Robert Livet de 1694 à 1722


Il a fait beau et chaud toute la journée, la soirée a été douce et amicale ; nous sommes vendredi, il est déjà tard… Je viens de rentrer chez moi et la maison est vide… il n’y a aucun bruit… j’aime cette sensation d’être seule au monde… J’apprécie pleinement l’instant magique où, mon corps bien installé dans son fauteuil préféré, je sens mon esprit s’élever, partir loin, toujours plus haut, à la recherche de celui de l’un de mes ancêtres… aujourd’hui, il va à la rencontre de Robert Livet avec lequel il n’a pas terminé d’échanger lors de leur dernière conversation…

Mais bien entendu Robert que je me souviens où nous en étions lorsque j’ai du vous quitter un peu précipitamment le mois dernier… vous veniez de vous marier alors que partout autour de vous régnaient famine, maladies et désolation… d’ailleurs, il me semble que ce n’est que le 04 août 1695, toujours à Mézières, que naît votre premier enfant, une fille qui est prénommée  Marie mais qui sera inhumée le 21 suivant ; c’est encore une fille que Catherine Martin met au monde ce 15 mars 1697 mais l’enfant est bien faible et la sage femme s’empresse de l’ondoyer ; Monsieur le curé a le temps de suppléer au baptême, il nomme la sage femme du village dans l’acte qu’il rédige, elle s’appelle Andrée Potier, je pense qu’elle pourrait bien être votre tante maternelle mais je dois vous avouer que je n’ai pas encore fait de recherches dans cette voie ; la marraine est Marguerite Martin, sans doute la sœur de votre épouse et le parrain est Etienne Placet… il n’a pas été choisi au hasard, les Placet et les Livet sont plus qu’amis et les liens entre les deux familles ne s’arrêtent pas aux baptêmes, ils vont se renforcer par mariages pendant au moins le siècle qui va suivre…
Malheureusement, la fillette vous quittera le 09 avril 1699 ; il faut dire que la vie est très difficile et, sans aller jusqu’à parler de famine, les disettes se succèdent tant le temps se fâche contre les hommes comme le 18 juillet 1698 où un orage, vers 4 h 30 du soir s’est abattu avec tant de force sur la région que 8 000 arpents de grains et 400 de vigne furent entièrement détruits, en un quart d’heure, par la violence de la pluie de grêle… des vitres ont volé en éclats et il paraît que des bestiaux ont été assommés par la force des grêlons…

Au tout début du mois de février de cette année 1699, Catherine Martin a enfanté. Un premier garçon vous
Baptême de Jean Livet
est offert mais il y a péril de mort et Andrée Potier, toujours sage femme de Mézières, s’est empressée de baptiser le nouveau-né et vous êtes vite allé le certifier à Monsieur le vicaire de la paroisse et pour cette déclaration, vous étiez accompagné par… Nicole Potier, femme d’âge mûr… sans aucun doute votre mère. Pour cet enfant encore le parrain, Jérôme Cacheux et la marraine, Marie Guibourg ont été choisis avec soin, dans des familles alliées et qui resteront très imbriquées avec les Livet et les Placet pendant plus d’un siècle. Votre petite communauté s’est alarmée pour rien car ce petit Jean va se ragaillardir et devenir un homme qui se mariera et aura des enfants.

Une petite fille, Marie Catherine va suivre en 1701 et va aussi atteindre l’âge adulte, se marier et avoir des enfants mais ce ne sera pas le cas de la suivante qui, née à la fin de l’année 1702 sera inhumée le 10 janvier 1703 mais Jeanne née à la toute fin de 1703 et Marguerite née en septembre 1705 accompliront également leur devoir sur cette terre et donneront des enfants à leurs époux respectifs. Quelques mois avant la naissance de votre fille Marguerite, vous êtes devenu, le 30 mai, le parrain de Marie Placet, fille de Sébastien et de Marie Saint Pierre ; le bébé a un frère aîné, Pierre, qui dans quelques années va épouser Marie Jeanne Forget la veuve de votre fils Jean… Vraiment, les Placet et les Livet seront alliés de toutes les façons possibles… Mais à dire vrai, je ne sais pas si votre filleule va vivre car depuis le début du mois de mai des fièvres malignes et autres maladies terriblement contagieuses emportent les plus faibles habitants de la région… l’épidémie va durer jusqu’au mois de juillet entraînant une grosse surmortalité.
Jacques, le garçon que Catherine Martin met au monde en 1707 n’atteindra pas un an mais il sera suivi de Jean-Baptiste dont j’ai l’honneur de descendre. 

