Le mois de l'écriture Novembre 2022

 Les visuels sont des créations de Marie Jarnet, compte instagram @cap.letter


 

 

 

 

 Il était ingénieur, chargé des routes, des ponts et des tunnels. Toute la journée il prévoyait, planifiait, concevait et surveillait. C’était en temps de paix. La guerre est venue, il est appelé ; le pays a besoin de lui. Les routes sont défoncées cependant il faut avancer, les ponts ont sauté mais il faut passer, les tunnels sont effondrés pourtant il faut progresser. Alors il s’est ingénié et trouvé des solutions. Les arbres calcinés sont devenus plancher, les bateaux encordés servent de ponceaux et les câbles enlacés forment des passerelles. Qu’il soit des travaux publics ou militaire, c’est toujours sur le génie que repose l’édifice.



C’est un club comme un autre. « Un camp des cents » est un cercle au centre duquel on se rassemble, autour d’un grand feu, pour se tenir chaud, pour se rassurer, pour ne plus se retrouver seul face à la quête de la lumière. C’est un groupe qui donne de la force, tant que durent les braises. Ensemble, on rêve, on s’échappe, on chemine tranquillement, éclairé par les flambeaux dont certains ont eu l’idée de se munir, au milieu des futaies, sans avoir la crainte de se perdre. Et puis, la nuit commence à reculer, la cime des arbres pointe une pâle lueur, tapie derrière les nuages, qui annonce la venue du jour. Alors, les cents quittent le camp, après un dernier regard vers le brasero incandescent.



Déchirant ses entrailles, il s’est propulsé en dehors du corps nourricier. Il a poussé un cri de douleur en découvrant la dureté de la vie alors, après quelques heures de réflexion, le nouveau-né a cessé de respirer. Son minuscule corps a été offert à la terre et sa petite  âme pure est montée vers les cieux, laissant flotter sur l’azur, ses cheveux d’ange, légers comme des nébulosités, ténus comme des cirrus, avant de franchir l’horizon.


La terre, mécontente, a grondé puis, du plus profond d’elle-même, elle a laissé jaillir sa colère et, dans une explosion de rage, a projeté lave et magma. Elle s’est calmée et le temps a passé. Les hommes sont revenus. Ils ont accroché leurs pas sur les flancs sombres des volcans, faisant crisser la roche, hier en fusion, aujourd’hui charbon. Et puis, là, parmi ces pierres mortes, tels de sombres miroirs reflétant les rayons du soleil, se parant d’étranges reflets chatoyants, dures comme le roc, coupantes comme le verre, les obsidiennes attirent le regard, comme autant de promesses de vie.
Une odeur de café, un rayon de soleil, des enfants qui rient, des regards qui se croisent, des sourires qui s’échangent. Autant de petits bonheurs à cueillir avant que, fragiles comme les coquelicots, ils ne disparaissent, emportés par un souffle de vent.





C’est la forme parfaite, celle dont on ne peut pas s’échapper tant nous sommes pris dans ses douces rondeurs, dignes de celles d’un giron protecteur. C’est lui, qui nous oblige à agir, à penser, à avancer. Oui, bien sûr, il paraît parfois bien lourd mais sans lui, nous aurions, peut-être, peine à nous lever. Attention cependant, s’il devenait infernal, il faudrait, sans hésiter, rompre le cercle de nos habitudes devenues mauvaises.

 

 

Il est là, silencieux, les yeux fureteurs, rasant les murs telle une blatte prête à plonger à l’abri des plinthes au moindre danger. Il se plaint, il n’a pas un seul compagnon, personne ne veut de lui qui se croit pourtant si serviable, si utile. Il est à l’affut et même si les autres se méfient, il finit toujours par remarquer un détail, entendre un mot susurré, extorquer une confidence, qui lui permettront de découvrir une bêtise, une infraction… alors, tel un cafard, courant dans les couloirs obscurs, il ira rapporter sa trouvaille à un intéressé… Moucharder ne lui donnera jamais un ami mais, à défaut, il espère la reconnaissance et une place dans la société.

 

Les autres sont partis en riant. Ils l’ont abandonné. Il ne voulait pas les suivre mais ses parents ont insisté pour qu’il laisse ses livres emplis de chimères et de légendes et joue comme ceux de son âge. Mais les autres l’ont mis, depuis toujours, au banc des accusés et, aujourd’hui, vient le verdict. A ce tribunal d’enfants cruels, il préfère le jugement de Dieu. Depuis combien de temps erre-t-il dans cette forêt ? Ses pieds brûlent comme s’il marchait sur des braises, tel l’un de ses héros moyenâgeux, ses véritables amis, subissant l’ordalie. Et puis son nom a retenti, les adultes le cherchaient, l’aventure était finie.  Il a laissé la peur l’envahir et couler les larmes, il n’était plus qu’un enfant ordinaire. 

 

 

Il est là, aux aguets, la main posée sur son petit engin de mort, héroïque défenseur de la place, prêt à actionner le treuil, libérant la flèche meurtrière. Seul le sifflement produit révélera le jet de la pointe d’arbalète qui, à la vitesse de l’éclair, avec une précision inouïe, comme l’aiguillon venimeux du scorpion, se fichera dans les chairs fragiles de l’intrus qui ne se relèvera jamais de cette ultime blessure.

