Il y a très longtemps, au 14 rue
Ernest Renan à Issy-les-Moulineaux se trouvait une imprimerie déjà fameuse qui
avait pour nom « le Petit Moniteur », il existe plusieurs
représentations sous forme de cartes postales représentant la sortie du
personnel de l’usine datant du début du vingtième siècle. C’est cette
imprimerie, du moins les locaux seront les mêmes, qui deviendra Desfossés où le
jeune René Livet viendra faire son apprentissage et où il reviendra, adulte,
pour faire carrière.
Tout débute donc le 26 février
1937 lorsque tu entres comme apprenti « typo » dans la prestigieuse
imprimerie, l’aristocratie des ouvriers y œuvre avec coeur, que tu vas tant
chérir mais… plus tard… Pour l’instant, tu apprends à « recevoir »
les feuilles dans un bac sur une machine appelée l’
« Américaine », tu es également chargé de « caler » ces
mêmes feuilles et de rendre, avec l’aide d’eau tiède, « amoureux »
les câbles et les rouleaux… tout un vocabulaire détourné qui me laissera
souvent pantoise. Mais qui fréquente la Rolls de l’industrie a
pour compagne obligée la C.G.T. et te voici donc « encarté ».
Tu vas quitter une première fois
l’entreprise le 03 juin 1940, contraint et forcé par les événements qui t’ont rattrapé et tu vas devoir faire face à bien des péripéties avant de revenir dans le giron de Desfossés.
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Réaumur |
Je n’ai pas bien compris, mon Père, le lien qui
semble exister entre les deux imprimeries dans lesquelles vous allez alterner
les contrats, à partir du 19 juillet 1950, Réaumur et Desfossés, jusqu’au
19 mars 1953 où vous serez définitivement, ou presque, employé de la plus belle
imprimerie de France, celle qui dispose du matériel le plus moderne, Desfossés.
En 1965, il y a une fusion avec
Chaix, en 1969 le groupe Chaix-Desfossés-Néogravure englobe l’imprimerie
rennaise Oberthur…
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Licence CC-BY-NC-ND – Musée de Bretagne
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En 1973, les « Crété »
entrent dans le paysage… ce sera le début de la fin…
La crise est terrible… l’industrie française
se porte mal, très mal… L’imprimerie ne fait pas exception… les conflits vont
s’enchainer, grèves et occupations d’usines vont devenir le quotidien des
ouvriers…
Chaix, plus ou moins séparée de Desfossés à cette époque je crois, se
met en grève sévère le 06 décembre 1975 et occupe l’usine de Saint-Ouen en
refusant 410 licenciements sur un effectif de 640 employés… ce ne sera qu’en
juillet 1981 que le conflit prendra fin avec l’intervention d’un repreneur de
l’imprimerie… seuls 47 postes seront conservés !
Certains des employés du groupe
se sont vu proposer un reclassement dans l’imprimerie de Rennes… l’entreprise
déposera le bilan en 1980 !
Entre temps les merveilleux cadeaux du Comité d’Entreprise sont devenus
moins prestigieux, plus rares ; terminé le grand spectacle de Noël… je ne
me souviens même plus de ce que nous avons vu au dernier, dans un petit théâtre
inconfortable… alors que je me remémore avec délices les goûters, les jouets et
les sorties antérieures, les clowns, les trapézistes etc… Au début du conflit,
le temps enchanté de mon enfance commence à devenir flou… à la fin, désastreuse, de longues
années plus tard, j’arrive aux frontières de l’âge adulte et je commence à
comprendre la situation…
Les clients sont partis négocier
avec les imprimeries espagnoles… ils ne reviendront jamais… Les grèves
continuent…
Vous faites partie des quelques
employés à qui l’on propose un poste chez les « Crété », du nom des
propriétaires de l’imprimerie, à Corbeil dans l’Essone… on vous propose même
d’aller habiter dans cette ville de banlieue dans un appartement tout neuf,
clair, bien équipé… Vous êtes sidéré par ce que vous voyez…partout ce ne sont
que des ensembles de tours ou les habitants s’entassent les uns sur les autres…
et de toute façon, même si la proposition avait été honnète vous l’auriez
refusée car tous vos enfants ont leur vie ailleurs et votre épouse a un travail
qu’elle n’a pas du tout l’intention de quitter.
