La passion d'un prince

Version audio : 


Il pleut. Mon esprit change sa trajectoire et au lieu de se concentrer sur la lecture envisagée se dirige vers la fenêtre de toit de mon bureau sur laquelle viennent lourdement s’écraser les gouttes d’eau tombées du ciel… Semblant passer à travers le vitrage pourtant robuste, il s’élève haut dans l’espace sachant visiblement parfaitement où il va…

Ah mais c’est vrai, mon esprit avait rendez-vous avec celui de ce cher Bertrand de Faucigny qui vient de convoler en justes noces avec la riche princesse Paule Murat… Ce fut vraiment un très beau mariage, tout Paris en parle encore en 1922 lorsqu’il apprend la naissance de la petite Diane…

Nous voici donc réunis une nouvelle fois Bertrand et je montre toujours autant de curiosité pour ta vie et je me dis que si ta jeune épouse t’a peut-être intéressé un temps, tu es vite retourné à tes premières amours surtout que tu as fait la connaissance de Pierre de Vizcaya et de Louis Zborowski qui, comme toi, sont épris des formes aérodynamiques de ces machines de mort que l’on nomme automobiles. Et ces hommes ne sont pas qu’amoureux de leurs bolides, ils les pilotent d’une main ferme et de leur volonté farouche de gagner la course car, au volant de leurs puissantes machines lancées à toute allure, ils participent aux grands prix qui fleurissent un peu partout dans le monde et… ils gagnent… parfois…
Tu es fasciné, complètement envoûté par la machine infernale et grisé par la vitesse incroyable à laquelle elle est capable de t’emporter partout où tu le désires… quel sentiment de puissance t’envahit lorsque tu te glisses derrière un volant, quelle sensation de liberté te submerge alors… C’est décidé, toi aussi tu vas devenir un pilote digne de ce nom, toi aussi tu vas gagner course après course… et tu vas commencer par la plus prestigieuse d’entre elles, les 500 miles d’Indianapolis…
Bugatti, l’ensorcelante, va devenir ta plus fidèle compagne… Il faut reconnaître que dans le milieu de la vitesse et des prouesses mécaniques, elle vient de se tailler la part belle… tant et si bien qu’il n’est plus besoin d’être un initié pour connaître son palmarès… Au grand prix d’Italie de 1921 qui se court à Brescia, les Bugatti, dont la cylindrée est passée à 1 496 cc et à deux carburateurs, remportent une écrasante victoire. Ton ami Vizcaya, au volant de la sienne, est arrivé deuxième, derrière une autre Bugatti et suivi de deux autres… tant et si bien que depuis cette course, la Bugatti de type 13 qui était le modèle engagé a été surnommé le « Brescia »

Bertrand de Faucigny Indy 500 de 1923Alors, c'est décidé, tu vas entrer dans l’aventure et tu aspires de toutes tes forces à inscrire ton nom auprès de ceux de tes amis qui ont déjà le leur sur la liste des inoubliables pilotes automobiles…  Tu t’associes à leur soif de vaincre et pour cela, il te faut cette Bugatti de légende… qu’importe son prix, qu’importe le coût des modifications qu’il faut faire apporter, sur propositions de tes amis Vizcaya et Zborowski, pour transformer le bolide en monoplace… 
La fine équipe que vous formez alors, avec Raül Riganti et Martin de Alzaga, autres pilotes reconnus, qui viennent d’acheter leur Bugatti pour vous suivre dans la course, fait appel aux meilleurs spécialistes français de l’époque. 
C’est ainsi que la carrosserie est dessinée par Berchereau et est réalisée par les établissements parisiens Lavocat et Marsaud.

Les Bugatti au départ de l'Indy 500 en 1923


Une Bugatti à l'Indy 500 de 1923
Et te voici engagé dans la course, celle déjà fabuleuse que l’on appelle Indy 500 et qui se déroule sur le circuit Indianapolis Motor Speedway, dans l’état de l’Indiana aux Etats-Unis. 
Cinq Bugatti sont au départ ; les essais sont encourageants… Les bolides, améliorés à grand renfort de billets de banque, réalisent les quatrième, cinquième et sixième meilleurs temps avec une vitesse de pointe, très prometteuse, de plus de 176 km/h… mais l’Américain, Tommy Milton, avec sa Miller, réalise une moyenne de 174 km/h.