Comme il est difficile de vivre à votre époque ! Sur fond de guerres qui semblent devenues perpétuelles apportant tant de souffrances au peuple de France, le roi très chrétien fait tout pour préserver les intérêts de
Victoires remportées en Flandre en 1709
son petit-fils et contribue à plonger l’Europe entière dans cette guerre dite de la succession d’Espagne qui va affaiblir un peu plus une population tant éprouvée… 
 
Un mal en entraînant un autre, en cet hiver 1709, de mémoire d’anciens, on n’a jamais connu un froid pareil… Il paraît que le bon vin de la région tant apprécié à Versailles gèle sur la table royale… de toutes les façons, les vignes sont également gelées tout comme la rivière de Seine qui est devenue solide… il est impossible de ravitailler la capitale et les liaisons avec Versailles sont pratiquement coupées… on enregistre des températures négatives jamais atteintes, de –15 à – 18° C du 06 au 17 janvier où la température remonte à – 7,5 °C ; le dégel s’amorce le 24 mais une nouvelle vague de froid sévit du 04 au 10 février avec des températures de l’ordre de – 5° C puis le thermomètre remonte jusqu’à afficher 12° mais rechute dès le 21 février pour atteindre – 13,5° C le 24 février… Un seul mariage est célébré à Mézières durant cette maudite année, quarante-trois baptêmes sont enregistrés sur le registre paroissial contre soixante-cinq inhumations qui ont été rendues très difficiles à cause de la terre gelée et de la faiblesse des organismes…
Louis XIV a pourtant bien conscience de la souffrance de son bon peuple et de la dramatique situation économique dans laquelle se trouve le royaume ; dès décembre 1708, il fait interdire d’exporter du blé et en avril 1709, il est permis de ressemer de l’orge…des mesures exceptionnelles de charité sont prises… mais le peuple gronde et des émeutes, peut-être plus en province que dans la région, perturbent le Grand Roi qui, jusque là pensait qu’il ne devait rendre compte qu’à Dieu, reconnaît humaines ses limites et, en juin 1709, dans toutes les églises de France sera lu son fameux « Appel au peuple » à qui il s’adresse directement et il sera écouté…

Ensuite, il vous sera offert deux autres fils l’un, Pierre, que je perds de vue dès son baptême célébré le 24 avril 1712 et le second, Gabriel qui est baptisé le 1er mai 1716, jour de sa naissance, et qui est inhumé le lendemain.

La vierge à l'enfant

Je me suis prise d’affection pour vous Robert d’abord parce que vous avez vécu à une époque difficile à appréhender pour mes contemporains tant les siècles nous séparent, ensuite parce que vous avez vécu dans une région, le Mantois, que je connais bien maintenant et que j’ai marché dans vos pas… j’ai pénétré dans la petite église Saint Nicolas de Mézières, j’ai effleuré les fonts baptismaux au-dessus desquels vous, vos frères, vos sœurs, vos enfants et vos neveux ont été présentés, comme vous j’ai contemplé la vierge à l’enfant… j’ai presque senti votre souffle… j’ai cheminé dans les rues que, pour certaines, vous avez empruntées, j’ai flâné le long du lavoir de la grande fontaine, richesse sans prix à votre époque que les sources de Mézières, où il y a de fortes chances que vous soyez venu prélever l’eau nécessaire  à votre vie… et enfin Robert, sans doute est-ce très subjectif, j’ai toujours eu, depuis que je vous connais, le sentiment que vous étiez une personne bienveillante… malgré les difficultés de votre vie, malgré l’époque où vous avez vécu qui était loin d’être tendre… Peut-être est-ce du à l’histoire de Thérèse ?


