Alfred Ouster, un Communard en Nouvelle Calédonie



Comme souvent, je me concentre pour tenter de mettre par écrit quelques moments de vie de l’un ou l’autre des personnages de mes généalogies ; je commence à relire ce que j’avais rédigé pour le #RDVAncestral du mois dernier car je me souviens parfaitement que ma rencontre avait été écourtée autant par le manque de temps de ma part que par le très riche passé de l’hôte qui avait bien voulu me recevoir alors… Mais bientôt, je cesse ma lecture car mon esprit part vagabonder et imaginer le long voyage entrepris bien malgré lui et les paysages inimaginables, les gens extraordinaires qu’a découvert Alfred Ouster dont l’esprit semble chercher le mien pour pouvoir reprendre le cours de nos échanges…

Bonjour Alfred. Ne vous avais-je pas dit que je reviendrais vous voir dès que possible ?

Communard, vous avez été condamné à la déportation en enceinte fortifiée mais  cette peine très lourde a été commuée le 09 décembre 1872 en déportation simple. Vous êtes incarcéré au fort de Quélern dans le Finistère en attendant le moment d’embarquer sur le Calvados. Vous quittez la terre ferme le 18 mai 1873… Oh là là ! Quel voyage ! Des cages de trente mètres de long sur trois de large pour une hauteur de deux mètres vingt vous accueillent avec les autres condamnés politiques. Vous avez le droit à de la viande fraîche le mercredi et dimanche, des sardines ou du fromage les vendredis, une ration de lard salé les autres jours ; tous les soirs, vous pouvez vous restaurer d’un bouillon aux haricots, aux pois ou aux fèves ainsi que d’un bouillon au lard ou à la viande fraîche tous les matins sauf le vendredi ; vous recevez quotidiennement des biscuits et 1/8è de pain ; un café vous est servi tous les matins à 6 h ; ¼ de vin le midi vient agrémenter votre repas et une boisson sucrée ou citronnée vous est servie dans la journée.
Vie d'un Communard condamné à la déportation
Rade de Nouméa

La traversée a été plutôt difficile mais le bateau finit par arriver le 28 septembre 1873 en rade de Nouméa et enfin, le 03 octobre 1873, vous posez le pied sur l’Ile des Pins où vous allez désormais vivre.

A dire vrai, je ne sais pas exactement comment se déroulent pour vous les premières années à la "Nouvelle" sur l'Ile des Pins qui est réservée aux prisonniers politiques, comme vous, condamnés à la déportation simple mais certainement, vous avez su vous y habituer puisque le 16 septembre 1876, muni d’une permission provisoire, vous embarquez sur le navire « la Vire » qui va vous conduire de l’Ile des Pins à Nouméa où vous allez obtenir, dès le 18 septembre, l’autorisation de résider à Moindou Marais … Ce n’est pas rien ! Vous venez d’être sélectionné et avez
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obtenu une concession… vous allez pouvoir exploiter une terre… un peu marécageuse donc mais, vous allez très bien vous en sortir et l’administration ne va pas tarir d’éloges à votre sujet et dès le début de votre installation, et mois après mois, les fonctionnaires noteront soigneusement votre comportement et les surveillants trouveront que votre conduite est bonne, voir très bonne et que vous avez de très belles dispositions au travail… l’administration estime que vous allez faire un très bon colon, vous semblez en effet bien plus méritant que,  mécanicien parisien à l'origine, rien ne vous prédisposait à devenir fermier sur une terre lointaine… Mais les événements vont en décider autrement… 

