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Et voilà, je n’arrive pas à me concentrer… mon esprit sautille d’une idée à l’autre… je prends un crayon de bois et je commence quelques esquisses… j’ai des envies de portraits… et puis j’abandonne pour pianoter sur le clavier de mon ordinateur car j’ai des textes dont il faut que je termine la rédaction… et puis, de plus en plus fréquemment, mon esprit montre des signes d’impatience… il a raison en fait, si mon corps est confiné à domicile, mon esprit est totalement libre d’aller et venir où il veut et, depuis longtemps maintenant, je sais qu’il voulait rencontrer Bertrand Marie Ponce François Raphaël de Faucigny, prince de Lucinge… un sacré numéro sur lequel il me faut faire le point…
Bonjour
bébé a dit l’apprentie-fée désignée pour veiller sur ta destinée en ce jour
bénit du 03 décembre 1898 ou ta mère, Elise Clara Raphaëlle de Cahen, installée
le plus confortablement possible, entourée des meilleurs spécialistes du Tout-Paris,
a connu pour la première, et la dernière, fois les affres de l’enfantement.
Comme
tout un chacun, tu es sorti du sein de ta mère tout nu, gluant et fripé… comme
tous les petits d’humains lors de leurs premières minutes, tu as poussé un
douloureux cri sauvage présageant de la difficulté de vivre lorsque tes
minuscules poumons se sont brutalement emplis de l’air ambiant qui t’est
maintenant nécessaire et qui le restera jusqu’à tes derniers instants sur terre.
Curieusement, je ne sais pas quand a eu lieu la cérémonie et pourtant, je suis
sûre que tu as été baptisé… et cela est d’une grande importance compte tenu de
ton histoire.
Tu
ressembles tant à n’importe quel autre bébé à ce moment là mais,
malheureusement pour toi, cela ne va pas durer… Je crois bien que ta fée t’a
déjà oublié.
Tes
parents se sont fastueusement épousés en 1891… Ton père a alors apporté son
prestigieux patronyme et les titres héréditaires qui y sont liés… pour faire
monter les enchères quelques noms et titres ont été sortis des oubliettes… Sans
doute fallait-il ainsi agir car la situation financière de la famille princière
des Faucigny-Lucinge (et Coligny et Cystria et...) est… précaire…
Oh ! le train de vie de ton grand-père, le dernier, à mon avis, réel prince de Lucinge paraît tout à fait enviable au commun des mortels mais à dire vrai, Charles a commis quelques erreurs…
Il est un homme complexe. Né en 1824, il est le trait d’union entre deux mondes. Bien qu’il fût très jeune à l’époque des faits, il se souvient parfaitement de sa vie d’errance due à la fidélité de ses parents pour la personne de Charles X, seul roi qu’il ait connu, son parrain, obligé de trouver refuge en dehors de France… Puis, quelques années après le décès en exil du vieux roi, la famille princière rentre au pays ; Charles se marie sous le second empire avec une femme ayant de solides racines en Bretagne et sa vie va se partager entre Paris et ce terroir à la personnalité très affirmée…
Plus ou moins de bon gré, il va être amené, sur les terres de son épouse, à « entrer en politique »… il ne va pas se faire que des amis… Pour vivre, il va devoir « travailler »… Il devient donc d’abord simple actionnaire d’une société de crédit... catholique... puis administrateur… de nombreuses filiales sont créées… mais la machine s’emballe… les titres s’effondrent… nous sommes alors en 1882, c’est le plus grand krach boursier de l’histoire de France… Charles est ruiné, il doit se séparer de certains biens immobiliers… et il se fait beaucoup d’ennemis… mais aussi quelques connaissances aux poches bien garnies…
Oh ! le train de vie de ton grand-père, le dernier, à mon avis, réel prince de Lucinge paraît tout à fait enviable au commun des mortels mais à dire vrai, Charles a commis quelques erreurs…
