J'arrive chez moi. Il est beaucoup plus tard que prévu... Encore une fois, j'ai été trop bavarde... Nous étions nombreux à l'apéro organisé par ma voisine... Comme je lui avais expliqué que je travaille le samedi matin et que je n'aurai pas beaucoup de temps, elle m'a préparé des gâteaux pour mon dîner... comme cela, je pourrai penser à elle en grignotant ce qu'elle m'a préparé tout en préparant mon récit... c'est ce que je fais...
Je relis mon #RDVAncestral du mois dernier... mon esprit était allé à la rencontre de celui de Jacques Beckerich. Nous avions parlé de ses trois mariages, de ses nombreux enfants et plus particulièrement de Catherine qui avait épousé le fils de sa marâtre... J'avais annoncé que je m'intéressais aussi, et grandement, à l'un de ses fils... mais voilà, je suis réticente à me rendre à ce rendez-vous... pourtant, il le faut... mon esprit regimbe, il a soif d'en savoir plus... il s'échappe de mon corps et, sans doute pour être sûr de ne pas rebrousser chemin, s'élève brusquement et fonce, pour rejoindre celui de Jacques Beckerich qui attend avec impatience sa venue...
Oui Jacques, je sais que vous n'avez pas connu le terrible destin de votre fils Sébastien. Il est l'aîné des enfants que vous avez eu avec votre seconde épouse, Delphine Drunschberger, morte en donnant la vie à votre fille Catherine dont nous avons parlé lors de notre dernière rencontre.
Sébastien est né à Bettviller, aujourd'hui en Moselle, le 23 avril 1749 et, bien entendu, il m'a été impossible de savoir quoi que ce soit à son sujet durant son enfance et même, il me faut l'avouer, je n'ai fait connaissance de votre fils que le 16 avril 1778... le jour de votre inhumation à Bettviller à laquelle il a assisté et, à la lecture de l'acte, j'ai découvert non seulement son existence mais également qu'il était séminariste tonsuré... et puis, il repart, je ne sais pas où... la vie suit son cours, plus ou moins tranquillement jusqu'au grand cahot de la révolution qui a rudement secoué le duché de Lorraine... Bon, on lui doit la création du département de la Moselle... dans la douleur... il faut dire qu'il était très compliqué de s'entendre entre voisins en Lorraine coupée en zones germanophone et francophone... il y avait parfois, de toute évidence, quelques incompréhensions... Tout va vraiment très vite à cette époque... les idées neuves balaient les us et coutumes... elles s'imposent par la force, font tomber des têtes et couler le sang... prennent violemment le pouvoir même - et surtout - dans le clergé...
La nationalisation des biens de l'Eglise a été votée le 02 novembre 1789, les ordres contemplatifs ont été dissous le 13 février 1790... personne n'a rien demandé au pape... Bon, les révolutionnaires ne sont pas de mauvais bougres... ils sont même plutôt pour l'égalité ! Alors, en compensation du vol des biens de l'Eglise, ils veulent assurer un revenu minimum aux ecclésiastiques spoliés... c'est ainsi qu'est rédigé la Constitution civile du clergé, adoptée par l'Assemblée constituante le 12 juillet 1790. Bon, pourquoi pas... même si bien entendu tout le monde n'est pas d'accord ? Evêques et Prêtres vont être pensionnés par l'état... Fi de la royauté ! Fi de la papauté ! Evêques et curés seront élus par leur diocèse et leur paroisse... Mieux encore, évêques et curés devront prêter serment à la constitution...
Mais pourquoi donc suis-je en train de parler de cette époque ? Parce que, partie sur les traces de votre fils Sébastien, j'ai beaucoup erré, pendant des années, à la recherche de son acte de décès, de son éventuel mariage... j'ai écumé la région, je me suis usé les yeux sur des registres plus ou moins lisibles... jusqu'au jour où... un acte pas comme les autres a attiré mon attention...
Un enfant de 5 ans est décédé... rien de plus banal... mais le curé a noté : "... son corps fut enterré le lendemain au cimetière de Moderhausen (1) sans cérémonie parce que les laïques l'ont enterré avant qu'un prêtre le trouvoit..." Cet acte m'est apparu assez extraordinaire en soi mais, lorsque j'ai vu la signature du curé, j'ai été... stupéfaite... c'était celle de votre fils Sébastien... vicaire de Moderhausen. j'ai regardé sur les pages précédentes, je n''ai pas vu sa signature... cet acte daté du 09 septembre 1790 est le premier que j'ai rencontré... ensuite, il y en a d'autres puis, à partir du 06 octobre 1791, Sébastien est le seul prêtre à signer le registre... comme s'il était le curé de la paroisse... jusqu'au 31 décembre de la même année où j'ai reperdu la trace de votre fils... Il faut dire que je crois bien qu'il a été obligé d'adopter la plus grande discrétion... car Sébastien a fait de la résistance...
