samedi 21 août 2021

#RDVAncestral Louise Klein

 Une femme sans histoire

Tout mon être est serein et mon esprit joyeux car il sait qu’aujourd’hui, il a toute latitude pour rencontrer qui il souhaite et il part, un peu vers l’inconnu, plein d’entrain et de curiosité, sans appréhension, impatient de faire la connaissance d’un esprit du passé…

Oh si je m’attendais à cela ! Voici une ancêtre dont je ne sais pratiquement rien d’autre que son nom, ce #RDVancestral va-t-il être fructueux ?

Louise, n’ayez pas peur, il faut que nous parlions. J’aimerais tant en savoir plus à votre sujet, mais vous n’avez laissé, comme bien des femmes de votre époque, que très peu de traces de votre passage terrestre et je ne vous connais que par les autres : votre mari et vos enfants. Mais aujourd’hui, vous êtes au centre de mes préoccupations, car il se trouve que vous devenez la base de la branche de ma généalogie que je me propose de développer à partir de maintenant.

Laissez-moi tenter de vous expliquer le pourquoi de notre rencontre. Je suis l’arrière-petite-fille de votre fille Ida Rachel Ernestine CHARLES et de son terrible époux Gustave Beckrich.

C’est lorsque j’ai lu l’acte de mariage de Rachel – puisque tel était le prénom qui était utilisé pour désigner votre fille – que j’ai appris votre nom : Louise Klein et celui de votre époux, Louis Paul CHARLES. J’ai découvert que vous habitiez à Saint-Denis dans le département de Seine-Saint-Denis et que vous ne saviez pas même signer. Je sais aussi qu’en cette année 1901, où vous avez assisté votre fille lors de son mariage, vous étiez employée à la maison Martin, passage Compoint. J’ai noté ces précieux renseignements sur une fiche ouverte à votre nom puis, je l’ai mise de côté pour me concentrer sur votre époux dont j’ai reconstitué l’ascendance.
Je suis sûre que vous ne m’en voulez pas de vous avoir ainsi négligée tant vous avez eu l’habitude, de votre vivant, de toujours passer après les autres.

Mais voici qu’en ce mois d'août 2020, m’est venue l’idée de partir en #RDVAncestral avec vous afin que, lors de notre rencontre, vous puissiez m’aider à remonter votre arbre généalogique.

J’ai une première constatation à exposer : vous n’avez pas eu de chance avec vos enfants. Sur neuf enfants que je vous connais – et, compte tenu des dates des naissances, je pense qu’il ne m’en manque aucun – seuls trois vont atteindre l’âge adulte dont, bien entendu, Rachel, mon arrière-grand-mère et, leur vie ne va pas ressembler à un long fleuve tranquille. Rachel décèdera prématurément de maladie en laissant mon grand-père orphelin à six ans et deux enfants plus jeunes ainsi qu’un en âge de travailler. Votre seconde fille Pauline née en 1884 s’est mariée mais, elle divorcera quelques années plus tard. Votre fils, Gaston René, né le 16 avril 1891 aura le triste honneur d’avoir la mention Mort pour la France en ayant perdu la vie le 16 avril 1917, le jour de ses 26 ans, dans le secteur du Choléra à Berry-au-Bac dans l’Aisne. Ce fils vivait avec vous lorsque la mobilisation générale vous l’a enlevé. 

Les trois premières enfants que vous avez mises au monde sont nées rue de l'étang à Courgivaux dans la Marne ou habitait déjà votre époux lorsque vous n'étiez que fiancés. La première née en janvier 1879, Léa Désirée, y est décédée en octobre de la même année. Léa Pauline Louise est née au début de l'année suivante et ma future arrière-grand-mère est arrivée en avril 1881 ; toujours à un rythme soutenu, vous avez donné naissance à un premier fils qui a eu le grand privilège de porter le prénom de son père, Paul, auquel vous avez adjoint celui de Gaston, mais cet enfant est né à Saint-Denis. C'est l'été, le 23 août 1882 que l'enfant est arrivé sur terre, mais la fin de l'année va se révéler implacable, car Léa Pauline Louise décède le 11 décembre 1882 et le dernier-né la suit dès le lendemain... que s'est-il passé cet hiver 1882 ? Sans doute vos enfants ont-ils été emportés par la typhoïde qui a fait des ravages dans la capitale durant le dernier semestre 1882. Voyez-vous Louise, moi qui vis en 2021, j'ai envie de vous dire que vos enfants ne sont pas morts pour rien car, la mairie de Saint-Denis s'est émue de tant de malheurs - de nombreux décès ont été enregistrés durant cette période sur le territoire communal - et a pris à bras le corps le problème de l'évacuation des boues parisiennes qui viennent contaminer l'eau de Seine à Saint-Denis.
Après la naissance le 28 juillet 1884 de Pauline Louise, qui atteindra l'âge adulte, vous avez mis au monde des jumeaux le 13 janvier 1886. Ah Louise ! Comment avez-vous pu résister à une pareille épreuve ? En tous les cas, les malheureux vous auront donné bien du mal pour rien car, Gaston est décédé le 13 juillet suivant et Georges le 19 septembre.
Cette double naissance ne semble pas avoir freiné votre fécondité et Camille Blanche est née le 10 septembre 1887 puis, après un peu de répit dans cette série d'enfantements, Gaston René, le futur héros de la Grande Guerre, est né le 16 avril 1891. Malheureusement, la jeune Camille Blanche décède le 08 février 1892 à l'âge d'environ 4 ans et demi.
Pauline Louise est, comme sa sœur Rachel, corsetière lorsqu'elle se marie, le 27 mai 1905 à Saint-Denis, avec Gaudens Bacqué. Il semblerait que vous n'ayez pas suivi les cours d'alphabétisation ouverts aux adultes par les services communaux car, vous ne savez toujours pas signer l'acte du mariage de votre fille. De toute façon, votre fille et votre gendre divorceront le 1er septembre 1914.

