Il fait encore nuit noire lorsque la mère, dont le cœur bat la chamade, prend dans ses bras la petite fille lourde de sommeil. Elle lui enfile de mauvais bas de laine bleue, un aussi vilain petit jupon de dessous en coton rouge et bleu ainsi qu’une chemise qui ne comporte aucune marque, elle lui passe une robe rayée lilas et blanc sur laquelle elle noue un petit tablier à rayures rouges et un mouchoir de col en calicot blanc ; elle la chausse des seuls souliers, noirs, qu’elle possède et la coiffe d’un petit bonnet rouge et blanc garni de dentelle noire.
L’enfant n’a pas vraiment le temps de se rendormir, la mère ne l’a laissée qu’un instant sur la paillasse, juste le temps d’enfiler son large manteau et d’en nouer la capuche franchement rabattue sur le front... la fillette se sent de nouveau soulevée mais ressent un bien-être total au contact des bras de sa mère, elle se laisse aller et somnole, confiante...
La mère file à travers les rues sombres de Versailles... elle rase les murs pour être sûre de ne pas être aperçue... elle se cache dans les encoignures au moindre bruit... le lointain miaulement rauque que vient de pousser un chat en chasse la fait sursauter... pour un peu elle en aurait lâché son précieux ballot... Enfin elle s’arrête... tapie dans l’ombre... elle n’est plus qu’à quelques mètres de son but... elle sent la chaleur que dégage le petit corps de sa fille blottie contre son sein, elle sent son odeur, celle d’un bébé encore... Elle se sent défaillir, sa tête devient pesante et ses jambes molles... alors elle respire un grand coup et se précipite... La mère ouvre la porte extérieure du tour d’abandon et y dépose la petite enfant brutalement éveillée et totalement déconcertée... et fuit sans se retourner...
Une petite cloche vient de sonner... une porte s’ouvre et la fillette se retrouve devant Monsieur Raymond Raoul qui lui sourit et la prend dans ses bras vigoureux... Il a une certaine habitude et connaît la procédure... En premier lieu, il note l’heure : 3 heures et demie Son regard bienveillant scrute l’enfant... un papier dépasse de la poche du tablier... il s’en empare et lit “Louise Geneviève Caroline âgée de 2 ans 1/2 ; elle est baptisée”
L’employé de l’hospice royal appelle une sœur de la charité pour s’occuper de la fillette ; il interpelle son collègue Antoine Collé Duchesne et un voisin Nicolas Roussel pour accompagner l’enfant abandonnée à la mairie afin de rédiger la déclaration ad hoc.
L’officier de l’état civil écoute avec attention les déclarants, il décrit scrupuleusement les petits vêtements, reporte les mots tracés sur le billet anonyme glissé dans la poche du tablier et décide qu’elle va avoir pour prénoms Louise Geneviève Caroline, ceux du billet et qu’elle a pour nom Crama... mais il n’explique pas pourquoi... après avoir scruté l’enfant il reconnaît qu’elle est bien de sexe féminin et qu’elle peut tout à fait être âgée de 2 ans 1/2 et décide qu’elle soit déposée à l’hospice royal. Tous signent le procès verbal qui est daté du 05 septembre 1818. Et c’est tout... le destin de la petite Louise Geneviève Caroline Crama vient d’être scellé.
Caroline - sans doute son prénom d'usage - deviendra la troisième épouse de Charles Livet, mon ancêtre.
Catherine Livet
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