L'abbé Beckrich a refusé de jurer de maintenir de tout son pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale... Il n'est pas le seul... alors, le 27 novembre 1791, il est décrété que le serment est obligatoire... C'est ainsi que votre fils, le père Beckrich, devient réfractaire ! Il devient donc, selon le décret du 29 novembre suivant, plus que suspect... mais ce n'est rien encore... la répression va se durcir, les prêtres insermentés vont être enfermés, maltraités...
En mai 1792, un décret invite la population à dénoncer les prêtres insermentés qui n'ont plus la liberté de culte et qui seront dénationalisés... les prêtres réfractaires sont d'ores et déjà arrêtés... en juillet suivant, certains se feront massacrer à Marseille, Limoges et Bordeaux... le 26 août, les réfractaires doivent s'exiler... ils ont un délai de quinze jours pour décamper... L'anti-catholicisme est à son comble et les révolutionnaires, qui osent tout, qualifient les réfractaires de fanatiques et d’intolérants ! Les églises sont fermées ou transformées en temple de la raison ou en maison commune... de toutes les façons, les catholiques n'en ont plus besoin... leur culte est tout simplement interdit en novembre 1793...
Pourtant Jacques, penchons-nous sur terre et tentons de voir un peu ce qui se passe à cette époque...
DUVEAU Louis - Musée des beaux-arts de Rennes |
C'est la Terreur... malgré tout regardez Jacques... là, auprès de ce chêne majestueux... n'est-ce pas une messe qui se dit tout bas à la timide lueur de la lune ? Et ici, voyez, au cœur de cette forêt... un prêtre n'est-il pas en train de donner une bénédiction nuptiale ? Et là, en Bretagne, c'est sur la mer que les fidèles se réunissent...
Rien à faire, comme moi, vous n'apercevez nulle part votre fils... Où se cache-t-il ? Car voyez-vous Jacques, j'ai retrouvé une petite trace de lui qui m'a glacé le sang... Sébastien a été condamné à la déportation, pour cause révolutionnaire... Mais oui Jacques, par foi ou par volonté farouche, votre fils a fait de la résistance au péril de sa vie... et tant de prêtres sont d'ailleurs morts, souvent dans des conditions terribles, pour les mêmes motifs...
Alors voilà, je vais vous dire ce qui était prévu pour le père Beckrich. Il aurait du être déporté en Guyane... Les prêtres, dont votre fils aurait pu faire partie, sont d’abord acheminés vers Rochefort, Nantes et Bordeaux. mais la flotte anglaise occupe alors l'océan atlantique... les prisonniers sont restés sur les pontons de Rochefort...
Navire négrier du type des Deux-Associés ou du Washington |
Ceux de Rochefort seront embarqués sur deux navires négriers, les Deux-Associés et le Washington… qui finiront par devenir les « pontons de Rochefort » L’embarquement par lui-même est déjà une terrible épreuve surtout pour les plus âgés et les plus faibles puisqu’il faut grimper sur une échelle haute de douze pieds qui vacille sans cesse et dont les échelons sont fort éloignés les uns des autres, sur le bord du vaisseau, il faut de nouveau utiliser une échelle pour descendre à l’intérieur du navire et ce n’est pas plus facile… là, un à un, les prêtres sont dépouillés de leur argent, de leurs bagages et de tout ce qu’ils peuvent posséder puis ils sont enfermés dans des conditions inimaginables, ils sont entassés à quatre-cents dans un entrepont prévu pour quarante, ils ne peuvent pas se coucher sur le dos et doivent rester sur le côté pour dormir… le jour, ils sont parqués sur une étroite partie du pont, là où se trouve le mât de beaupré, partie malpropre, toujours encombrée de cordages et de barriques… à côté du mât se trouvent deux petits baraquements abritant chacun un cochon… les prêtres sont tellement serrés qu’ils ne peuvent pas s’asseoir et sont donc condamnés à rester debout toute la journée… les repas se transforment en véritables calvaires… la nourriture, très nettement insuffisante et de vilaine qualité, était distribuée à un « chef de table » qui recevait la portion de dix hommes mais les prisonniers sont si serrés qu’ils ne peuvent même pas porter les aliments à leur bouche… Sur ce pont les prisonniers sont exposés à toutes les intempéries, ils sont brûlés l’été par le soleil mais pendant l’hiver, les brouillards, la pluie et la neige tombent sur eux sans qu’ils puissent s’abriter… cette situation insupportable ne va s’améliorer que par la perte d’un grand nombre d’entre eux car la gale, le scorbut, le typhus, la dysenterie, la vermine se propagent rapidement…. Sur 829 prêtres déportés sur les pontons de Rochefort, 547 ont péri d’avril 1794 au début de 1795 et enfin, en février, les prêtres sont transférés à Saintes où ils reçoivent de la part de la population un très grand soutien, des habits et des vivres… dès qu’ils le peuvent, les prêtres se dépêchent de rentrer chez eux.
