nfance, celle d’un garçonnet, orphelin de père avant même la naissance,
qui grandit entre sa mère, le frère de celle-ci et leurs parents. Bien nourri,
bien logé, bien éduqué, bien aimé… tout devrait sourire à ce petit bonhomme
plein de vie, René Livet né en 1922 dans ce village du 14e
arrondissement de Paris… et s’il n’y avait que ces quatre adultes pour choyer
cet enfant déjà gâté…
Mais la vie, parfois si cruelle,
décrète que le petit René et sa famille doivent connaître le malheur et envoie
la maladie sur la maisonnée. Emilie Chalvet, la grand-mère du petit garçon
avait déjà été hospitalisée en juillet 1922 mais la première opération s’avère
vite insuffisante et il faut qu’elle retourne à l’hôpital Cochin en juin 1924 ;
cette seconde opération transforme complètement le corps de la pauvre femme
sans apporter un réel soulagement à ses douleurs qui sont devenues quotidiennes
mais bientôt, elle qui déjà ne se plaignait guère, n’osera même plus parler de
son mal car c’est maintenant sa fille, Germaine, la mère de René, qui ne va pas
bien…
Elle souffre de maux de tête terribles qui l’assaillent de plus en plus
souvent… et soudainement, elle s’effondre, sans connaissance, en pleine rue… On
se précipite, on lui défait son corsage pour qu’elle puisse respirer… on lui
tapote les joues pour la faire revenir à elle, on lui fait boire un peu
d’eau-de-vie pour la remonter puis on
la relève et on la porte jusqu’à chez elle… depuis cet évanouissement
inexpliqué, les céphalées sont devenues continues et le 25 novembre 1926, en
plein diner familial, elle va s’affaler, sans connaissance, dans son assiette…
Son frère Emile et leur père Noé vont la transporter jusqu’à l’hôpital
Broussais où elle est immédiatement admise mais il faut bien se rendre à
l’évidence, personne ne peut rien pour la jeune femme… une tumeur maligne a été
diagnostiquée… Noé décide de ramener sa fille à la maison pour qu’elle meurt
entourée des siens dans un lieu familier et apaisant… elle sort de Broussais le
08 décembre 1926 et décède dans l’immeuble des Livet le 04 janvier 1927, son fils, mon père, a 4 ans….
Pauvre petit orphelin, tes
grands-parents et ton oncle Emile vont tant te parler de ta mère que tu vas te
créer de véritables souvenirs d’elle au point tel que, je crois, tu vas
superposer l’image de cette mère que tu n’auras en fait pas connue et celle de
Maman Emilie, ta grand-mère, qui va t’élever comme son fils.
Il y a deux autres femmes de ton entourage que tes souvenirs vont mêler
pour n’en faire qu’une, ton arrière-grand-mère, Thérèse Lucie Livet et sa fille
Joséphine Berroy ; oui tu as connu Thérèse et c’est bien elle qui te
gavait de « Roudoudous », cette pâte de coing sucrée placée dans une
minuscule boîte comme celle du camembert et qui était sensée prévenir des maladies
de l’enfance et oui, tu es souvent allé lui rendre visite le dimanche mais pas
tout seul car Thérèse est décédée le 17 septembre 1928, chez elle, 10 rue
Saint-Julien-le-Pauvre dans le 5e arrondissement et tu ne pouvais
pas prendre le métro seul, trop petit que tu étais, pour
aller lui rendre
visite car ce n’est qu’à l’âge de 7 ans révolus que tu as eu l’autorisation
d’effectuer de tels
|
St-Vincent de Paul -Paris 10 |
déplacements, sous la houlette du contrôleur, pour un
trajet sans changement, accompagné jusqu’au quai par un adulte et récupéré sur
le quai d’arrivée par Joséphine, la fille de Thérèse qui a continué à habiter
dans l’appartement du 10 rue Saint-Julien-le-Pauvre. Quant au tramway, ce ne
sera que bien plus tard que tu l’utiliseras car la circulation en surface était
déjà bien dense et dangereuse, surtout pour
Noé et son fiacre.
Pauvre petit garçon, la mort fait
partie de ta vie… Papa Noé, est admis à Broussais où il décède
le 26 février 1929, de sa treizième congestion cérébrale me direz-vous plus
tard… et moi, je regrette de n’avoir jamais demandé où étaient les chevaux de
Noé car il était toujours cocher livreur.
