Hortense Merda
J’ai un peu écourté une soirée chez des amis afin de pouvoir préparer ma participation au #RDVAncestral de mois de mai 2019, je sais pourtant parfaitement de qui et de quoi je veux parler cependant, bien installée derrière mon bureau, l’ordinateur en ordre de marche, mon regard posé sur l’écran où l’une après l’autre les lettres s’affichent, formant des mots puis des phrases… je n’arrive pas à me concentrer sur ce travail d’écriture qui ne serait pas comme je le souhaite si je ne permettais pas à mon esprit de se dissocier de mon corps… il a besoin de s’évader, de traverser l’espace… de se dématérialiser pour pouvoir entrer en contact avec le vôtre…
Bonjour Hortense. Non, ne prenez pas peur, les inconnues ne sont pas toujours des ennemies… d’autant plus que je n’en suis pas vraiment une puisque nous sommes de la même famille. Non, je ne suis pas votre cousine éloignée, je suis votre descendante… Oui, vous avez sans doute raison, il est probable que je ne vous ressemble pas beaucoup… surtout qu’il paraît que je suis l’incarnation tant physique que morale de mon arrière-grand-mère paternelle et il se trouve que vous êtes l’une de mes aïeux maternels…
Cinq lignes suffisent pour que nous comprenions parfaitement le lien de parenté qui nous lie pourtant, plus de cent ans séparent nos naissances respectives… Plus d’un siècle ! Comme la vie a changé !
Mais je suis beaucoup trop bavarde, je venais juste parler un peu de vous. Vous êtes née le 16 mai 1855 à Avesnes (sur Helpe) dans le Nord, vous avez eu un grand nombre de frères et de sœurs… utérins ou germains… peu importe en fait, vous êtes la fille de Mariette comme les gens qui la connaissaient l’appelaient, son nom légal était Angélique Rahïr et elle le savait malgré le fait que ses contemporains pensaient qu’elle s’appelait Henriette Merda ; c’est pour cette raison que votre patronyme est Merda, vous ne le tenez pas de votre père, qui sera pour toujours inconnu, mais bien de votre mère alors même que Merda ne fut jamais son nom.
Frères, sœurs et autres alliés d'Hortense Merda |
Vous avez un seul frère vivant que j’ai toujours considéré comme germain d’une part parce qu’il est né assez rapidement après vous et que d’autre part, je n’ai jamais envisagé que votre mère puisse « faire la vie » mais peut-être suis-je trompée par la sympathie que j’ai toujours éprouvée pour vous et qui n’a fait que grandir au long de mes recherches généalogiques… Je n’ai jamais rien trouvé de « mal » à votre sujet, j’ai toujours pensé que vous étiez une femme d’honneur, résignée à votre mauvais sort et que vous avez fait le mieux que vous avez pu avec ce que vous aviez… car la vie ne vous a pas épargnée ! Vous êtes née de père inconnu, ce qui était plutôt courant pour l’époque dans le milieu dans lequel vous êtes venue au monde, ce n’était évidemment pas un atout mais pas franchement une tare… il vous manquait un appui, un repère et un salaire supplémentaire n’aurait pas été du luxe dans le foyer où vous avez grandi lors de vos premières années mais personne ne vous a montrée du doigt en tant que « fille naturelle » surtout que votre mère, alors que vous aviez un tout petit peu plus de 5 ans, s’est mariée ; elle a épousé, le 08 août 1860, Constant Noyon, un veuf, père d’un certain nombre d’enfants dont l’une va avoir un destin réellement extraordinaire alors que son frère va devenir votre… époux ! Des frères et sœurs utérins vont arriver au foyer mais seuls deux enfants vont vivre, votre demi-sœur Julia qui aura un destin que j’ose qualifier de tragique et Henri Paul qui commencera encore plus mal sa vie que les autres membres de la fratrie puisque votre beau-père a tout bonnement oublié d’aller déclarer cette naissance…Sur les huit enfants répertoriés nés de votre mère, seuls quatre vont atteindre l’âge adulte et avoir à leur tour des enfants. Votre situation n’est pas des plus enviable cependant, j’ose imaginer que vous avez pu tirer un peu de bonheur des rares distractions qui vous ont été offertes à Avesnes au cours de votre enfance comme les formidables fêtes de la bienfaisance en 1863, où la féerique cavalcade avec ses chars majestueux a été suivie par des bals, des concerts et même un concours de tir à la cible, dont vos contemporains vont parler pendant plusieurs années tant ils auront été éblouis par le faste déployé… Alors, je vous imagine, suivre la cavalcade, vos yeux d’enfants brillants d’émerveillement, devant le char symbolisant la chine sur lequel les participants sont vêtus de magnifiques costumes enrichis de soie de couleurs vives et de fabuleuses broderies… Il me plait sincèrement de penser que votre triste vie d’enfant de parents reconnus indigents a parfois été égayée de la sorte… car bientôt, votre situation va s’aggraver…