« Ces hommes étaient rayés du livre de la République, on m’avait dit de les faire mourir sans bruit… » dira le Capitaine Laly des Deux-Associés.
Noyades de Nantes - Anonyme - Musée de Nantes |
Ceux de Nantes finiront noyés... mais les religieux ne seront pas les seules victimes des noyades de Nantes. Regardez Jacques, une plaque est visible à l'emplacement où ces atrocités ont été commises, quai de la Fosse au ponton Belem en aval du pont Anne de Bretagne ; je vais vous dire ce que le souvenir Chouan a fait inscrire pour l'édification des promeneurs :
"De cet endroit, durant l'hiver 1793-1794, furent entassés dans des embarcations des milliers de personnes de toutes origines, prêtres, religieux, religieuses, agriculteurs, artisans, commerçants, plus de 300 enfants, des femmes, des vieillards, afin d'être noyées dans ce fleuve baptisé Torrent Révolutionnaire ou baignoire nationale. Cette décision fut prise et appliquée à partir du 16 novembre 1793 par Jean-Baptiste Carrier pro-consul de la République représentant en mission de la Convention. Il s'agissait de désengorger les diverses prisons de Nantes rapidement et à faible coût. Sur ces sept à huit mille personnes, seul un prêtre a survécu. La Terreur fit à Nantes plus de vingt mille morts"
Et si vous veniez me rejoindre sur Facebook ?
"de la généalogie à l'écriture"
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(Pour la version numérique de mes livres)
Pour me joindre :
- Archives de Moselle,
- Liste des déportés et condamnés pour cause révolutionnaire du département de la Moselle par André Gain,
- Annales de l'Est,
- Musée de Nantes,
- Expositions virtuelles du Musée de Rennes,
- les pontons de Rochefort, 1794-1795 de Pierre Bour
Brrr... C'est une période qui me fait frissonner moi aussi. Bien contente que Sébastien s'en soit tiré !
RépondreSupprimerAh oui ! Merci Christelle pour la lecture et le commentaire
SupprimerMerci d'avoir mentionné cette plaque apposée par le Souvenir Chouan de Bretagne ; souvent arrachée mais toujours une nouvelle est installée.
RépondreSupprimerSouvenir Chouan de Bretagne
Bravo au Souvenir Chouan de Bretagne pour cette plaque commémorative. Compte tenu du sujet de mon article, il était évident pour moi de la citer.
SupprimerMerci beaucoup pour votre lecture et votre message.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerJe ne connaissais rien de ces histoires... Merci Catherine.
RépondreSupprimerMerci Renaud pour la lecture et le commentaire. Il faut dire que l'on ne parle pas très souvent des horreurs commises lors de la sacro-sainte révolution française
SupprimerTrouble époque méconnue ...
RépondreSupprimerAh oui, très trouble et méconnue ! Merci Anonyme pour votre lecture et votre commentaire
SupprimerBravo Catherine, je suis contente que Sébastien s'en soit sorti.
RépondreSupprimerVous avez bien parlé de cette période méconnue, avec justesse et sans trop en faire
Merci Cécile,
SupprimerJ'ai vraiment eu beaucoup de mal à trouver des renseignements au sujet de ce pauvre Sébastien... encore aujourd'hui il reste biencaché/
Période complexe, le vicaire après une traversée du désert a donc pu reprendre son ministère. En démarrant ma généalogie j'avais découvert la situation des prêtres réfractaires.
RépondreSupprimerMerci Fanny,
SupprimerC'est vrai que la vie des prêtres réfractaires reste souvent un peu mystérieuse pour certains.
Passionnant, merci pour cet article !
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