Dans
le même temps, Emilie doit faire face à « une éventration de sa cicatrice
sous-ombilicale » et les médecins ne peuvent pas l’opérer une troisième
fois, ils lui prescrivent le port d’une ceinture abdominale et rédigent un
certificat qui précise qu’elle ne peut pas travailler suffisamment pour subvenir
à ses besoins… Papa Noé n’est plus là pour faire bouillir la marmite, Maman
Emilie, qui n’a que 48 ans, ne peut pas travailler… c’est un peu la dèche
pourtant Emilie, toujours pleine de ressources, va s’adapter et, comme
toujours, te protéger de tous les problèmes ; tu es devenu enfant assisté
de la Seine et à ce titre, Emilie perçoit 35 francs de secours par mois pour ton
entretien, en fait, elle va continuer à travailler,
à domicile, et à s’occuper
de la loge de l’immeuble ; ton oncle Emile est non seulement parfaitement
autonome au niveau financier mais en plus il gagne confortablement sa vie.
Emilie va vendre les chevaux, le terrain et les bâtiments où ils logeaient et
transformer le capital récupéré en rente et la solidarité va encore se
renforcer autour de vous c’est ainsi que, par exemple, tu vas continuer à
partir en vacances durant les congés scolaires car tu vas maintenant à
l’école, celle du 46 de la rue Boulard ; c’est fou les souvenirs que tu
vas conserver de ta vie d’écolier : tes institutrices, celle-ci était très
gentille, et tes instituteurs, celui-ci était très sévère et celui qui te
compare à ton oncle Emile qui a été son élève il y a quelques années, tes
copains et toutes les bêtises que vous faisiez ensemble souvent poursuivis par
toutes les concierges du quartier qui n’hésitaient pas à aller trouver vos
parents pour vous faire sermonner voir talocher ; tu te souviens également des marronniers de la cours de récréation, de tes livres, de tes cahiers etc.
Pour
les vacances, ce sera chez les Hodiesne, les anciens épiciers-grainetiers du 39 rue
Daguerre qui ont du quitter
la capitale pour un air plus sain à cause de la
santé de Marcelle et pour eux, ce sera désormais la campagne, Goussainville en
Eure-et-Loir.
Vous souvenez-vous mon Père ? Des
dizaines d’années plus tard, alors que nous serons ensemble en vacances dans
mon ancienne ferme dans les Yvelines, vous m’entrainerez en pèlerinage à Goussainville
et nous rencontrerons des gens qui nous parlerons de Thérèse Le Champion,
l’employée de l’épicerie buvette « Chez Fernand » que tenaient les
Hodiesne… nous avons raté de peu Thérèse Le Champion et son mari Louis
Letellier qui vous avait appris à monter à cheval ; ils sont tous les deux
décédés en 1997 alors que nous avons du faire notre visite en 1998 ou 1999…
Goussainville avait déjà bien changé et vous avez eu du mal à reconnaître le
village de votre enfance.
Thérèse est la jeune femme à ta
droite sur la photo, Marcelle Hodiesne est la dame qui porte le petit chien et
Gaston, son mari, est l’homme aux bretelles adossé au mur mais les autres
hommes, peut-être des clients de la buvette, ne sont pas restés dans ta
mémoire.
Tous les adultes dont tu croisais
la route t’ont aimé ; c’était à qui pouvait te faire le plus grand plaisir
mais c’était très difficile car la moindre gentillesse à ton égard te
remplissait de reconnaissance…
Ce
sera pareil tout au long de ta vie et cela te permettra de traverser des
épreuves terribles sans recevoir une seule égratignure.
Merci mon Père de m’avoir
transmis cette grâce qui me fait toujours apprécier bonheur et bonté là où d’autres ne voient que laideur
et cruauté.
Mais
ce n’est pas tout, jeune René, il faut que tu gagnes ta croûte et les voisins
vont t’aider comme ils le peuvent ; il y a Marjori, le chauffeur de taxi,
qui apporte au logis les pavés de bois qui sont retirés des rues pour être
remplacés par des pavés de grès ; tu es chargé de les couper à la hache et
tu pourras en garder la moitié… Il y a l’épicier grainetier que tu accompagnes
à Ivry pour l’aider à pousser et à tirer sa charrette lorsqu’il va acheter riz
et pâtes alimentaires ; en échange de ta sueur, il t’offre le repas de
midi du jeudi, jour sans école d’alors, et te donne quelques pièces.
Tu vas au marché de la mairie
pour faire quelques emplettes listées par Maman Emilie ; tu en profites
pour demander aux commerçants de te donner quelques cagettes pour eux devenues
inutiles… elles te serviront pour allumer le feu d’Emilie et tu distribueras le
reste aux locataires de l’immeuble des Livet qui n’oublieront pas de te
remercier d’une pièce de 20 ou 50 centimes. Mais les courses du samedi ne sont
pas ta seule corvée, l’école est oubliée ce jour là car tu dois faire le ménage
de l’immeuble à la place de cette pauvre Maman Emilie qui n’en peut plus… la
maladie -ou les traitements médicaux- la ronge à petit feu… elle a le souffle
court, du mal a se mouvoir et enfle comme une baudruche… comme elle est loin
l’élégante et vive Emilie.
