Bonjour mon lecteur,
C’est le 08 mars 1845 à ¼ d’heure du soir que le bébé, du sexe masculin, a été trouvé à la porte de l’hospice où il avait été abandonné. L’enfant était vêtu d’un bandeau marqué « N.F. », un bonnet d’indienne doublé en futaine, une pointe de fichu à carreaux lui servait de blouse, une chemise à brassière en calicot garnie de mousseline, une brassière d’indienne doublée en futaine, une couchette, deux langes dont un vieux de toile et l’autre en flanelle.
La personne qui avait déposé le petit être avait pris grand soin de rédiger un billet : « Louis Pierre né le 25 février 1841 déposé le 8 mars » Et, effectivement, l’aumônier de l’Hôtel-Dieu de Rouen, le 09 mars, rédige un bon certifiant que Louis Pierre a bien été baptisé le 25e jour de février 1841 et qu’il est le fils de Denise Feronne !
Malgré ces précieuses informations,
l’enfant, à son arrivée à l’hospice, a été nommé Noval Grégoire et on lui a
passé autour du cou un collier fermé par un plomb auquel pendait une petite plaque de fer sur laquelle était gravé le n° 114 ainsi que l'année de son abandon. Grégoire est donc le 114e enfant de l'année à avoir été déposé dans le tour !
Cet enfant, arrivé malade, comme beaucoup d'autres, a été placé en
nourrice dès le lendemain et il faut croire qu’il a été très bien soigné
puisque nous avons fait sa connaissance alors qu’il était adulte. La nourrice de notre petit Grégoire, tous les mois, pour être payée, devait présenter l'enfant au maire du village où elle habitait ; le maire devait certifier à l'hospice que Grégoire était toujours en vie ; le collier étant la véritable carte d'identité de l'enfant, toute défectuosité devait être immédiatement signalée et l'enfant ramené à l'hospice pour qu'un nouveau collier lui soit scellé autour du cou.
Extrait acte de décès de Grégoire Noval |
Il est certain qu’un suivi rigoureux
est fait par les responsables de l’hospice, car à chaque étape de la vie de
celui qu’il nous faut appeler Grégoire, l’hospice saura toujours où se trouve
le jeune homme. Il en sera ainsi en 1861, lorsque les responsables de l’institution
établiront la liste des conscrits de l’année. Grégoire Noval figurera en bonne
place, avec tous les renseignements disponibles à son sujet, dont sa date et
son lieu de naissance ainsi que le prénom qui lui avait été donné au baptême et
l’identité de sa mère. Lorsqu'il a été en âge de travailler, Grégoire a été placé, à la campagne, chez des cultivateurs. Peut-être n'a-t-il jamais quitté ses parents nourriciers et qu'il est resté à travailler chez eux, mais comment le savoir ? En tous les cas, une chose est certaine, en 1861, il était l'ouvrier agricole d'Edouard Leprestre, cultivateur à Illeville-sur-Montfort, dans l'Eure.
Tout le monde, à l'époque, semble se moquer éperdument du devenir de la mère de Grégoire, mais aujourd'hui, j'ai voulu en savoir plus à son sujet. Et voici ce que j'ai découvert. Peut-être vous en doutiez-vous mais, pour moi, cela a été une surprise… Denise Feronne a été ainsi nommée depuis qu’elle a été trouvée, le 1er mars 1819, à la porte de l’Hospice général de Rouen ; elle était alors âgée d’environ quatre jours et on lui a donné le collier numéro 144. Elle portait un bandeau, une pointe de fichu à carreaux rouges et blancs sur sa tête, une chemise brassière et une couchette. La personne qui a déposé le précieux petit paquet a également laissé un billet « C’est une enfant du sexe féminin qui a été baptisée ce jourd’hui 2 mars 1819 » Bon, il y a une petite erreur quelque part, l’enfant n’a pas pu être baptisée, avant d'être abandonnée, le 02 puisqu’elle a été trouvée le 1er mars. Cette fois, aucun nom de baptême n’a été noté.
Après sa furtive apparition, dans la
nuit du 8 mars 1841, à la porte de l’hospice général de Rouen pour déposer le
petit être fragile auquel elle venait de donner la vie, Denise Feronne disparait… Mais
elle ne s’éloigne pas trop de Rouen et, en 1846, nous la retrouvons à une
trentaine de kilomètres, à Jumièges, où elle est domestique. Et si elle a enfin
laissé une trace dans les archives, c’est parce que, le 24 juin, devant témoins
et Monsieur le Maire, elle a dit « oui » pour la vie à un homme merveilleux qui va la chérir et la protéger jusqu'à la mort...
La nouvelle semble plutôt bonne. Sans doute son mariage portera ses fruits et Denise pourra quitter son emploi de domestique pour s’occuper de son foyer et alors, elle pourra reprendre son fils aîné et Grégoire Noval redeviendra Louis Pierre Feronne… La vie, enfin, va s’adoucir ! Qu’en pensez-vous ?
Malheureusement, il n’en sera rien, car ce mariage est marqué par la misère. L'époux de Denise Feronne se nomme Hyacinthe Savary, il est âgé de 22 ans et, il a dû fournir un acte de notoriété pour pouvoir se marier parce que, lui aussi est un mystère et ses parents sont absolument inconnus… De plus, aucun numéro de collier ne lui a été, semble-t-il, attribué… Personne ne saura jamais d’où il vient et ce sera ainsi jusqu’ sa mort... qui sera, elle aussi, bien mystérieuse puisque son corps sera retrouvé, le long du fleuve de Seine, à Val-de-la-Haye, à 6 heures du soir, le 28 avril 1867.
Pourquoi ces deux-là, connaissant parfaitement les conditions de vie des enfants « élèves de l’hospice » n’ont-ils pas repris le fils de Denise ? Pensaient-ils vraiment que la vie du très jeune enfant serait meilleure sans eux ou est-il possible que sa mère ait, tout bonnement, oublié l’existence de son fils ? Nous ne le saurons jamais.
Alors voilà, je pense que le décor est planté et que nous savons tout ce que nous pouvons au sujet de la famille de Théophile Albert Noval, le père de Blanche, qui épousera, en secondes noces, mon grand-oncle Émile Livet. Mais si l'existence des Noval reste bien mystérieuse, ce n'est pas cela qui a heurté ma morale, mais à ce stade de l'histoire, rien n'est encore joué.
À bientôt, pour la suite.
Catherine Livet
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