Il est un homme complexe. Né en 1824, il est le trait d’union entre deux mondes. Bien qu’il fût très jeune à l’époque des faits, il se souvient parfaitement de sa vie d’errance due à la fidélité de ses parents pour la personne de Charles X, seul roi qu’il ait connu, son parrain, obligé de trouver refuge en dehors de France… Puis, quelques années après le décès en exil du vieux roi, la famille princière rentre au pays ; Charles se marie sous le second empire avec une femme ayant de solides racines en Bretagne et sa vie va se partager entre Paris et ce terroir à la personnalité très affirmée…
Plus ou moins de bon gré, il va être amené, sur les terres de son épouse, à « entrer en politique »… il ne va pas se faire que des amis… Pour vivre, il va devoir « travailler »… Il devient donc d’abord simple actionnaire d’une société de crédit... catholique... puis administrateur… de nombreuses filiales sont créées… mais la machine s’emballe… les titres s’effondrent… nous sommes alors en 1882, c’est le plus grand krach boursier de l’histoire de France… Charles est ruiné, il doit se séparer de certains biens immobiliers… et il se fait beaucoup d’ennemis… mais aussi quelques connaissances aux poches bien garnies…
Parmi les propriétés perdues se trouve
le château de Chermont à Creuzier-le-Neuf dans l’Allier,
maison dans laquelle
ton père est né en 1868, il n’est pas le seul, certains de ses frères ont également
vu le jour dans cette demeure chargée d’histoire. Le domaine était la propriété
de Gaspard de Faucigny, le magnifique officier à l’expérience et au sang-froid
sans faille, qui a permis à Madame Royale d’avoir la vie sauve lorsque revenant
des eaux de Vichy, elle a voulu rejoindre son oncle, Charles X, qui venait de
quitter Versailles pour Rambouillet après avoir décidé d’abdiquer. En fait, je
crois que déjà, le château et toutes ses dépendances étaient plutôt la
propriété de l’épouse de Gaspard mais l’héritage a fini par tomber dans l’escarcelle
de ton grand-père Charles, neveu du grand Gaspard dont le prestige a été un peu occulté par la mise en avant de son frère Ferdinand…
Regarde Bertrand, voici un petit schéma pour situer toutes les personnes dont nous parlons les unes par rapport aux autres et dans leur époque :
Château de Chermont |
Regarde Bertrand, voici un petit schéma pour situer toutes les personnes dont nous parlons les unes par rapport aux autres et dans leur époque :
Ton père, Ferdinand a encore le
cerveau irrigué par les quelques gouttes de « sang bleu », maigres souvenirs
des suzerains du Faucigny, qui coulent dans ses veines. N’ayant pas, en théorie,
un grand rôle à jouer pour le prestige de la famille, n’étant
pas, en plus, d’une santé remarquable, le jeune homme se tourne vers les études
et, érudit, va faire des recherches historiques et
va éclairer la zone sombre de l’histoire médiévale des barons de Faucigny dont
je te parlerai un jour prochain.
Mais comme la situation financière de ton
grand-père ne s’est pas vraiment arrangée lorsque ton père arrive en âge de se
marier, il va être amené à jouer un rôle très important. Plus tard, dans d’autres
circonstances, il saura se montrer d’un grand courage mais pour le temps
présent, il faut sauver l'horrible château breton de Coat-an-Noz, et tout ce qui va avec,
qui est à son tour menacé…
Dans
l’entourage de Charles, gravitent des hommes très riches… des purs financiers…
en quête d’une certaine reconnaissance… Parmi eux, il y a Maximilien Raphaël de
Cahen, banquier belge, qui a une fille dont l’âge est en rapport avec celui de Ferdinand
et qui est donc devenue ta mère.