Au plut tôt dans le courant de l’année 1716, vous avez quitté la paroisse de Mézières pour celle d’Epône, sa voisine.
Un nouveau fléau s’abat alors sur la région… en cette année 1719, il a pour nom canicule… le niveau de l’eau baisse dangereusement… même les sources si précieuses, fierté de Mézières et d’Epône, se font
Marques des frères Livet à l'inhumation de leur mère
discrètes… l’eau boueuse croupit, s’infecte et propage les maladies… Des nuées de sauterelles sont observées traversant toute l’Ile-de- France et causant de sérieux dégâts sur la végétation déjà bien éprouvée par la sécheresse… C’est cet été là, le 19 septembre que votre mère quitte le monde après avoir reçu tous les derniers sacrements, elle est inhumée le lendemain dans le cimetière de Mézières en votre présence et celle de vos frères, Guillaume, le maçon et Gabriel, le vigneron ; elle était veuve pourtant, je n’ai pas encore trouvé la trace du décès de votre père.

Et puis quelques années plus tard, vous avez assisté dans l’église d’Epône qui est devenue la vôtre à une union qui pourrait être semblable à n’importe quel  mariage de l’époque dans cette région sauf qu’il n’en est rien… la fiancée n’a pas de nom, elle est juste Thérèse…vous l’avez nourrie depuis sa plus tendre enfance jusqu’à ce jour, 21 octobre 1720, où vous lui avez trouvé un mari, André Thuret fils des défunts Guillaume et  Françoise Fleury, votre fils Jean est présent au mariage de celle qu’il doit considérer comme sa sœur car ce n’est pas parce qu’elle est maintenant mariée que vous n’allez plus prendre soin d’elle… le 09 décembre 1721, elle donnera naissance, à Epône, à un fils qui sera prénommé André, comme son père, et qui aura pour marraine votre fille Catherine qui est dite être de la paroisse d’Epône ; il en sera de même pour la naissance d’un autre de ses fils, Jean qui sera baptisé le 09 novembre 1724 et qui aura pour marraine, votre fille Jeanne… Thérèse n’aura jamais de nom et lorsqu’elle sera inhumée, le 14 août 1735, dans le cimetière d’Epône, le curé précisera « Elle n’avait pas de nom de famille étant un enfant trouvé »



Cependant, le 24 novembre 1721, vous avez marié votre fils aîné, Jean qui est devenu jardinier comme vous, à Mézières, il a épousé Marie Jeanne Forget qui lui donnera deux enfants, des garçons, le premier vivra neuf jours et le second naîtra et décèdera dans la même journée. Et puis votre fils Jean va tomber malade, il décède ce 15 juin 1724 muni de tous les sacrements et le lendemain, vous serez à Mézières pour assister à son inhumation.


Intérieur de l'église St-Béat d'Epône
Une époque se termine car même s’il vous reste encore trois filles et un fils à marier, leur mère, Catherine Martin va vous quitter pour toujours… elle a eu le temps durant sa maladie de recevoir les derniers sacrements, s’est éteinte le 29 janvier 1722 et a été inhumée le lendemain dans le cimetière de l’église Saint Béat d’Epône. A ce moment là Robert, aviez-vous conscience qu’une nouvelle vie vous attendait ?






Il faut maintenant que mon esprit regagne mon corps… j’ai encore un gros travail à accomplir car je dois mettre par écrit cette rencontre pour qu’elle ne soit jamais oubliée et que mes descendants connaissent leurs ancêtres comme je les connais.

Catherine Livet

Ce texte a été rédigé dans le cadre du RDVAncestral d’avril 2019, il fait suite à celui du mois de mars :
Robert Livet 
et, pour tout savoir sur le second mariage de Robert Livet, il faut lire le #RDVAncestral de juillet 2019 :
Second mariage

Sources / Bibliographie
  • Archives des Yvelines
  • Le grand hiver 1709 – Météo France
  • Le siècle de Louis XIV – Joseph Du Fresne de Francheville (1704-1781), auteur prétendu du texte
  • Histoire du climat depuis l’an mil – Emmanuel Le Roy Ladurie
  • Photo en-tête, Gallica

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