Savez-vous Alfred que, bien qu'aujourd'hui j'ai quelques contacts privilégiés avec des habitants de la Nouvelle, je n'ai non seulement jamais fait le voyage jusqu'à cette terre très lointaine mais que, de plus, j'ai une très mauvaise connaissance géographique de cette "Grande Terre" et des îles qui la composent ? C'est pourquoi je dois sans cesse me référer à des cartes et que je pense qu'il n'est pas inutile d'en présenter une ici, très simplifiée, présentant grossièrement la situation des villes de la Province Sud que nous évoquons ensemble.
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Le 18 juin 1878, à la Ouaménie, dépendante de la circonscription de Boulouparis, l’ancien bagnard Jean Chêne, devenu gardien d’une propriété appelée Dezarnauld est sauvagement assassiné, ainsi que Medon, sa compagne indigène de Poquereux et certainement leur fils âgé de trois ans, par un groupe de Mélanésiens… l’Administration répond promptement en faisant incarcérer dix chefs de tribus… 
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Ataï
Ce sera le début de la grande révolte des Kanaks qui couvait depuis un certain temps… Il faut dire que tous les éléments se sont mis en place : la grande sécheresse de 1877 est suivie par la divagation du bétail des colons sur les "terres des réserves" des Kanaks qui détruit ainsi les maigres cultures... Le grand chef de Komalé va immortaliser son nom, Ataï, en réussissant à fédérer les chefs des tribus voisines… il perdra la tête dans la bataille... mais elle retournera en Nouvelle Calédonie après un séjour jusqu'en 2014 en métropole... c'est une autre histoire...ou presque...
Revenons à vous Alfred. Pour faire bref : les attaques kanaks sont rapides et surtout imprévisibles... L’administration appelle immédiatement des renforts mais… les déplacements sont encore très longs et, en attendant… elle vous donne un fusil ainsi qu’à d'autres « bagnards »… Avec vingt-trois autres déportés, vous allez particulièrement être distingué et vous allez ainsi, le 31 décembre 1878, bénéficier d’une remise pleine et entière de votre peine… Six mois plus tard, le 15 juin 1879, vous embarquez sur la « Seudre » pour rentrer en métropole. Après une traversée qui s’est plutôt bien déroulée, vous êtes arrivé le 12 septembre 1879 à Port-Vendres, aujourd'hui dans les Pyrénées-Orientales, où le même chaleureux accueil que pour les amnistiés débarqués de la Picardie, vous a été réservé ; avec 108 autres sur 117 qui étaient à bord de la Seudre, vous avez pris le train de 4 h 10 pour Paris où 20 000 personnes vous attendaient pour fêter votre retour.
A bord du vapeur la Picardie arrivé quelques jours avant la Seudre, se trouvait un autre amnistié, Isidore Petitjean, l’époux de Clémentine Noyon. Malheureusement, le voyage ne s’est pas aussi bien passé pour lui et il est décédé en mer le 12 août 1879 ; la Picardie était attendu à Port-Vendres le 07 septembre de la même année et Clémentine Noyon a été aperçue dans cette ville le 10 septembre… était-elle sur la Picardie ou arrivait-elle de Paris pour accueillir son mari ?  En apprenant le décès de son époux, Clémentine Noyon a-t-elle décidé de vous attendre ? Vous êtes-vous rencontrés à Port-Vendres ? Il y-a un peu de flou dans votre existence car je sais que vous épousez la veuve Noyon mais je n’ai pas encore trouvé ni le lieu ni la date de votre mariage… Et puis, comment et pourquoi êtes-vous repartis, tous les deux, vous installer en Nouvelle Calédonie ? La fille d’Isidore Petitjean était-elle avec vous ? Avez-vous connu et côtoyé Julia, la sœur de Clémentine, également expédiée en Nouvelle Calédonie où elle a été mariée à Bourail ? 
Bien contextualiser ses ancêtres dans son livre de famille
Chef et tribu de Moindou

En tous les cas, c’est à Moindou où vous êtes devenu commerçant, que vos paupières vont se refermer pour toujours sur le gris de vos yeux ce 09 avril 1887.

Oh là là ! Vite ! Vite ! Il faut que je reprenne mon esprit… je me suis laissée entrainer dans une sorte de rêverie éveillée qui m’a emportée si loin… Je dois écrire sans perdre un instant tout ce que j’ai appris sur la vie  de ce malheureux Alfred Ouster avant que ces précieux renseignements ne quittent ma mémoire.
Mais oui Alfred, je sais bien que ce n’est qu’un résumé de votre existence qui a été riche en expériences mais, je suis en train d’écrire dans le cadre du #RDVAncestral qui a lieu chaque troisième samedi du mois, je ne suis pas tenue de rédiger votre biographie complète ou faire une étude approfondie au sujet des Communards déportés en Nouvelle Calédonie… 

Catherine Livet

N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de la vie d'Alfred Ouster en commentaire en bas de la page.


Julia Noyon 


Sources/Bibliographie :
  • Archives de Paris
  • Archives d'Outre-Mer
  • Journal d'un déporté à l'Ile des Pins de Joannès Caton -Edition France-Empire - Paris - 1986
  • Archives nationales -Sous-série BB24/766 et 24/773
  • Le Petit Journal du 03 janvier 1897
  • Presse nationale début janvier 1897

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12 commentaires:

  1. Qu'il est riche ce dossier et quel récit !

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    1. Merci beaucoup Renaud. Plus on trouve de traces tangibles en généalogie et plus on a envie d'en savoir.

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  2. Merci pour cette agréable lecture. Ce rendez-vous est aussi riche que la vie d'Alfred, difficile mais ô combien intéressante.

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    1. C'est moi Béatrice qui vous dis merci pour votre lecture et votre commentaire très encourageant.

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  3. Quel personnage, et comme toujours ce billet fourmille de détails.

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  4. Whao je n'ai jamais autant lu et appris sur la Nouvelle-Calédonie, bravo !

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    1. Je suis vraiment heureuse que ma petite étude généalogique puisse vous apporter autant. Merci beaucoup Anonyme

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  5. Toujours un plaisir de te lire dans le #RDVAncestral chère cousine ! Un récit si bien documenté en Nouvelle Calédonie !

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    1. Merci mon cousin. Je suis en train de me passionner pour la Nouvelle Calédonie

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  6. C'est en effet une vie extraordinaire, et un récit passionnant !

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Merci pour cette lecture.
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