Le
château breton, ses meubles et ses dépendances auraient ainsi été déshypothéqués par
Monsieur de Cahen afin que sa fille devienne la princesse de Lucinge…
Le
mariage de tes parents, non seulement approuvé par ton grand-père mais aussi, sans
doute, arrangé par lui, ne semble pas des plus heureux et des mésententes vont
très vite naître au sein du couple… C’est encore l’argent qui pose problème…
Ton arrivée dans la vie se fait donc dans une ambiance un peu… spéciale…
Ta
mère est habituée au luxe, elle ne connaît, contrairement à son époux, que « son
monde », elle est un peu dans la démesure… Enfin officiellement mondaine,
on la voit partout à Paris, tout le monde a les yeux rivés sur sa petite
personne et les vieilles comtesses et autres baronnes sont à l’affut de la
moindre faute de goût de cette jeune femme sortie de nulle part qui vient de
les supplanter dans le Tout-Paris en venant de s’offrir un titre, fort rare et
donc très enviable de princesse… Elle se
doit donc d’être toujours plus élégante et ne peut porter deux fois la même
toilette…
C’est ainsi que
le 11 août 1898, ton père est assigné devant la troisième chambre du tribunal
civil pour un procès intenté contre lui par une couturière qui réclame 49
229,75 francs de fournitures à la princesse pour l’année 1896-1897. Avant d’en
arriver à demander réparations en justice, la couturière s’était adressée
directement à lui… Ton père aurait alors demandé à ton grand-père maternel de
régler la dette de ta mère mais ce dernier aurait tout bonnement refusé…
Cependant, très grand seigneur, ton père propose, par écrit, à la créancière de
la rembourser par acomptes et, en attendant, de lui verser des intérêts ;
il ne peut donc plus vraiment prétendre qu’il ignorait ces achats, il ne peut
que mettre en avant que c’est sans son autorisation que sa femme a fait de
tels frais. Le tribunal a jugé que la maison de couture aurait dû rechercher
si les dépenses en toilettes n’excédaient pas les ressources des époux et que,
s’il est vrai que le mari est tenu des dettes de sa femme relativement à son
entretien, les juges doivent tenir compte de l’importance des revenus des
époux ; qu’il y a lieu, dans l’espèce, de considérer comme très exagérée
la dépense de 49 229 francs faite chez une couturière dans l’espace de moins
d’un an. Le tribunal condamne donc le couple princier à payer à la maison de
couture seulement la somme de 30 000 francs.
Il est certain
que ton couffin est garni de soie et que l’on a embauché la meilleure des
nurses pour s’occuper de toi mais je ne suis pas sûre que tes parents t’aient
beaucoup cajolé… de toutes les façons, ta mère n’en aura jamais le temps car le
destin en a décidé autrement…
Peu après ta
naissance, il s’avère qu’elle est malade… très malade… bien entendu les plus grands
médecins viennent ausculter la malheureuse, on lui prescrit les remèdes les
plus modernes… elle décède ce 05 décembre 1899 au domicile conjugal où,
peut-être, tu habites aussi… Il est parvenu jusqu’à moi qu’elle serait décédée de
tuberculose…
Je dois t’avouer
Bertrand, puisque tel est le prénom sous lequel tu seras connu, que je n’ai
jamais ressenti beaucoup de sympathie pour ta vie d’adulte mais je dois
reconnaître que, malgré les apparences, tu n’es pas né avec tous les atouts en mains…
Pourtant, les
années pendant lesquelles tu es passé du stade de bébé à celui d’homme sont
restées dans l’histoire comme « la Belle Epoque » Le monde s’ouvre,
la France rayonne… les arts s’épanouissent, les médecins soignent… les progrès
sont colossaux dans tous les domaines… l’automobile fascine et est déjà très
utilisée dans ta famille… Cette invention
sensée offrir la liberté va t’apporter le malheur mais éprise d’elle,
entièrement sous son charme, dépendant comme tu aurais pu l’être d’une
maîtresse experte, tu ne pourras jamais t’en séparer… elle sera la cause de ta perte…
Mais en cette fin d’année 1900, c’est
ton grand-père qui est victime de la machine infernale et le 27 octobre, alors
qu’il se rendait en visite chez son fils, il est broyé par le poids de la ferraille
de son bolide… le « Petit Journal Illustré » du 18 novembre 1900
relate les faits dramatiques d’une façon très imagée et illustre ses propos d’un
dessin choc.
« Terrible
accident d’automobile. Le martyrologue de l’automobiliste vient de s’augmenter
d’une nouvelle victime. Monsieur Raphaël Cahen d’Anvers, un financier bien
connu en France et à l’étranger, était parti de son château de Draveil pour
aller voir son fils à Reims. Accompagné d’un mécanicien et monté sur une
voiture capable de lutter de vitesse avec un train express, il brûlait la
route, lorsque, dans une côte, le lourd véhicule dérapa sur le sol défoncé par
la pluie. Le mécanicien eut le temps de sauter à terre, tandis que l’automobile
se précipitait dans un fossé profond qui bordait le chemin et tombait de tout
son poids sur Monsieur Cahen d’Anvers. Quand on vint au secours du malheureux
touriste, il avait la poitrine écrasée
et la tête fracassée.»