Votre beau-père, Constant Noyon est admis à l’hospice civil d’Avesnes où il décède le 27 septembre 1872, votre mère ne semble pas avoir de métier, elle doit faire ce qu’elle peut en acceptant les petits travaux que des familles plus fortunées veulent bien lui confier en échange de quelques pièces ; vous réalisez des travaux de couture longs et pénibles qui ne rapportent que des misères, votre frère Henri est trieur de laine… la fille de votre beau-père, Clémentine, quelques temps après son précoce mariage, est devenue parisienne et a été prise dans la tourmente de la guerre de 1870 et de la Commune de Paris…
Mais vos malheurs ne sont pas terminés car le 26 février 1873, c’est votre mère, Angélique Rahïr dite Henriette Merda, que tout le monde appelle Mariette, qui s’éteint dans la masure qui vous abrite tant bien
Rue Sainte-Croix |
que mal, située rue Sainte-Croix dans la partie basse et misérable de la ville d’Avesnes… C’est la déroute… votre sœur utérine, la petite Julia, a onze ans et son frère n’en a que neuf, ils sont incapables de subvenir à leurs besoins…
Cependant une lueur d’espoir s’offre à vous en la personne de Henri Noyon qui est le fils que votre défunt beau-père a eu de son premier mariage. Le jeune homme a plutôt alors un bon métier puisqu’il est employé au chemin de fer, il est célibataire et vous le connaissez bien… alors, vous allez vous marier.
Et nous voici, en ce jour du 07 décembre 1874, il fait très froid et la neige s’est glissée au rang des invités, il faut faire attention de ne pas avoir le pied qui glisse en montant l’impressionnant escalier extérieur de la mairie d’Avesnes à l’intérieur de laquelle un adjoint au maire attend la petite assemblée pour procéder au mariage civil… tout est prévu, l’acte a été préalablement rédigé, vous avez fait appel aux deux membres stables de votre famille, à votre oncle par alliance, l’incontournable Charles Durget qui est aussi employé au chemin de fer et à votre cousin Xavier Bricard qui sont vos témoins ; votre grand-mère maternelle, Angélique Rahïr, alors déjà âgée de 72 ans s’est déplacée et est consentante à votre mariage… Mais voilà que quelqu’un s’aperçoit enfin que vous n’avez que 19 ans, que vous êtes mineure, orpheline et surtout fille naturelle non reconnue… c’est pour cette raison que le seul consentement de votre grand-mère n’est pas suffisant ; pour autoriser votre union, il aurait fallu réunir le conseil de famille et nommer un tuteur ad hoc… ce qui n’a pas été fait… Mais la situation va être régularisée, un certificat d’indigence est rédigé, ainsi justice pourra vous être rendue malgré votre dénuement ; un conseil de famille va se réunir devant le juge de paix et le tuteur ad hoc qui sera désigné validera votre mariage… C’est bien heureux car il semble bien que vous ayez consommé votre mariage sans attendre l’autorisation d’un tuteur idoine !
Maintenant Hortense, je vous laisse profiter de ces quelques années à venir qui semblent être un peu moins dures que celles que vous avez connues jusqu’à présent… Il est tard, très tard… j’ai durant trop longtemps laissé mon esprit côtoyer le votre pourtant, il y a une question à laquelle j’aimerais que vous apportiez une réponse mais les faits qui m’intéressent ne se dérouleront que le 16 mars 1890… Je reviendrai vous rendre visite car pour l’instant, il faut que mon esprit regagne mon corps, toujours installé derrière mon bureau, pour que je puisse rédiger ce fameux #RDVAncestral.
Catherine Livet
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Cela ne doit être toujours facile de reconstituer des familles où le père n'est pas connu ou présumé tel... Il va falloir que je regarde si j'arrive à connecter vos Merda avec les miens.
RépondreSupprimerC'est la spécialité de cette branche de ma généalogie : père inconnu ou impossibilité de croire la déclaration de la sage-femme : enfant né d'une femme mariée dont l'époux est au bagne depuis plusieurs années par exemple. Je vais bientôt raconter toutes ces histoires.
RépondreSupprimerLes Merda de Lavaqueresse dans l'Aisne doivent bien cousiner d'une façon ou d'une autre.
Bonjour Catherine. Merci pour ce beau #RDVAncestral qui nous permet de rencontrer Hortense dont le destin ne peut laisser indifférent. J'espère pouvoir participer bientôt aux prochains rendez-vous car ces moments d'écritures sont toujours plaisants malgré les situations et le sort de ces rencontres.
RépondreSupprimerMerci Sébastien. Tes visites sont toujours un plaisir. J'espère sincèrement ta participation au prochain #RDVAncestral même si effectivement les rencontres se font parfois avec des gens à la vie peu enviable.
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