Alors, vous ferez chaque jour le déplacement
jusqu’à Corbeil mais la cohabitation avec les « Crété », qui
deviendront plus tard Hélio Corbeil n’est pas facile ; il n’y a pas la
solidarité que vous avez toujours connue dans l’entreprise, bien au contraire…
il faut dire que tout le monde a peur pour sa place et les « Crété »
ne voient pas d’un bon œil les Parigots, qu’ils jugent arrogants, prendre les
postes de cadres et leur donner des ordres alors qu’ils ont également été
touchés par les licenciements puisque de 1908 salariés en 1969, ils ne sont
plus que 919 en 1979 en comptant sans doute les arrivées parisiennes…
l’ambiance est complètement pourrie…
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Desfossés
–Issy-les-Moulineaux – Avril 1976
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L’usine Desfossés d’Issy-les-Moulineaux est
entièrement démantelée et le spectacle, auquel vous assisterez, va profondément
vous bouleverser… comme si vous veniez de perdre un ami… Tout un pan de
l’histoire de l’industrie française vient de s’écrouler pour toujour… à la place de Desfossés,
des immeubles abritant 700 logements et 1 700 m2 de surfaces commerciales, très caractéristiques de l’architecture et
de la piètre qualité des années 1980,
vont voir le jour…
La situation économique ne
s’arrange pour personne et les licenciements continuent… Crété-Néogravure va
céder le département reliure aux fameuses NMPP (Nouvelles Messageries des
Presses Parisiennes)… Les tentatives de reclassement sont multiples mais vous
êtes très fatigué de cette ambiance délétère et vous allez accepter de partir
à la retraite… ou plus exactement en pré-retraite… qui est un dispositif mis en
place, justement, pour les personnes dans votre situation…
Si notre salon ne retentit plus
des revendications de vos « camarades » qui venaient refaire votre
monde à la maison, il va longtemps recevoir les regrets de vos copains, qui
viennent pleurer avec vous la perte de l’industrie du livre.
Vous vous occupez comme jamais de
vos collections philatéliques et numismatiques et vous commencez à classer vos
photos et souvenirs et à me raconter votre vie en passant très vite sur votre
jeunesse gâchée par le S.T.O
J'ai écrit la vie de mon père durant l'affreuse époque qui lui a volé sa jeunesse puisqu'il a été "requis" du S.T.O :
Un p'tit gars du S.T.O
Dans Paris occupé, la vie de René, né en 1922, est compliquée. Sa
grand-mère, qui l’a élevé, vient de décéder. Il doit quitter
précipitamment son emploi pour échapper à une première réquisition
et se pense à l’abri après avoir été embauché à la S.N.C.F. Mais les
ennuis vont commencer et s’éloigner de la gare de triage où il
officiait va devenir une nécessité.
L’étau va se resserrer, il sera expédié en Allemagne au titre du Service du Travail Obligatoire.
À la gare d’Ulm, sur le Danube, en Allemagne, où il doit travailler,
les règles ne sont pas respectées, les requis sont maltraités. Infrastructure
de
la plus haute importance, la gare va être bombardée et ruinée par
les alliés et René va être blessé. Le 24 avril 1945, à 11 heures, il se
trouve face à des soldats américains, il se croit libéré,
mais rien n’est encore joué et le rapatriement ne va pas être aisé.
Enfin rentré, rien n’est terminé et malgré le temps, les souvenirs ne seront jamais effacés.
Livre 16 x 24 cm - Dos carré collé - 80 pages - Nombreuses illustrations inédites en couleurs - Auteur
: Catherine Livet pour la collection "Destins d'Ancêtres" de Becklivet - Imprimerie Messages Sas - ISBN 978-2-493106-03-2 - Dépôt légal août 2022 - Sortie le 12 septembre 2022 - 18 € TTC
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Encore un beau texte plein de détails !
RépondreSupprimerMerci beaucoup Anonyme pour toutes vos lectures et vos encouragements
SupprimerUn article encore une fois très émouvant. Cet article me parle particulièrement, cette situation terrible vécue aussi dans ces années 70 et 80 par les mineurs et les ardoisiers dans nos familles. Les plus jeunes ont été mutés aux ardoisières près d'Angers, d'autres dans une autre commune plus proche de chez eux. Désormais mines et ardoisières sont devenus des musées!
RépondreSupprimerOui, on ne parle plus de cette époque très difficile pour beaucoup. Des familles entières ont été très éprouvées par cette terrible crise économique qui a touché l'industrie française dans son ensemble. Merci Mam'elix
SupprimerTriste fin de vie professionnelle. La dernière photo qui illustre cet épisode est particulièrement poignante. Un mal pour un bien, votre papa a eu du temps pour travailler sur ses souvenirs et les documents qui ont jalonné son histoire.
RépondreSupprimerNous ne nous souvenons plus mais la période a été très cruelle pour l'économie et l'emploi. Vous avez raison Béatrice, il faut toujours voir le bon côté des choses et effectivement mon père s'est jeté à corps perdu dans ses souvenirs avec l'espoir, qui lui semblait insensé, que quelqu'un reprenne le flambeau après lui
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