Je suis en train de regarder des photos d'un temps révolu... je tire de la boîte à souvenirs qui est venue jusqu'à moi des clichés qui représentent des personnes qui ont compté pour leurs contemporains et qui me resteront probablement pour toujours inconnues... et puis voici qu'une petite épreuve attire mon regard... je l'extirpe délicatement en souriant, je me laisse aller au fond de mon confortable fauteuil... Je sais que, contrairement à d'autres, il y a une annotation au dos de cette photo et même, je sais mot pour mot ce qui est écrit...
Mon esprit s'enfuit de mon corps las, il a soif de rencontres et d'échanges ; joyeux, il vagabonde à la recherche d'un autre esprit et... il trouve son bonheur...
Bonjour Georgette. C'est comme si nous nous connaissions parfaitement pourtant, tu as quitté la terre avant que je n'y arrive... Tu es partie prématurément le 10 septembre 1959 d'une maladie pour laquelle tu avais été admise à l'hôpital Laennec mais qui te faisait souffrir depuis bien longtemps. Mon père en a toujours été convaincu, nous nous serions très bien entendues si nous avions pu nous rencontrer mais je ne sais pas sur quoi il se basait pour dire cela ; certainement parce que vous étiez très proches tous les deux ; lorsqu'il parlait de toi, il disait "ma cousine" pourtant, ce n'était pas réellement votre degré de parenté mais, orphelin de père et de mère, il a été élevé par sa grand-mère Emilie, la jeune sœur de ta mère, Louise Chalvet. Donc, en fait, tu étais la cousine de sa mère qui avait le même âge que toi puisque vous êtes toutes les deux nées en cette fabuleuse année 1900, Germaine le 17 janvier et toi le 05 mars... vous avez partagé vos jeux et vos fous rires et vous avez rêvé ensemble en feuilletant "la semaine de Suzette".
Le temps passe et tu vas malheureusement voir les hommes de ta famille partir pour la Grande Guerre. Ce sera d'abord ton oncle Henri Montenach, l'époux de Marie Chalvet, l'autre sœur de ta mère qui partira puis ton oncle Jules, le frère jumeau de ton père mais il va être
renvoyé dans ses foyers parce qu'il est malade et puis ton parrain, Noé Livet. Un peu plus tard, ce seront ton cousin Lucien Montenach et ton frère qui iront gonfler les rangs des appelés ; ton frère passera rapidement sergent mais sera très grièvement blessé au bras et restera handicapé toute sa vie ; il va cependant trouver le temps de se marier, en 1917, mais n'aura pas d'enfant.Regarde Georgette ce qui est arrivé jusqu'à moi. Reconnais-tu cette lettre ? Je serai étonnée du contraire... comment oublier une telle missive... même plus de cent ans après ?
Il paraît que c'est ta sœur Jeannette qui l'a faite toute seule alors qu'elle n'avait que 9 ans ; c'est toi qui l'écrit à " Papa Noé" dans le corps de la lettre. Je veux bien croire qu'elle ait glissé les rubans sans trop d'aide mais vraiment si c'est elle qui a fait les encoches... c'est qu'elle était particulièrement minutieuse...
La période est spécialement sombre pour ta famille. Ton père, Alexandre Georges Sirejean, décède de maladie le 10 décembre 1919, il n'avait jamais été d'une bien grande santé - même l'armée n'avait jamais voulu de lui - et avait enterré son frère jumeau, mort de tuberculose, en décembre 1918 et leur jeune frère était parti pour d'autres cieux d'une insuffisance cardiaque en 1913.
En 1920, la mort est venue faire une démonstration de sa puissance et vous a brutalement enlevé Lucien Montenach, le fils né du premier mariage de ton oncle Henri mais qui a été élevé par ta tante Marie, broyé par la carlingue de l'avion au bord duquel il se trouvait en qualité de mécanicien, il avait 22 ans... Et puis, entre cette terrible année 1920 et 1921, un jeune homme d'1,59 m, né en 1895, châtain aux yeux bleus, du nom de Jean Jacques Riffard, ayant perdu père et mère, vient s'installer dans un petit appartement au 57 de la rue Lecourbe, dans l'immeuble que tu habites avec tes deux jeunes sœurs et votre mère. Lui aussi a fait la guerre mais il n'est rentré qu'en 1920 ; il faut dire qu'il était loin... il avait été expédié au Maroc... au 2e bataillon d'infanterie légère d'Afrique (Bila)... c'est un mauvais garçon que tu épouses ce 15 avril 1922 avec la bénédiction de ta mère et de ton frère et sans doute de tes sœurs et de tous les autres membres de la famille... c'est étrange... je me demande vraiment si vous connaissiez bien le passé du coquin qui avait été condamné à de la prison pour vol avant d'être expédié au Bila pour y apprendre les bonnes manières... Et puis, il y a un détail surprenant sur votre acte de mariage... le futur est dit sans profession... Je ne sais pas quel est le métier que tu exerces dans ta jeunesse mais plus tard, tu tiendras un restaurant puis un établissement recevant des noces et des banquets... jusqu'à ce que la maladie t'empêche de travailler...