Ce 30 mai 1923, vingt-quatre concurrents sont sur la ligne, prêts à faire vrombir les moteurs et rouler les mécaniques bichonnées pour l’occasion… Sur la grille de départ, tu es au huitième rang, côté intérieur du circuit, à ta droite se tient l’argentin Raul Riganti au volant de sa propre Bugatti et à l’extérieur, l’américain Wade Morton et sa Duesenberg. 
Seule Bugatti représente la France à l’Indy 500 de cette année, les autres marques dont Ballot et Peugeot ne sont pas au rendez-vous et de plus, tu es le seul pilote français engagé.

La course est éprouvante tant pour les hommes que pour les mécaniques et plus particulièrement pour le nouveau système de lubrification des Bugatti qui ne tient pas sur la distance et qui entraîne des défaillances au niveau des roulements… au point tel que Martin de Alzaga doit se retirer de la course dès le 6è tour, il avait pris le départ sur la deuxième ligne aux côtés de Louis Zborowski et Pierre de Vizcaya…
Au 19e tour, c’est Riganti qui est contraint d’abandonner à cause de problèmes mécaniques… le grand Zborowski ne tient que jusqu’au 41e tour…
Des cinq Bugatti entrées en lice, il ne reste plus que celle de Vizcaya et la tienne qui se maintiennent bien… rien n’est perdu… tu t’accroches à ton volant… tu fais attention à ne pas trop fatiguer la machine… Vizcaya est en bonne place… jusqu’au 166e tour où, la Bugatti n’en peut plus et refuse de finir la course, obligeant son pilote pourtant expert à abandonner son rêve de victoire…
Chance du débutant ou réel talent… je n’ai pas la capacité de pouvoir trancher mais en tous les cas, tu es toujours en course… les tours s’enchaînent à toujours plus grande vitesse… il faut maintenant prendre tous les risques pour se positionner en tête… La Miller de Tommy Milton franchit enfin la ligne d’arrivée après 5 heures et 29 minutes de lutte acharnée avec les autres pilotes américains qui prennent les sept premières places et, bien que la cinquième place soit remporté par un pilote de la marque Ford, il faut reconnaître que celle de Miller est prépondérante à l’Indy 500 de 1923. L’Allemand Max Seiler te coiffe au poteau au volant de sa Mercedes et tu es suivi de peu par la Duesenberg de l’Américain Wade Morton et la Mercedes de Christian Werner, un autre pilote allemand engagé dans cette fabuleuse course automobile.
Tes débuts sont prometteurs, sur les vingt-quatre pilotes, dont certains chevronnés, seuls onze ont donc bouclé les deux-cents tours de circuits nécessaires pour parcourir les 500 miles prévus dont toi, en fait débutant, qui arrive à la neuvième place… en sauvant la réputation de Bugatti…
Bertrand de Faucigny au volant de son "Tank"
29 juin 1923 - Photo BNF - Gallica
De toutes les façons, tu sembles avoir été très sûr de tes exploits car en fait, tu es déjà engagé pour une autre course, le grand prix de France qui va se dérouler à Tours le 02 juillet de cette même année 1923… Bugatti a tellement amélioré ses automobiles de compétition qu’il te faut maintenant acquérir le type 32, la mythique Bugatti qui restera dans l’histoire de l’automobile sous le nom de « le Tank »
Ah là là, elle est taillée pour la course… elle est faite pour toi… peu importe son prix, peu importe les dépenses pour son entretien et son engagement dans la course… il te faut le meilleur des mécaniciens pour t’accompagner au bout de ton rêve, peu importe ce qu’il va te coûter…
Je suis un peu incommodée par la poussière que j’ai inhalée durant toutes ces heures en assistant à tes exploits lors de l’Indy 500 de 1923 alors, je ne suis pas prête à recommencer si vite en enchaînant avec le grand prix de France de la même année auquel tu m’invites… Et puis, malgré que je sois arrivée bien plus tardivement sur terre que toi, je te considère un peu comme mon enfant, alors je me permets de te dire que l’habit de prince somptueux que tu sembles ne pas vouloir quitter commence à me déranger…
Mais non, Bertrand, je ne peux strictement rien changer au cours de ton existence… regarde sur terre, mes contemporains s’éveillent, ils vont bientôt s’inquiéter de mon silence, ma place est à leurs côtés, il faut que mon esprit regagne mon corps au plus tôt pour que je puisse remplir mes obligations terrestres…

