Bertrand de Faucigny |
Comme le temps a passé vite depuis la dernière fois où mon esprit s'était échappé de mon corps pour aller rencontrer celui de Bertrand de Faucigny... et nous avons encore tant de choses à nous dire aujourd'hui... Son esprit m’attend quelque part au pays des songes, celui où le mien aime se réfugier pour échapper aux absurdités du temps présent et entrer en symbiose avec les âmes de ceux qui ont préparé mon monde...
Ah, te voici Bertrand ! J'eusse préféré te retrouver à une autre époque plutôt que de devoir parler de Grande Guerre avec toi surtout que, lorsqu'elle éclate, tu es trop jeune pour être soldat et ton père est trop âgé, de plus sa santé n'a jamais été exceptionnelle, il a toujours souffert d'une lésion organique du cœur qui l'a empêché de faire son service militaire.
Mais la situation est particulière et ton père a entendu l'appel du glaive, il a senti bouillonner dans ses veines le sang des suzerains du Faucigny, il s'est souvenu de son prestigieux grand-père et de son grand-oncle, le magnifique officier, Gaspard qui avait permis que Madame Royale puisse rejoindre son beau-père Charles X durant la révolution de 1830... Plus près de lui, son jeune frère Gérard s'était engagé dans la cavalerie et, à la mobilisation générale, a immédiatement repris du service tout comme leur frère Rogatien qui a préféré l'aéronautique sans oublier leurs cousins, tous volontaires. Non, ton père, Ferdinand, prince de Lucinge, ne peut pas être en reste. Il va donc tenter de s'engager mais l'armée ne veut décidément pas de lui... Plein de ressources, il va alors obtenir un poste d'infirmier principal à l'hôpital complémentaire 21 de Guingamp, la ville la plus proche de votre château des Côtes du Nord (aujourd'hui Côtes d'Armor) ; il faut dire que l'armée aurait eu mauvaise grâce à lui refuser cette fonction, il venait de faire transformer, à ses frais, deux maisons dont il était propriétaire en annexes de l'hôpital qu'il venait de doter, au surcroît, d'une ambulance et d'une unité de radiologie... mais son état de santé se détériore... terminé pour lui son dévouement auprès des convalescents... il doit rejoindre ses foyers...
Pendant ce temps, tu as été appelé, comme tous les autres jeunes gens de ta classe, par anticipation et tu es arrivé au sein du 48e Régiment d'Infanterie le 17 avril 1917 sauf que... tu fais crise d'asthme sur crise d'asthme et tu es renvoyé dans tes foyers dès le 12 mai suivant...
Ton père n'a toujours pas dit son dernier mot et veut absolument encore donner de sa personne alors, usant certainement des relations de sa famille, il réussit à se faire enrôler et à t'embarquer dans l'aventure avec lui... vous ne pouvez pas manier le fusil... vous ne devez pas être exposés auprès de malades dans un hôpital... Pas un capon chez les Faucigny, vous serez tous les deux cantiniers auprès des Braves ! Ce sera plus particulièrement sur le front d'Italie, en première ligne, qu'il démontrera son courage et son sens de l'organisation ce qui lui vaudra de recevoir les plus prestigieuses récompenses tant françaises -Croix de guerre, Légion d'Honneur- qu'étrangères -Valeur italienne d'argent, Couronne italienne, ordre de St-Maurice et St-Lazare etc.-
Et toi jeune homme, dans le sillage de ton père, sur le front d'Italie, tu as fait preuve de la même bravoure et, sans penser à rien d'autre que de servir la Patrie, tu t'es élancé sans relâche, dans des circonstances des plus inconfortables et périlleuses, pour ravitailler les hommes de la première ligne. Pour tes exploits remarqués, tu as été décoré de la Croix du Mérite de guerre de l'ordre de l'armée italienne.
Mais, c'était tout de même à prévoir, tout comme celle de ton père, ta santé se dégrade fortement en service et le Consul général de France à Milan te réforme pour emphysème pulmonaire très prononcé accompagné de dyspnée et d'accès d'asthme très violents avec accidents asphyxiques et tachycardie.
Oh là là ! C'est terminé pour vos exploits et vous rentrez définitivement à la maison.
La guerre et les généreuses dépenses engagées par ton père pour équiper l'hôpital ont encore mis en péril la fortune familiale et comme cette même guerre a fait de toi un homme et qu'il se trouve qu'un très beau parti fréquente les mêmes salons que tante May, ta marâtre, il est décidé de te marier.
La future est encore plus jeune que toi ; elle est la fille de feu Eugène Murat et de Violette Ney d'Elchingen qui est présente et, bien entendu, consentante aux épousailles de sa fille Paule.
Le Tout-Paris se réjouit d'un tel mariage où quelques splendeurs s'exposent à la vue de tous... paraître pour exister était devenu difficile depuis ces temps de guerre alors, quoique les cérémonies soient organisées en pleine période estivale, une foule assez dense assiste, invitée ou de loin, à l'événement.