Après les épousailles, je ne sais pas exactement à quelle date, vous allez quitter le 15e arrondissement pour regagner le 14e, notre village, et vous installer... 39 rue Daguerre... dans l'immeuble des Livet... tu seras voisine de ta chère cousine Germaine dont le mariage prévu également en 1922 a été annulé, le fiancé étant décédé brusquement quelques semaines avant, mais elle déborde de vie et bientôt, elle donnera le jour à ton "cousin", celui qui deviendra mon père, René Livet. Mais surtout, tu seras sous le regard bienveillant de ta tante Emilie et tu verras ta mère quotidiennement puisque tous les jours, elle vient travailler au domicile de sa sœur Emilie où les rejoint Adrienne Soutiran, l'amie de toujours, la presque sœur, celle qui est de tous les mariages, baptêmes et enterrements...
Ton merveilleux fiancé va très vite se révéler un bien piètre époux... et toutes les femmes de ton entourage vont soutenir ta décision de demander le divorce bien que cette pratique ne soit pas, loin de là, une habitude de la famille... Il ne travaille pas, disparaît pendant plusieurs jours et... est ramassé par la police, condamné à des amendes et coffré pour "recel"... C'en est trop ! Le tribunal prononce la non-conciliation le 13 janvier 1928 et le divorce le 20 mars suivant... Dans le jugement de divorce, il est prénommé Jean François... comme dans l'acte de mariage... erreur de la part du rédacteur en 1922... aucune note ne relève la modification du prénom de celui né Jean Jacques et devenu Jean François lors de son mariage puis de son divorce... Il ne va pas se débarrasser de sa malfaisance et connaîtra encore et toujours des ennuis avec la justice...
Mais Georgette, tout ceci est bien loin pourtant, si mon esprit a aujourd'hui eu le désir de rencontrer le
Oh là là Georgette ! On m'appelle sur terre... la maisonnée est en émoi... il neige... les toits, les arbres, la pelouse, le bassin sont recouverts d'un épais velours blanc... C'est la jolie surprise annuelle, le spectacle d'un paysage figé dans la pureté immaculée...
Mais c'est certain, je reviendrais te voir car j'ai une très belle histoire à te raconter à propos d'une photo qui m'a permis de faire la connaissance de ta tante Marguerite Sirejean et de sa mère Rosalie Modeste Marie Guillemard, ta grand-mère, que même mon père ne connaissait pas...
Catherine Livet
Ce texte est rédigé dans le cadre du premier #RDVancestral de l'année 2021. Vous êtes chaleureusement invité à participer à l'exercice qui se déroule chaque 3e samedi du mois. C'est une très bonne solution pour commencer à écrire son histoire familiale en produisant des textes courts, ne parlant que d'un nombre limité d'ancêtres en même temps ; ce qui permet de ne pas se perdre dans les différents personnages du récit.
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Pépère ... est donc ... un bouledogue :) j'aime beaucoup vos récits Catherine
RépondreSupprimerEt oui, Pépère est un molosse... Merci Véronique.
SupprimerUn très joli récit comme à chaque RDVAncestral, on n'est jamais déçu !
RépondreSupprimerC'est vraiment très gentil Christelle. Merci beaucoup pour la visite
RépondreSupprimerQue de souvenirs désormais fixés dans un texte
RépondreSupprimerJe suis admirative des rubans qui encadrent le texte de la lettre
Ah oui, moi aussi ! Merci Fanny pour la visite et le commentaire.
SupprimerDrôle d'époque ne vaut pas forcément dire drôle de mari, quoi que ...
RépondreSupprimerOui, la pauvre Georgette a tiré un drôle de numéro à la loterie du mariage
SupprimerSacré Pépère ! Joli récit passionnant à lire - comme toujours 😊
RépondreSupprimerMerci beaucoup Béatrice, c'est vraiment gentil.
Supprimercomme toujours , tres beau récit !
RépondreSupprimerMerci beaucoup Christiane
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