Challenge AZ 2019 - Lettre N

Vers M

N

aissances nombreuses que vous n’attendiez plus…

Votre mariage, comme il se doit, a été couronné par la naissance de ma sœur. 

L’aînée des enfants de René Livet – 9 mois

Je me souviens que Maman était toujours contente de dire que juste 20 ans la séparaient de sa fille qui a été la dernière à être photographiée dans son plus simple appareil mais elle aborde fièrement la houppette : «Coiffée à la Riquet à la Houppe », un personnage du conte que vous aimiez raconter, comme vous disiez à chaque fois que vous regardiez cette photo… 

Elle porte le traditionnel collier d’ambre qui n’était pas destiné à soulager les douleurs dentaires des bébés comme aujourd’hui mais qui devait les protéger des maladies en renforçant leur système immunitaire et  vivifier leur sang.

Quand j’y pense, je suis venue bouleverser la vie de ma sœur, fille unique depuis plus d’une dizaine d’années… Lorsque je me suis annoncée, vous étiez fou de joie et, si j’ai bien compris, il vous était complètement égal à l’époque que je naisse fille ou garçon…

Le moment venu, on vous fiche à la porte et vous vous rongez les sangs dans la salle d’attente car vous sentez bien que quelque chose ne se passe pas comme il faudrait, alors, vous vous rapprochez et l’agitation devient palpable même du couloir dans lequel on vous a fermement relégué lorsque vous avez fait mine de vouloir entrer dans la salle de travail…

Il faut bien reconnaître que j’ai failli rater mon entrée dans la vie… je suis née avec une circulaire doublée d’un nœud au cordon… mais la sage-femme a vu le problème à temps et a su accomplir les bons gestes… j’ai réussi à respirer assez tôt pour oxygéner mon sang et l’infirmière a réussi à vous persuader que tout allait bien pour moi en revanche la cyanose qui a accompagnée ma venue au monde ne pouvait pas vous être cachée…

J’aurai du me prénommer Claude et bien que vous trouviez ce prénom trop dur, vous n’avez pas dit non mais vous êtes intervenu énergiquement lorsque vous avez constaté que Maman était prête à céder à ma sœur qui voulait que l’on m’appelle… Katie, comme la « petite souris », un personnage de bande dessinée… prénom qui vous a semblé être tout à fait ridicule… 

Mon berceau est installé dans l’appartement de l’immeuble du 39 rue Daguerre dans le 14^e arrondissement de Paris, exactement là où vous avez vécu lorsque vous étiez bébé… Je reçois le baptême en décembre  à l’église Saint-Pierre de Montrouge… comme vous…

J’ai conservé ma gourmette, ma chaîne et ma médaille en or ainsi que mon gobelet et ma cuiller en argent qui m’avaient été offerts lors de cette cérémonie et j’ai même le bonnet qui me coiffait alors mais plus le petit carton à chapeau dans lequel il était rangé jusqu’à peu encore car il a fini par se disloquer.

Quelques deux ans et huit mois après moi va naître ma sœur cadette… cette fois, vous serez un peu déçu de ne pas avoir de fils mais, bien entendu, vous ne le direz pas… de toutes les façons vous êtes très heureux d’être enfin le père d’une famille nombreuse et puis, vingt-et-un mois après la naissance de ce bébé, le fils que vous n’attendiez plus va pousser son premier cri… Vous ne manquerez pas de dire votre bonheur… un peu trop sans doute car dans quelques années, je vais vous reprocher de préférer votre fils à vos filles… vous en serez très contrit…

Très longtemps après, toute la famille a accueilli avec joie le premier de vos petits-enfants… une fille…

Il faudra encore attendre une dizaine d’années pour que je vous donne le plaisir de pouponner avec des petits-fils car, comme vous l’avez fait avec moi, vous n’hésiterez pas à prendre dans vos bras ces deux petits-êtres, vous occuper d’eux, jouer, pousser un landau…

Je me souviens comme si c’était hier de la joie qui vous a submergé lorsque je vous ai annoncé que

René et Catherine Livet avec les deux fils de Catherine, le bébé ayant un jour - 1990

j’attendais le premier de mes fils que vous avez surnommé Désiré tant vous espériez en silence que je devienne mère…

Comme je voulais que ce petit être ne se sente jamais seul dans la vie, je lui ai très vite offert un petit frère.

Comme vous qui désiriez un fils à votre image, j’ai longtemps espéré avoir une fille qui me ressemblerait mais, contrairement à  vous, je n’aurai jamais ce bonheur.

Ma jeune sœur va se faire prier pour vous donner des petits-enfants et c’est d’abord mon frère qui va vous offrir un troisième petit-fils puis enfin, notre jeune sœur va se décider et vont naître un fils, encore, et une fille qui viendra fermer la série de vos petits-enfants qui seront donc définitivement au nombre de six, deux filles et quatre garçons. Vous étiez bien malade lors de la naissance de cette dernière petite-fille et avez été bien heureux  car vous pensiez vraiment que vous ne pourriez pas connaître cette enfant.

Denise Beckrich-Livet et ses 2 arrière-petites-filles -2009

Non mon Père, je ne suis pas grand-mère... Chaque chose en son temps… tout viendra au moment voulu… 

En revanche votre fille aînée  est mamie et plutôt trois fois qu’une et Maman les a tous connus… elle qui aimait tant les bébés a été comblée de ce côté là.

J’espère tant qu’aucun d’entre eux -qu'il soit né ou à naître- ne soit, comme vous dans votre jeunesse, opprimé.

Vers O

J'ai écrit la vie de mon père durant l'affreuse époque qui lui a volé sa jeunesse puisqu'il a été "requis" du S.T.O :

Un p'tit gars du S.T.O 

Dans Paris occupé, la vie de René, né en 1922, est compliquée. Sa grand-mère, qui l’a élevé, vient de décéder. Il doit quitter précipitamment son emploi pour échapper à une première réquisition et se pense à l’abri après avoir été embauché à la S.N.C.F. Mais les ennuis vont commencer et s’éloigner de la gare de triage où il officiait va devenir une nécessité.
L’étau va se resserrer, il sera expédié en Allemagne au titre du Service du Travail Obligatoire.
À la gare d’Ulm, sur le Danube, en Allemagne, où il doit travailler, les règles ne sont pas respectées, les requis sont maltraités.  Infrastructure de la plus haute importance, la gare va être bombardée et ruinée par les alliés et René va être blessé. Le 24 avril 1945, à 11 heures, il se trouve face à des soldats américains, il se croit libéré, mais rien n’est encore joué et le rapatriement ne va pas être aisé.
Enfin rentré, rien n’est terminé et malgré le temps, les souvenirs ne seront jamais effacés.

Livre 16 x 24 cm - Dos carré collé - 80 pages - Nombreuses illustrations inédites en couleurs - Auteur : Catherine Livet pour la collection "Destins d'Ancêtres" de Becklivet - Imprimerie Messages Sas - ISBN 978-2-493106-03-2 - Dépôt légal août 2022 - Sortie le 12 septembre 2022 - 18 € TTC

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