En revanche, je me suis toujours demandé ce que tes défunts ascendants avaient pu penser de ce surprenant mariage et j'espère bien qu'un jour, ils me permettront de venir discuter avec eux à ce sujet.
Car ton arrière-grand-père et son frère, le magnifique Gaspard de Faucigny, au service de leurs parents les Wurtemberg, s'étaient retrouvés, contre leurs idées, du côté des troupes de Napoléon, notamment à la bataille de Bérézina où Ferdinand fut blessé et laissé pour mort dans la fange de boue et de neige rouge du sang des soldats de tout bord. Heureusement, Paul de Wurtemberg avait aperçu le corps à moitié gelé de son aide de camp et était venu in extremis le relever et le réchauffer avant de le faire panser.
A cette époque, Joachim Murat s'était vu offrir le grand-duché de Berg et Jérôme Bonaparte celui de Westphalie tandis que Napoléon, beau-frère du premier et frère du second, avait épousé en 1810, l'archiduchesse d'Autriche Marie-Louise.
Les frères Faucigny ont profité, dès 1813, de l'effondrement de la confédération du Rhin à laquelle adhérait, sous la protection de Napoléon, le royaume de Wurtemberg pour remercier leurs parents du même nom pour leur accueil chaleureux au sein de leur armée et partir offrir leurs services à celle des Alliés... c'est ainsi qu'ils participèrent à la bataille de Waterloo contre, cette fois, les troupes napoléoniennes.
Alors franchement Bertrand, je les imagine bien, à l'annonce de ce mariage, se pencher sur terre en fronçant les sourcils, grinçant des dents et ne pouvant s’empêcher de déposer comme une malédiction sur l'union de l'un des leurs avec une descendante du maréchal d'empire, Joachim Murat qui était l'époux de Caroline, la sœur de Napoléon Bonaparte.
Paule Murat |
Mais pour l'instant, nous en sommes à la joie et à l'étalement de prestige. Au préalable, le 23 août 1919, un contrat a été signé chez Maître Cottin, notaire à Paris
et, le 28 août suivant, devant l'adjoint du maire du 16e arrondissement
de la capitale, assisté par ton oncle Gérard, tu épouses la Jeune Paule
Murat, née le 21 mai 1901 à Paris qui est également accompagnée par l'un
de ses oncles, Joachim Murat.
La célébration religieuse ne se déroule que deux jours plus tard, le 30 août à midi, en l'église saint-Honoré d'Eylau. C'est le fidèle abbé Thival, qui t'a suivi depuis ton enfance, qui te donne la bénédiction nuptiale. Léonie Trévise, la richissime veuve de ton oncle Rodolphe, que l'on ne voit plus très souvent dans la famille, est venue spécialement de Biarritz où elle s'est lancée dans des affaires hôtelières pour être témoin de ton mariage.
La quête est faite par la jeune Caroline Murat, sœur de ton épouse, escortée par ton cousin Henri et par ta sœur Béatrix au bras de votre cousin Jean-Louis.
Après la cérémonie, les deux familles se sont réunies à deux pas de l'église pour assister à la réception offerte dans son hôtel par la mère de ta jeune épouse.
Mon pauvre Bertrand... les noces seront de courte durée... Tu vas bientôt prendre une maîtresse très exigeante pour laquelle tu vas dépenser des sommes folles que tu es loin de posséder... et ta jeune épouse va rapidement ne plus supporter de devoir te partager et refuser d'assumer tes frasques coûteuses...
Je dois te laisser encore une fois Bertrand car il me faut m'occuper de ma famille terrienne mais oui, je te dis à très bientôt.
Catherine Livet
Je dois te laisser encore une fois Bertrand car il me faut m'occuper de ma famille terrienne mais oui, je te dis à très bientôt.
Catherine Livet
Ce texte est écrit dans le cadre du #RDVAncestral du mois de mai 2020.
Sources / bibliographie :
- Souvenirs de famille,
- Archives de Paris,
- Archives des Côtes d'Armor,
- BNF,
- Presse,
- Journaux officiels,
- Dans l'ombre de l'histoire du prince de Lucinge aux éditions André Bonne
Quel destin de la famille pendant guerre ! Un père qui veut absolument servir, un fils trop malade pour combattre ! En tout cas, on suit avec intérêt l'histoire de Bertrand !
RépondreSupprimerMerci Sébastien pour t'intéresser à Bertrand. J'espère bien pouvoir écrire la suite parce que sa vie va devenir très spéciale
SupprimerCette histoire d'une vie est toujours aussi passionnante à lire !
RépondreSupprimerMerci Béatrice, la suite va vraiment sortir de l'ordinaire
SupprimerLecture d'une traite
RépondreSupprimerMerci beaucoup Fanny-Nésida
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