Nous sommes déjà le 3e samedi du mois, traditionnel jour du #RDVAncestral. C'est une très belle journée d'été qui s'annonce ; la chaleur a tendance à inviter à la nonchalance et une certaine apathie s'empare de mon corps alors que mon esprit n'est pas du tout d'accord pour se laisser gagner par cet alanguissement ; il veut rester éveillé pour jouir pleinement de sa rencontre avec celui vers lequel il s'élance, feu follet vif-argent...
Bonjour Félix Eugène, je
suis vraiment un peu marrie de ne m’intéresser réellement à vous que si
tardivement alors qu’il y a tant d’années que vous figurez dans ma généalogie. Bon,
à dire vrai, il faut remonter très avant dans nos arbres pour trouver nos
ancêtres communs. Ceux qui créent un lien entre vous et moi sont Nicolas
Beckerich et son épouse Gertrude Gungler qui sont nés vers 1640 à Garnich au Luxembourg…
ce qui explique, en partie, que je me sois bornée – jusqu’à présent – à collecter
les dates essentielles de votre vie, à savoir, celle de votre naissance, de
votre mariage et enfin, celle de votre décès. J’ai fait la même chose pour
votre frère et votre sœur… enfin… je dois avouer que j’ai fait un peu plus de
recherches au sujet de Louis parce qu’il a été résistant lors de la Seconde
Guerre Mondiale… Toute la présentation de ma généalogie en serait restée à ce
stade si je n’avais pas eu l’idée de me pencher sur les grossesses gémellaires
et multiples répertoriées dans mes arbres. Et, vous le savez mieux que moi,
votre frère et votre sœur sont jumeaux. Et voilà, parce que j’avais l’intention de
parler d’eux plus en détails, je me suis intéressée à leurs proches, sans oublier le dernier-né de la fratrie, arrivé au foyer familial en 1902, qui sera prénommé Charles…
Oui, je vous l’ai déjà
dit, mais il faut que je le réitère, je suis vraiment contrite et c’est pour
cette raison que j’ai accepté ce #RDVAncestral avec vous. Comment ai-je pu
ainsi vous négliger ? Oui, oui, c’est vrai, vous avez raison, j’ai tout de
même cité votre nom lors du centenaire de la Grande Guerre, c’est la moindre
des choses puis, je vous ai oublié.
Vous êtes né le 20 mars 1892 à l'hôpital de Port-Royal, dans le 14e arrondissement parisien de père non dénommé ; votre mère, journalière de 24 ans, habitait alors rue Didot et elle vous a reconnu le 31 mars suivant. En revanche, il va falloir attendre le 11 février 1899 pour que vous soyez légitimé par le mariage de vos parents. Votre père, qui vous reconnaît comme son fils, est Martin Beckerich, il est miroitier, né à Bettviller, en Moselle, le 16 octobre 1861 et habite également le 14e arrondissement. Son père, Jean vit dans le 6e arrondissement et est présent et consentant ; sa mère, Marie Anne Reichard n'est plus de ce monde. Votre mère est désormais prénommée Rose ; elle est née à Paris, le 04 juin 1868 et elle n'a plus ni ses parents ni ses grands-parents. Ce sont les prénoms de votre grand-père maternel que vous portez.
Votre frère et votre sœur naissent au début du mois de décembre suivant le mariage de vos parents, dans une annexe de l'Hôtel-Dieu dans le 5e arrondissement de la capitale alors que la famille est installée dans le 20e, rue du Repos ; votre père est alors absent.
La famille va s'installer à Bagneux où naîtra, en 1902, le petit Charles ; il faut croire que vous êtes bien logés car vous allez y passer de très nombreuses années sentier des Blains. Il faut dire que l'exploitation de l'argile offre du travail à un grand nombre d'ouvriers jusqu'à être surnommée "Bagneux-Briqueville" et votre père travaille dans l'une des trois plus importantes briqueteries, celle de Monsieur Vaury.
Vous travaillez bien à l'école et vous savez lire, écrire et compter ; vous devenez peintre en bâtiment et travaillez chez Monsieur Allemard. Châtain aux yeux bleus, vous mesurez 1,59 m et souffrez d'une otite chronique qui vous exemptera de service militaire en 1913. Cependant, la France ayant besoin de toute sa force, vous rejoignez l'armée le 18 novembre 1914 et vous êtes envoyé en renfort, le 28 février 1915, au 161e régiment d'infanterie.
Vous voici en Argonne, cette région à cheval sur les Ardennes, la Marne et la Meuse ; vous êtes même plus précisément à 4 km de Varennes, dans la Marne, au bois de la Gruerie... Sans doute n'avez-vous jamais imaginé l'enfer que vous découvrez... Le 161e est alors très éprouvé, il a subi de fortes pertes et les renforts qui arrivent ne sont pas des soldats aguerris mais, souvent, des réformés qui sont rappelés pourtant, les hommes du 161e se montrent ardents.