Ce texte est écrit dans le cadre du #RDVAncestral de juin 2020, il est la suite de :

La fin est triste : Déchéance princière

  .・゜゜・ LIBRAIRIE ・゜゜・.

FNAC  
(Pour la version numérique de mes livres)

 VERSION KINDLE 

(Pour certains de mes livres - Aussi sur Abonnement Kindle)

Pour me joindre :

 
Bientôt disponible : "Un p'tit gars du S.T.O"

Je vous invite à me rejoindre sur le groupe Facebook "de la généalogie à l'écriture" afin que nous puissions avancer ensemble sur nos différents projets de récits de vie.

14 commentaires:

  1. Je n'aurais pas cru pouvoir suivre une course automobile avec autant d'intérêt, mais je me suis laissée emporter par tes talents de conteuse !

    RépondreSupprimer
  2. Merci Christelle pour ce si gentil commentaire.
    En vrai je n'assiste que très rarement à des courses automobiles mais lorsque tu fréquentes un passionné comme Bertrand, tu es obligée de l'écouter partager ses rêves... C'est valable pour toutes les passions... Je crois.

    RépondreSupprimer
  3. Encore un texte limpide ! L'inscription à votre groupe est-elle libre ? Y apprend-on à écrire comme vous ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci beaucoup Anonyme. Oui bien sûr l'inscription au groupe Facebook "de la généalogie à l'écriture" est totalement libre mais non, on n'apprend pas à écrire comme moi -mais merci vraiment pour ce magnifique compliment- ; à dire vrai, on n'y apprend pas à écrire mais on y trouve des idées, des méthodes et des astuces etc. partagées par les participants.

      Supprimer
  4. Que de détails, que de détais, c'est passionnant !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Renaud. Des détails de sa vie, il en a laissé plein les journaux... la suite va être assez édifiante

      Supprimer
  5. Emportée par le récit, toute une époque ces premières courses automobiles !

    RépondreSupprimer
  6. Merci Fanny.
    C'était vraiment une fabuleuse époque que celle de ces automobiles vendeuses de rêves.

    RépondreSupprimer
  7. Mais quel texte ! Quelle histoire ! Je me suis transporté avec toi à Indianapilis. Vraiment bravo ma chère cousine !

    RépondreSupprimer
  8. Merci mon très cher cousin mais pour l'histoire, je n'ai strictement rien inventé, c'est Bertrand qui m'a tout soufflé !

    RépondreSupprimer
  9. Bonjour.
    Une vie comme celle-ci, pas étonnant que vous ayez envie de la raconter. Après il y a ce petit (très gros) plus qui donne envie de lire toute l'histoire parce que vous savez nous faire vibrer ! On ressent toute la passion de Bertrand !
    Merci !

    RépondreSupprimer
  10. Bonjour Christine,
    Merci beaucoup pour votre commentaire vraiment très gentil.
    C'est vrai qu'il m'était impossible de ne pas écrire au sujet de la vie de Bertrand, un sacré numéro... et pas qu'en course mais... j'anticipe...
    A très bientôt

    RépondreSupprimer
  11. Superbe récit de course ! On est presque aussi fatigué que les pilotes quand s'achève la lecture :)

    RépondreSupprimer
  12. Merci Béatrice ! Ce n'est que la première grande course de Bertrand ; c'était un fou furieux de l'automobile

    RépondreSupprimer

Merci pour cette lecture.
Ecrivez moi un petit commentaire, je suis toujours heureuse d'échanger quelques mots avec les personnes cachées derrière les écrans.