René Livet, mon père, est né à la fin de 1922. Il s’est retrouvé orphelin dès l’âge de 4 ans. Il a été élevé par ses grands-parents maternels, Noé Livet qui est décédé le 26 février 1929, et Émilie Chalvet qui est très malade lorsque Paris est occupé lors de la seconde guerre mondiale. René travaille, s’occupe de sa grand-mère et des locataires de l’immeuble du 39 rue Daguerre, dans le 14e arrondissement de Paris.
Paris est sous le joug allemand depuis le 14 juin 1940 ; dès le mois d’août suivant, les Allemands font appel aux volontaires pour partir travailler en Allemagne, certains, très peu nombreux, vont accepter ; il est difficile de trouver un travail dans la France occupée, si on a la chance d’en avoir un, on voit le salaire baisser presque semaine après semaine ; la matière première devient de plus en plus rare contraignant les entreprises à fermer les unes après les autres. Les Allemands ne lésinent pas sur la propagande pour attirer les Français en Allemagne mais le résultat est finalement plutôt mince.
Émilie Chalvet décède le 21 juin 1941 à l’hôpital Cochin. Son fils, qui était soldat, n’est pas à Paris.
Début 1942, l’armée allemande réquisitionne jusqu’au dernier travailleur allemand ; il lui faut donc encore et toujours de la main-d’œuvre pour faire tourner les industries allemandes ; l’Allemagne va donc exiger de la France qu’elle lui envoie 350 000 travailleurs. Naît alors une idée qui est présentée comme un acte solidaire : « la Relève » Pour trois travailleurs qui partent en Allemagne, un prisonnier français sera libéré et pourra rentrer au pays. Encore une fois on use de tous les moyens possibles pour inciter les volontaires dont le nombre s’avère beaucoup trop maigre.
Le 13 mai 1942, René entre aux établissements Maurel 47 rue Croulebarbe dans le 13è, fabricant de registres et de fournitures métalliques pour papeterie, en tant que manœuvre. Il y restera jusqu’au 31 juillet 1942 parce que le jour même ou la veille, le directeur fait arrêter les machines et commence un discours pour prévenir qu’il lui a été demandé de fournir la liste de tous les jeunes gens qui travaillent chez lui et qu’ils sont réquisitionnés pour aller travailler en Allemagne ; René, comme ses camarades, ne veut pas y aller, il demande son compte.
René se présente au bureau du personnel de la SNCF, à la gare de Noisy-le-Sec 45 rue d’Aubervilliers, il est embauché, le 03 août 1942 à 8 heures. Comme tous les employés de la SNCF René travaille donc tout de même pour les Allemands mais il en est de même dans toutes les entreprises ; il n’y a pas moyen de refuser de travailler mais la majorité des travailleurs, jeunes ou non, s’ingénue à trouver celui de ralentir le plus possible les cadences, de rendre l’outil indispensable introuvable, de se tromper…
Une nuit, sur son lieu de travail, il est arrêté par les Allemands et « questionné » après qu’il ait provoqué un accident ayant entraîné quelques blessures aux deux gardes allemands chargés de la surveillance des travailleurs français.
Pour échapper à la défiance allemande à son égard, René est déplacé de la gare de Vaires-Torcy, à celle de Paris la Villette ; il est alors détaché dans une autre société, affiliée à la SNCF puisqu’il sera toujours compté dans les effectifs de cette dernière, pour livrer des colis à domicile…
Mais le voilà recensé et invité à se présenter à la visite médicale en vue du service obligatoire ; étant déjà requis au titre de la Loi du 04 septembre 1942, le chef de gare adresse donc une protestation au Maire du 14è arrondissement... cette lettre a été rédigée le jour même du recensement…
On a vu un peu plus haut que « la Relève » avait été un échec alors, les autorités allemandes, fortement aidées par le gouvernement de Vichy, sont passées à la vitesse supérieure et ont institué cette fameuse loi du 04 septembre 1942 qui impose la conscription de tous les hommes de 18 à 50 ans et toutes les femmes célibataires de 21 à 35 ans. René est affecté par cette loi c’est pourquoi le chef de gare s’en prévaut dans sa lettre de protestation ; beaucoup d’autres chefs d’entreprises doivent utiliser cet argument pour tenter de garder les Français refusant de partir travailler directement pour les Allemand, une autre loi voit le jour, celle du 16 février 1943 qui institue le travail obligatoire, pour une durée de deux ans, de tous les jeunes hommes nés entre 1920 et 1922, il n’y a plus de contrepartie et le retour des prisonniers cesse, ils changent simplement de statut et de prisonniers, deviennent « travailleurs libres » sauf que leur sort n’est en rien modifié, ils restent là où ils se trouvent et continuent à accomplir les mêmes taches, c’est à dire à travailler pour l’occupant.
René ne fait que gagner un peu de temps mais il est finalement fermement requis pour aller en Allemagne et, comme il travaille à la SNCF, il travaillera dorénavant directement pour son équivalent allemand, la Deutsche Reichsbahn, au titre du S.T.O, le Service du Travail Obligatoire.
Le 24 juin 1943, une carte de travail est remise à René, elle précise son affectation ; il va aller à Ulm sur le Danube.
Le 25 juin 1943, les Allemands sont partout, ils empêchent les familles et les amis de s’approcher des voies… les « Requis » sont arrachés des bras de leur mère et poussés sans ménagement vers les wagons… Tout se déroule sous très haute surveillance… même la valise de René est contrôlée car il ne peut emporter que les effets qui sont mentionnés sur une liste qui lui a été remise…
Le chef de gare a réussi à lui faire parvenir une sorte de lettre de trois ou quatre feuillets où il a consigné les droits et les obligations des travailleurs français, en lui recommandant d’en faire bon usage…
Et puis, le vent va tourner et, enfin, après bien des souffrances, dans les décombres de la ville d’Ulm, le 24 avril 1945, René se trouvera face à des Américains. Il est pris en charge ; la première armée française est en place.
Le 24 mai 1945, René pose enfin les pieds sur le territoire français.
Catherine Livet
Vers la lettre Z
Ce texte est rédigé dans le cadre du ChallengeAZ
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En lien avec ce texte et mes ancêtres :
- Jean-Baptiste Chalvet, jeune soldat de Napoléon 1er
- L'autre ennemi du soldat de Napoléon
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Dans l'insouciance ou l'inconscience de ses 20 ans, quitter une petite manufacture pour intégrer une grosse machine encore plus en vue, bad choice pour qui veut "y" échapper !
RépondreSupprimerHé oui ! Période difficile pour un jeune qui s'est retrouvé seul du jour au lendemain.
SupprimerLe travail est toujours obligatoire, mais normalement pas pour les envahisseurs !
RépondreSupprimerHé oui !
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