Le corps de Raphaël de Cahen est convoyé
de Lepron-les-Vallées dans les Ardennes, où l’accident mortel a eu lieu, jusqu’à
Paris…
Il paraît, petit Bertrand, que tu aurais
accompagné ton père aux funérailles de ton grand-père maternel… Elles furent
grandioses… Monsieur Dreyfus, grand rabbin de Paris a prononcé l’éloge du
défunt en présence de Monsieur le grand rabbin de France… Il y a à l’époque une
certaine discussion au sujet des honneurs à ton grand-père car certains se sont
indignés « qu’on ait pu accorder les honneurs de l’oraison funèbre à
des hommes qui, en laissant baptiser et élever leurs enfants dans le catholicisme,
font à la synagogue, qu’ils n’ont pas reniée personnellement, la plus grave des
injures. » [L’Univers Israélite
du 07/12/1900]
Une foule considérable a accompagné ton
grand-père le 31 octobre jusqu’au cimetière de Passy où il a rejoint pour l’éternité
son épouse et leur fille, la princesse de Lucinge, ta mère Raphaëlle Cahen.
L’hécatombe n’est pas terminée et c’est
au tour de ta grand-mère maternelle de rendre l’âme le 1er juin 1901,
sur ses terres bretonnes, à Belle-Isle-en-Terre…
Ton père va alors se remarier, le 02
juillet suivant, en région parisienne, à Vaux-le-Pénil en Seine et Marne, fief
de la fiancée, avec Marie Amélie Juliette Elisbeth May Ephrussi. Tante May puisque
c’est ainsi qu’elle sera nommée dans la famille est la fille d’un… riche
banquier…
Tante May t’offrira deux sœurs.
Allez jeune Bertrand, je vais te
laisser grandir tranquillement car j’ai encore un certain nombre de choses à accomplir
sur terre mais il est certain que nos esprits se rencontreront au moins une
nouvelle fois car tu vas devenir une vraie vedette !
Catherine Livet
Ce texte est écrit dans le cadre du #RDVAncestral de mars 2020
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Pour me joindre :
Sources - bibliographie :
- archives de Paris
- archives des Côtes d'Armor
- archives de Seine-et-Marne
- archives des Ardennes
- l'Univers Israélite du 07 décembre 1900
- Presse de 1882
- Le Petit Journal Illustré du 18 novembre 1900
Quels personnages Catherine ! J'ai hâte de connaître la suite et de savoir quelle sera la vie de ce fameux Bertrand !
RépondreSupprimerMerci Christelle pour ta visite. A mon avis, tu ne vas pas être déçue... il est incroyable ce Bertrand !
RépondreSupprimerJe me souviens encore de tes rencontres avec les Faucigny, mais dans une période beaucoup plus faste... triste destinée que celle de cette lignée. Le debut de la vie de Bertrand semble mal débuter. Qu'en sera-t-il de la suite ?
RépondreSupprimerAh oui ! C'est vrai Sébastien j'ai déjà rencontré des Faucigny... mais c'était une autre époque. Bertrand est la victime de son époque... il a été trop moderne... peut-être pas assez réfléchi... La suite est assez singulière.
SupprimerRécit super bien documenté. L'introduction de ce Bertrand nous met l'eau à la bouche pour la suite.
RépondreSupprimerMême si on sent qu'elle ne sera pas forcément super sympa 😉
Merci Asavar. Comme je l'ai écrit à Sébastien, la suite de la vie de Bertrand va être assez spéciale mais... je crois qu'elle est assez intéressante...
SupprimerIl faudra donc attendre un moi pour lire la suite ?
RépondreSupprimerEn principe oui mais compte tenu de la situation particulière, il est possible que je publie avant.
RépondreSupprimerMerci anonyme pour cette lecture.
Passionnante lecture !
RépondreSupprimerVraiment hâte de connaître la vie d’adulte de Bertrand. Je ne suis pas contre une publication anticipée de la suite !
Merci beaucoup Stanislas. Patience, je suis en train de faires quelques vérifications avant de publier la suite.
SupprimerPassionnante cette saga familiale ! J'ai bien hâte de connaître la suite et de découvrir comment Bertrand va devenir une véritable vedette :)
RépondreSupprimerMerci Béatrice. Il est vrai qu'en grandissant il ne va pas beaucoup ressembler à ses pairs... c'est ce qui fait son charme.
RépondreSupprimerQuel beau titre pour ce #RDVAncestral !
RépondreSupprimerMerci Marie !
SupprimerBrillamment introduite le début de la vie de ce prince, hâte aussi de découvrir la suite, mais patiente également.
RépondreSupprimerMerci Fanny. J'ai quelques vérifications à faire mais je travaille déjà sur la suite.
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