Comme maintenant tu as l’âge
légal de travailler le boulanger du 40 rue Daguerre à Paris 14, va te charger
d’aller chercher une fois par semaine, pour alimenter son four, des copeaux de
bois mais je ne me souviens plus où tu va t’approvisionner, en poussant et en
tirant la voiture à bras que tu dois louer –une misère parce que les dames
t’aiment bien- à la « Maison du lavoir » dans la même rue.
Tu es un peu las de l’école et tu
aimes bien travailler pour gagner de l’argent, ce qui soulage grandement Maman
Emilie dont la santé continue, inexorablement, à se détériorer, alors tu
quittes définitivement l’école et tu entres, le 26 février 1937, comme apprenti
typo(1) à l’imprimerie Desfossés, en fait tu es embauché en tant que simple « receveur »(2) …
tout un monde s’ouvre devant toi et te voilà parti pour une longue, très longue,
carrière…
Mais en attendant tu es en train
de te transformer physiquement et bientôt les demoiselles que tu vas croiser
vont venir papillonner autour de ta séduisante personne…
Allons-nous bientôt assister à
tes fiançailles ?
J'ai écrit la vie de mon père durant l'affreuse époque qui lui a volé sa jeunesse puisqu'il a été "requis" du S.T.O :
Un p'tit gars du S.T.O
Dans Paris occupé, la vie de René, né en 1922, est compliquée. Sa
grand-mère, qui l’a élevé, vient de décéder. Il doit quitter
précipitamment son emploi pour échapper à une première réquisition
et se pense à l’abri après avoir été embauché à la S.N.C.F. Mais les
ennuis vont commencer et s’éloigner de la gare de triage où il
officiait va devenir une nécessité.
L’étau va se resserrer, il sera expédié en Allemagne au titre du Service du Travail Obligatoire.
À la gare d’Ulm, sur le Danube, en Allemagne, où il doit travailler,
les règles ne sont pas respectées, les requis sont maltraités. Infrastructure
de
la plus haute importance, la gare va être bombardée et ruinée par
les alliés et René va être blessé. Le 24 avril 1945, à 11 heures, il se
trouve face à des soldats américains, il se croit libéré,
mais rien n’est encore joué et le rapatriement ne va pas être aisé.
Enfin rentré, rien n’est terminé et malgré le temps, les souvenirs ne seront jamais effacés.
Livre 16 x 24 cm - Dos carré collé - 80 pages - Nombreuses illustrations inédites en couleurs - Auteur
: Catherine Livet pour la collection "Destins d'Ancêtres" de Becklivet - Imprimerie Messages Sas - ISBN 978-2-493106-03-2 - Dépôt légal août 2022 - Sortie le 12 septembre 2022 - 18 € TTC
Vous
pouvez vous procurer ce livre chez votre libraire habituel ou en me le
commandant directement. Si vous souhaitez une dédicace, n'hésitez pas à
la demander lors de votre commande. C'est toujours un réel plaisir pour
moi de dédicacer ce livre qui m'est très cher.
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(1) Typo pour typographe - chargé de la composition (organisation des caractères indépendants et mobiles pour former la matrice d'un texte rédigé, corrigé, illustré et mis en page pour l'impression)
(2) Receveur : Alimente les bacs à papier et vérifie le calage sur les marges et assume quelques entretiens particuliers
Challenge AZ 2019 - Généalogie - Biographie René Livet
Quelle chance de connaître et de pouvoir consigner autant de souvenirs par écrit ! C'est précieux.
RépondreSupprimerJe pense aussi c'est une grande chance de connaître tous ses souvenirs mais j'ai toujours le vague regret de n'avoir pas commencé cette rédaction du vivant de mon père... mais lui aussi pensait que nous avions toute la vie devant nous. Merci Christelle
SupprimerJ'ai hâte de vous lire à chaque lettre. J'aurais aimé en savoir autant sur mon père mais lui ne voulait rien dire ou presque sur son passé.
RépondreSupprimerMerci Renaud. Il vous restera toujours vos propres souvenirs avec votre père qu'il vous appartiendra de transmettre le moment venu.
SupprimerCe joli texte moins triste que les précédents nous fait voyager dans un monde complètement différent du notre.
RépondreSupprimerOui, on ne se rend pas forcément compte des profonds changements dans les façons de vivre d'une époque à l'autre
SupprimerUn parcours riche et joliment raconté. Je vous envie (un peu :) d'avoir tous ces détails à disposition. Comme Renaud, mon père ne parlait que très peu du passé ; c'est une véritable richesse toutes ces anecdotes qui sont arrivées jusqu'à vous.
RépondreSupprimerJ'ai de plus en plus conscience de la chance que j'ai d'avoir un père qui aimait raconter et transmettre. Je pense qu'il faut aussi parler de nos vies à nos enfants et à nos proches en général et commencer à écrire sur soi... je ne l'ai pas encore fait mais l'idée est de plus en plus présente dans mon esprit. Merci Béatrice.
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