Bonjour mon lecteur,
Peut-être avez-vous déjà lu "Intimisme" mais, je mets ici des extraits pour parler d'un enfant né hors mariage... Attention ! Pas n'importe quel enfant... c'est de mon père dont il est question ici :
Voici donc un enfant né hors mariage, et pour cause, le fiancé est décédé accidentellement très peu de temps avant les épousailles. Et ici, comme très souvent, ma grand-mère n'a jamais connu l'opprobre et personne ne l'a gratifiée de "fille mère", du moins sous son concept péjoratif.
Je connais l'histoire de la conception de mon père dans les moindres détails mais, s'il en avait été autement et que j'ai simplement découvert, à la lecture de son acte de naissance, qu'il n'avait pas de père... comment aurais-je interprété la situation ?
"Il est là celui qu'elle veut pour mari. Elle en est certaine... Il est grand, un peu plus âgé qu'elle et il est entrepreneur... il a une belle éducation mais aime rire, chanter et danser, comme eux tous... Thérèse Livet, la grand-mère de Germaine, pense à son défunt mari, Jean Berroy, à chaque fois qu'elle le voit. Il a séduit tout le monde parce que, même si Germaine a toujours fait ce qu'elle voulait et si elle continuera à le faire, le clan des Livet ne se gênera jamais pour dire ce qu'il pense et là, Monsieur Barathon fait l'unanimité. Il fera un bon mari, un gendre idéal et un bon beau-frère...
Les dates sont arrêtées, la robe est commandée... Ils sont fous amoureux, ils se tiennent par la taille et s'embrassent en riant... C'est déchirant mais le fougueux fiancé doit partir... ses affaires l'appellent à Buxières-les-Mines, dans l'Allier, où réside sa famille. Ce ne sera pas long, une séparation de quelques jours... Il s'en va au volant de sa superbe Citroën à la rutilante carrosserie peinte de noir et de bordeau... on se salue et on se dit à bientôt... En attendant, il reste tant à faire pour que le mariage de Germaine ressemble à celui d'une princesse... La future est-elle changeante ou la couturière incompétente ? En tous les cas, au dernier essayage, la robe n'est pas seyante... Le télégramme tant attendu arrive, Pierre est sur le retour ; il a hâte de serrer Germaine contre lui alors, il va pousser la mécanique à fond pour réduire l'attente... Germaine doit être parfaite et chacune s'affaire, l'une crante les cheveux et poudre le museau de la belle pendant que l'autre fait reluire les souliers... mais quelle robe mettre ? Enfin, elle est prête et piaffe d'impatience... bientôt, il devrait arriver... Mais le temps passe et personne n'aperçoit le bien-aimé... L'aurait-il oubliée ? Germaine se renfrogne, elle ne sait que penser... une sourde angoisse finit par l'emporter... Et puis elle se glace, comme toute l'assemblée... Là-bas, au bout de la rue, bousculant les passants dans sa course effrénée, Augustin crie, hurle en gesticulant... Rouge, essoufflé, rompu, la casquette envolée, le facteur se fige... il avale sa salive puis, posant une main protectrice sur le bras de la promise, se lance et transmet la terrible nouvelle... Pierre Barathon a eu un accident... il a fallu découper la carrosserie pour le sortir de sa voiture qui a fait plusieurs tonneaux sur la route de Vierzon... la vitesse était trop grande et le virage trop serré... les jambes ont été brisées et le thorax enfoncé... Le mariage ne se fera pas, le fiancé est mort...
Stupéfaction et consternation se lisent sur les visages... tout le quartier est dans la rue... Les yeux des commères se posent sur la taille de Germaine qui, des deux mains, caresse son ventre tout rond... la couturière n'est pas incompétente mais Germaine est changeante...
Le destin est cruel pourtant, la vie est belle. En ce printemps 1922 où le plus beau jour de sa vie devait s'insérer, Germaine pensait être la seule à savoir qu'au plus profond d'elle-même un mystère se jouait. La mort lui a enlevé son beau parti mais, au lieu d'un grand vide, c'est la vie qui l'envahit... et sa mère et ses tantes, ses cousines et même les voisines ont deviné depuis déjà longtemps que leur petite princesse allait devenir mère. Il n'y a guère que Papa Noé à n'avoir rien compris et il est tout surpris et si heureux lorsque sa Germaine adorée, comme lorsqu'elle était petite fille, vient se lover contre lui, l'entoure de ses bras blancs en posant son joli visage sur son épaule pour lui confier son secret. On danse de joie et le champagne est de la fête, car un petit miracle dont on ne se lassera jamais est en train de se produire, un enfant va naître... Ils sont tous là, ceux du clan des Livet.
Les semaines et les mois se sont succédé, les nausées se sont espacées, se mouvoir est devenu difficile, ne parlons pas de tenter de lacer ses bottines... Germaine aimerait tant retrouver ses habitudes d'avant, rire et danser avec ses amis, pourtant elle est si fière de porter la vie, heureuse d'être le centre de son monde... Qu'elle veuille juste soulever un broc et l'on se précipite pour le manipuler à sa place... elle ne doit prendre aucun risque, sa mission est trop importante... il faut que sa santé et ses forces soient préservées et que de son sein sorte le plus bel enfant que la terre puisse connaître...