La lutte est rude au niveau d'un ancien pavillon appelé Bagatelle situé au nord de la Harazée et attaques et contre-attaques se succèdent presque sans arrêt.
Le 04 mars, à 13 h, les Allemands attaquent et s'emparent de l'ouvrage. En fin d'après-midi du 07, le 161e passe à son tour à l'attaque et reprend pied à Bagatelle mais, les Allemands vont reprendre la main dès le 09 et les contre-attaques françaises, néanmoins furieuses, ne permettent pas la reprise du bâtiment... Dans
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Bagatelle - juin 1915 (1)
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le bruit assourdissant des bombes qui explosent autour de vous, asphyxié et aveuglé par la poussière et la fumée, avec âpreté et courage, entouré de vos camarades emplis de la même rage, vous faites barrage à l'ennemi, tentant désespérément de le faire reculer... jusqu'au 15 ou 16 mars où une bombe stoppe net votre ardeur... Vous vous affalez sur le sol rougissant du sang qui s'échappe de vos chairs déchiquetées ; vous n'entendez plus rien du vacarme habituel, les bruits sont comme assourdis, comme si vous pressiez vos mains sur vos oreilles pour ne plus entendre le grondement et le sifflement des projectiles et, surtout, le râle de vos compagnons qui gisent sur le terrain ; vous ne voyez plus rien d'autre que les éclairs lancés par les armes qui continuent le massacre... Les terribles douleurs aux jambes que vous avez ressenties au moment de vous écrouler sont devenues presque supportables... vous attendez... c'est tout ce qu'il vous est possible de faire...
Enfin, les secours arrivent... vous n'êtes pas beau à voir... vous êtes évacué et transporté à l'hôpital - je ne sais pas encore lequel - où vous allez subir quelques opérations. Vous avez le tibia gauche fracturé et votre rotule droite a été pulvérisée ; on ne peut même pas compter les nombreuses plaies qui couvrent votre corps dont certaines au visage... vous avez perdu l'usage de votre œil gauche qui ne perçoit plus que la lumière et, vous n'entendez plus qu'à moitié...
Vous n'êtes pas la seule victime et vous ne serez pas la dernière car la situation dans le secteur ne va pas s'améliorer
Le personnel médical fait tout son possible pour vous remettre en état, malgré tout, vous garderez toute votre vie de lourdes séquelles.
Mis en congé illimité le 25 juillet 1916, vous vous retirez à Bagneux. Vous vous recyclez, devenez commis d'agent de change et, vous vous mariez le 08 octobre 1918, à Antony dans les Hauts-de-Seine, avec Thérèse Antoinette Guicheux qui est née le 12 août 1900 dans le 5e arrondissement de la capitale, elle est comptable et fille de Séraphin et de Louise Ernestine Aldebert qui, tout comme vos parents, sont présents et consentants. Votre oncle Julien Malfettes, entrepreneur de peinture, âgé de 60 ans est votre témoin, mais je me demande si votre frère Louis est à vos côtés car, la guerre s'éternisant, et bien que né en 1899, il est soldat depuis le 19 avril 1918.
Votre premier enfant, un fils que vous prénommez Jean Marie Louis, naît le 10 septembre 1919 à Antony ; il sera adopté par la nation par jugement du tribunal civil de la Seine en date du 06 février 1924. A l'époque de cette naissance, vous êtes aide-comptable mais, il semblerait que vous repreniez, quelques années plus tard, votre métier de peintre en bâtiment.
Vous garderez des cicatrices dont certaines au niveau du maxillaire droit et une autre au poignet gauche et, bien entendu, au fil des ans, votre état de santé ne va pas s'améliorer. Vous souffrirez d'arthrite purulente du genou droit, la raideur de votre genou va s'amplifier, votre cuisse s'atrophier et une cyphoscoliose s'installer... vous serez obligé de porter une chaussure orthopédique.
Décoré de la Croix de guerre avec palme et de la médaille militaire, il vous faudra attendre 1959 pour être Chevalier de la Légion d'Honneur, par décret du 02 juillet mais, avec rang au 30 mai 1958.
Malgré vos terribles blessures, vous atteindrez un âge plus que respectable et vous éteindrez le 26 juillet 1989 à Châtenay-Malabry, dans les Hauts-de-Seine.
Félix, notre rencontre touche à sa fin, il faut maintenant que je m'occupe de répertorier vos enfants que je viens de découvrir. Pour cela, il faut que mon esprit retrouve le chemin de la terre et qu'il reprenne possession de mon corps qui, sans lui, ne peut rien faire.
Catherine Livet
(1) Cote : VAL 114/164 - Date : 30/06/1915 - N° Inventaire Section photographique de l'armée : 11526 - Collection "La Contemporaine" - Licence Ouverte-Open Licence
Que de dégâts a fait cette guerre !
RépondreSupprimerOh que oui !
Supprimerl'Argonne, terre de douleur pendant cette guerre
RépondreSupprimerC'est même très impressionnant. Merci pour la lecture et le commentaire.
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