre à des intervalles plus ou moins rapprochés…
Le deuxième enfant est une fille
que l’on prénomme comme sa mère, Marie Célestine ; elle naît plus de
quatre ans après son frère, le 04 novembre 1833, c’est vous, Angélique, qui allez
faire la déclaration et l’acte précise : « … née et issue de Marie
Joseph Célestine Rahir âgée de 26 ans épouse de Pierre Joseph Delmotte son mari
absent… » Bon, cela n’a rien de bien exceptionnel… sauf que, d’autres
naissances vont suivre… A chaque fois, vous irez faire la déclaration et à
chaque fois, il sera précisé que votre gendre est absent…
Mais pourquoi Pierre Joseph
Delmotte est-il toujours absent lorsqu’il faut venir déclarer la naissance de
ses enfants ?
Mais oui Angélique, je connais
maintenant l’histoire de votre gendre qui d’ailleurs n’était un secret pour
aucun des 600 ou 700 habitants de Lerzy.
Et oui, nous sommes obligées de
nous fixer un nouveau rendez-vous pour que nous puissions évoquer les
prochaines années que vous allez passer entourée de vos deux plus jeunes filles
et de leurs nombreux enfants.
Catherine Livet
Catherine Livet
Texte lié : L'étrange vie d'Angélique Rahïr
Ce texte est publié dans le cadre du #RDVAncestral du mois de juin 2019
Sources / Bibliographie
Archives du Nord
Archives de l'Aisne
Et bien ! Quelle vie ! Au passage ça me rappelle que je n'ai toujours pas étudié la descendance des Merda pour si on cousine par là...
RépondreSupprimerLe destin d'Angelique Hélin reprend vie grâce à toi et je pense qu'elle peut t'en être reconnaissante !
RépondreSupprimerGrâce à ton article, je connais maintenant un peu plus la vie de celle qui était la maman d'Angelique Rahïr que nous avons déjà suivi dans le #RDVAncestral.
Merci pour vos visites.
RépondreSupprimerRenaud, je pense qu'il y a de grandes chances que "nos" Merda se croisent
Ce n'est que le début de la vie d'Angélique Hélin et lorsque l'on connaît déjà la vie de sa fille Angélique Rahïr, comme toi Sébastien,on se doute bien que la vie de la pauvre Angélique Hélin ne va pas devenir digne d'un conte de fées
C'est vrai qu'Angélique a eu une vie plutôt triste et qu'elle a dû certainement batailler pour vivre.
RépondreSupprimerJ'ai eu des ancêtres cloutiers moi-aussi, une branche Wéry (les autres sont des brasseurs, rien à voir), ils venaient de la périphérie de Mons en Belgique actuelle et se sont installés dans l'Avesnois pas loin de Maubeuge.
Merci Catherine pour ce beau récit !
Fil de vie en terre axonnaise, révélateur de tant de difficultés au quotidien, mais Angélique n'est plus une invisible.
RépondreSupprimerJe suis toujours admirative devant ces articles animant la vie de ces ancêtres dont il est parfois difficile d'imaginer leur vie.
RépondreSupprimerBravo et merci pour ce billet.
Merci Hélène. Les parents d'Alexis Rahïr (mari d'Angélique Hélin) étaient de Liège en Belgique actuelle... destin similaire à votre branche Wéry.
RépondreSupprimerMerci Fanny pour cette gentille visite. Oui, Angélique n'a pas eu une vie facile... comme tant d'autres qui peuvent se retrouver en elle...
RépondreSupprimerMerci cpgenea pour ce commentaire. Il est vrai qu'il est souvent difficile d'imaginer la vie de nos ancêtres, surtout celle des femmes je trouve.
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