Certaines lui prédisent une fille, d'autres un garçon... Les commères voient cela à la rondeur de son ventre, il paraît qu'elle porte haut... La sage-femme dit qu'elle ne sait pas... Alors, il faut tout prévoir. Si c'est un fils, il s'appellera René, si c'est une fille, elle s'appellera Renée... Qui a fait ce choix ? Germaine, sans doute puisqu'elle est la seule responsable de l'enfant à naître, mais l’a-t-elle décidé toute seule ou ses parents ont-ils influé sur sa décision ?
C'est
Berthe, une amie de la famille, qui a suivi toute la grossesse de
Germaine ; bon, il faut dire qu'elle est entre de bonnes mains, celles
de la meilleure sage-femme de tout Paris, c'est normal, c'est une amie
du quartier. N'empêche que Madame Brehm a une excellente réputation au
point tel que sa maison d'accouchements est confondue avec la clinique
Baudelocque, puisque cette dernière, annexe de l'hôpital Port-Royal, est
en travaux.
Le terme, à n'en pas douter, est proche et Noé clame partout qu'il va être grand-père ce 25 décembre... les paris sont ouverts, il est persuadé que son petit-fils - il n'en doute pas, c'est un garçon que sa fille attend - va arriver le jour de Noël, comme lui... mais Noé perd son pari... Le 25 décembre 1922, sa fille était lourde, elle n'a presque pas touché au merveilleux repas préparé par sa mère Emilie et ses tantes Louise et Marie ; elle n'a même pas tenté d'esquisser un pas de danse ; elle est restée sur le sofa, souriante et heureuse de la fête puis, bien lasse, elle est allée se coucher... La vie qui se développe en elle serait-elle devenue un enfant ? Combien de temps faudra-t-il encore attendre ? Et puis, voilà, c'est arrivé... ce 26 décembre, elle s'est levée en s'appuyant lourdement sur la table de la salle à manger où elle n'a fait que picorer dans les plats, pourtant ses préférés, que sa mère lui avait préparés. Elle a laissé échappé un "Oh !" de surprise et de crainte lorsqu'elle a senti un liquide chaud lui couler le long des jambes... Emilie et tante Louise sont venues la soutenir pendant que Noé attrapait le petit sac de voyage préparé depuis longtemps déjà et se précipitait, avec son fils, dans l'escalier pour aller préparer sans attendre le fiacre... il n'y a pas loin à aller, la clinique de Berthe est à moins de 200 mètres de la maison... Le travail a été long et pénible malgré que Germaine ait bien appliqué toutes les techniques de respiration et de relaxation qui lui avaient été enseignées durant ces longues semaines de grossesse. Et enfin, déchirant ses entrailles, se propulsant hors de son corps tourmenté, il est né, l'enfant tant attendu par le clan des Livet... Il est 23 h et le miracle s'est accompli... c'est un garçon qui pousse un cri de surprise lorsque le souffle de la vie emplit pour la première fois ses minuscules poumons... Les douleurs de l'enfantement sont oubliées, la parturiente se change instantanément en maman et déjà elle a peur pour le petit être qui fait encore un peu partie d'elle... A-t-il tous ses doigts ? Voit-il ? Entend-il ? La sage-femme et ses aides rudoient le nouveau-né, elles rient en le lavant et en le badigeonnant avec on ne sait pas trop quel onguent pour que sa peau fragile puisse résister à toutes les attaques... ce bébé est beau et il n'y a pas que la mère à le dire...
On l'emmaillote, on l'emmitoufle et, précautionneusement, on le transporte à deux rues du 29 de la rue Boulard, où il est né, jusqu'à l'immeuble des Livet où tout est prêt pour le recevoir... Son trousseau est digne de celui d'un prince... Elles ont coupé, elles ont cousu, elles ont brodé… elles ont crocheté, elles ont tricoté… Elles se sont unies, comme elles l’ont toujours fait, pour partager les joies et l’adversité ; il y avait Germaine et sa mère et la sœur de cette dernière, mais aussi Georgette, Henriette et leur sœur Jeannette Sirejean ; il ne faut pas oublier Thérèse Livet, l'arrière-grand-mère et Joséphine Berroy, sa fille, ainsi que les femmes Soutiran et sans doute celles de la branche des Montenach, descendantes de Marie, l’autre sœur d’Emilie Chalvet.
En tous les cas, elle est ivre de joie, d'assister aux premiers pas du bambin et d'entendre ses premiers mots.
A suivre...
Catherine Livet
.・゜゜・ LIBRAIRIE ・゜゜・.
FNAC
(Pour la version numérique de mes livres)
Pour me joindre :
Lorsque le fiancé est décédé il n'y a pas de raison de jeter l'opprobre sur la fiancée victime et non coupable. L'intention vaut réparation
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