Et voilà, maintenant que nous avons fait le tour de vos enfants, je ne trouve plus aucune trace de vous jusqu'à ce que je m'intéresse à votre fils parce qu'il est Mort pour la France et que je vous retrouve installée, avec lui, à Ivry-sur-Seine dans le Val-de-Marne.
Je ne sais pas trop comment ou pourquoi, vous êtes allée vous installer dans cette ville mais, un élément est remarquable et il va falloir que je m’y intéresse : C’est, semble-t-il, au décès de votre époux, survenu le 28 février 1906 à votre domicile de Saint-Denis, que vous êtes partie dans le Val-de-Marne. A partir de cette époque, vous êtes devenue porcelainière et il se trouve que la porcelaine était très présente autour de vous et de votre époux avant votre mariage.

J’ai eu du mal, j’ai cru que j’allai devoir y passer la nuit ou même renoncer mais, j’ai finalement retrouvé l’acte de votre mariage. A cette époque, vous étiez simplement domestique et âgée de 29 ans pour être née le 13 août 1847 à Mittersheim - aujourd'hui en  Moselle, mais auparavant dans le département de la Meurthe qui a disparu en 1871 - ; en ce 02 décembre 1876, lorsque vous épousez Louis Paul CHARLES à Saint-Denis-Lès-Rebais en Seine-et-Marne, vous habitez avec votre mère, présente et consentante à votre union, au hameau de Villeneuve-sous-Bois et votre père est décédé, le 17 janvier 1869, à Esternay, dans la Marne, à trois ou quatre kilomètres du lieu où est né votre époux et entre les deux villages, se trouve le hameau de Retourneloup, le centre économique du coin où au moins trois industries porcelainières, plutôt importantes, emploient une très grosse partie de la population. Le kaolin provient des carrières de la région de Limoges et est transformé en vaisselle à Retourneloup.

Je ne peux pas croire que c’est le hasard qui fait que, veuve, vous deveniez porcelainière et que vous le restiez pratiquement jusqu’à la fin de votre vie qui sera très longue puisque vous ne décèderez qu’en juillet 1940.

J’en suis là de votre histoire, mais je sais que lors du décès de votre père, c’est son beau-frère, Louis GEORGES, frère de votre mère Catherine, qui a fait la déclaration et il se trouve qu’il était alors porcelainier à Retourneloup où vivait votre père, journalier, et où vous avez probablement passé quelques années.

Comme je vous l’avais dit Louise, au début de notre rencontre, vous êtes la base de la branche Klein de ma généalogie bien que ce patronyme apparaisse déjà du côté  de votre gendre Gustave Beckrich… je me prends à rêver que, peut-être, vos ancêtres ont été liés, de manière plus ou moins proche, à ceux de votre mémorable beau-fils.

Les éléments que je vais maintenant recueillir vont me permettre d’en savoir un peu plus sur votre existence terrestre… du moins je l’espère…

Oui, je sais vous êtes surprise et peut-être perturbée par ma démarche mais, la vie a changé et il me semble naturel de parler des femmes de mon ascendance, même s’il semble qu’il n’y ait que très peu à dire.

 A bientôt Louise, il faut que je note notre entretien avant que mon esprit ne perde le fil de ses pensées mais, croyez-moi, il ne vous oubliera pas de sitôt… 

Catherine Livet

Ce texte a été rédigé dans le cadre du #RDVAncestral du mois d'août 2021

LIBRAIRIE 

FNAC
(Pour la version numérique de mes livres)

Sources / bibliographie

  • Archives de la Marne
  • Archives de Seine-et-Marne
  • Archives du Val-de-Marne
  • Archives de l'Aisne
  • Archives municipales de Saint-Denis
  • Mémoire des Hommes
  • La prise en charge hospitalière des maladies infectieuses à la  fin du XIXe siècle - Pierre Madeline - Histoire des sciences médicales - Tomme XXIX - n° 3 - 1995

12 commentaires:

  1. Tant de naissances et tant de décès, quelle tristesse ...

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    1. Oui, la vie était bien difficile à cette époque. Merci Anonyme pour votre lecture et votre commentaire

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  2. Remarquable travail. Le lien puissant qui relie les mères aux filles participe à cet écrit. Je suis moi même passionné par les personnalités de mes ancêtres femmes. On fait grâce à vous une plongée dans ces temps proches où la vie des enfants était si précaire.

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    1. Merci inconnu. Et oui, l'époque n'est pas si lointaine et pourtant, bien des choses n'éaient pas comme nous les connaissons.

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  3. je suis bluffée par la densité d'un récit qui part de si peu ! quel bel exemple pour nous toutes qui peinons et suons pour aligner trois mots.

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    1. Merci Dominique. J'ai pris quelques risques en rédigeant au fur et à mesure de mes recherches. Mais c'est un des charmes du #RDVAncestral, tout - ou presque - est possible.
      L'art d'écrire (comme tous les arts) est un travail incessant alors, il n'est pas inhabituel de peiner et suer... seul le résultat compte.

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    1. Merci beaucoup Fanny. En fait, même les femmes simples ont une histoire.

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  5. Il est très important de parler de nos ancêtres femmes et ce n'est pas facile. Tant de siècles où elles ont été maintenues dans l'ombre !

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  6. C'est vrai qu'il n'est pas facile de parler de nos ancêtres femmes pourtant, elles le méritent effectivement

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  7. Quel beau travail, je suis admirative de votre écriture !

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    1. Merci beaucoup Christiane. J'aime bien vos histoires aussi.

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Merci pour cette lecture.
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