 

 

Il fait si froid dans son cœur que même le feu dans la cheminée n’arrive pas à le réchauffer. Roulée dans le vieux plaid qu’elle a toujours connu, là, sur le fauteuil club, elle se love, les jambes repliées sous elle, la tête posée sur le cuir craquelé de l’accoudoir, elle pense que son existence est devenue bien triste. Et puis, sur son bras, léger comme une caresse, doux comme une peluche, il a atterri ; il s’est frotté contre sa joue, lui offrant mille câlineries sur fond de ronronnements apaisants. Un bond a mis fin aux délicieuses chatteries. Le félin est parti mais l’envie de vivre l’a envahie et, comme un enfant devant une boîte de gourmandises multicolores, elle a laissé la joie la submerger.


 

Son pelage, tout noir, luit au soleil ; ses yeux, chatoyants, passent du jaune au vert. Elle est là, tapie dans l’herbe et, soudain, sans un seul craquement, se jette sur sa proie et lui plante ses crocs acérés, dans le cou. De ses griffes sorties, comme des lames adamantines, elle dilacère sa prise. La panthère a gagné ce duel entre vie et mort.

 

 

Elles sont si belles avec leurs formes voluptueuses, à peine voilées par de subtils drapés, mises en valeur par des poses lascives. On les imagine faites pour le plaisir et l’amour. Elles sont si divinement mises en lumière, que l’on ne peut s’empêcher de leur sourire sans pourtant qu’elles ne daignent accorder un regard au passant subjugué. Elles ne sont pas là pour folâtrer, elles ont un rôle à jouer ; il faut qu’elles le tiennent pour l’éternité. Elles doivent concentrer leurs forces pour soutenir l’édifice.  En fait, elles pourraient être des femmes ordinaires, mais elles sont de pierre, alors, on les appelle cariatides.

 

 Ils ont rassemblé leur fourniment, briqué les galoches, dépoussiéré les paletots, fourbi leurs instruments car demain, comme de braves soldats à l’appel du clairon, les petits colons, dans le jour naissant, se réuniront dans la cour de la maison de correction. Et là, bien alignés, marchand en cadence, ils iront sur le chemin, leur fanfare d’amateurs en tête du cortège, jusqu’à la place principale où ils se produiront devant la population avide de divertissements. Demain sera jour de fête, celle du village et, pendant ces quelques heures de félicité, ces petits délinquants, ces suppôts de Satan, redeviendront des enfants.

 

 

Il était si vif, le voici fatigué de tout. Il a mal à la tête, il a mal au ventre. Il se plaint et il geint. Il ne veut plus rien avaler, les mets les plus fins lui provoquent nausées et vomissements. Il ne dort plus, n’écoute plus ce qu’on lui dit. Comme il est pâle ! Chez le médecin, il faut l’emmener. Le voici mal luné, le diagnostic n’est pas bon. Déjà qu’il n’était pas né sous une bonne étoile, Saturne vient s’en mêler, son taux de plomb est bien trop élevé.





Il est tout doux, on l’appelle doudou. On le donne au bébé pour lui servir de nounou. On le charge de tout. A l’enfant, il doit apporter amour et réconfort et pour toujours devenir le fétiche qui protège de tout. C’est son gri-gri, son amulette, son talisman mais un jour, pourtant, il faudra le lâcher car la magie de l’enfance se sera éloignée.




Il se sent comme le prélat qui vient de recevoir la pourpre cardinalice ou tel le roi tout juste oint. Dans le regard des copains, derrière leurs cris de joies et les applaudissements, il sent le respect et l’admiration mais aussi une pointe de jalousie. C’est lui le chef, le caïd, le baron de la fiera et c’est avec fierté qu’il brandit le jambon qu’il vient de remporter. C’est elle qui l’a choisi, elle l’a chargé. Alors, il l’a esquivée à droite puis à gauche et toujours, tête baissée, elle fonçait sur lui… Et puis, face à la bête, rendue fauve par l’ambiance, il a sauté. La vachette est passée entre ses jambes, alors, vif-argent, à la volée, il a enlevé la cocarde fichée dans sa corne menaçante.

 

Jour après jour, subrepticement, presque sournoisement, un doute s’est insinué dans son esprit. Depuis quelque temps, elle minaude, prend la pose, sourit, fredonne ; elle va jusqu’à esquisser quelques pas de danse à moins que, perdue dans ses rêveries, elle n’offre qu’un regard alangui. La dernière fois qu’il l’a vue ainsi remonte à douze ans, ils venaient de se marier… Sa femme aurait-elle un galant ? Et puis aujourd’hui, en le forçant à s’assoir, elle lui dit qu’elle a quelque chose à lui avouer. Il ferme les yeux, il se bouche les oreilles ; il a peur d’avoir mal. « Mon ami, il va falloir me partager. Dans quelques mois nous serons trois car, enfin, vous allez être appelé papa ».

 

Elle est fatiguée, elle est harassée. La journée a été éprouvante, tout son être lui en fait le reproche. Il est tard, si tard que la maison est endormie. Ce soir encore, elle n’entendra pas le rire de ses enfants. Elle regarde leur sommeil, n’ose les embrasser de peur de les éveiller. Une esquisse de sourire, une pensée pour la nurse qui sait si bien les dorloter, il faudra qu’elle lui dise merci. Elle se force, elle s’oblige à passer sous la douche avant de glisser son corps propre dans les draps soyeux de son lit réconfortant… Bonheur suprême, elle soupire d’aise avant de sombrer dans le sommeil. Demain, fraîche et dispose, elle recommencera à vivre.


 

« Ha ! Rico vers où vas-tu ? » dit le père Si. Un bambin le suit ; il est trognon son petit-fils, un vrai chou qui folâtre avec les petites bêtes dans les herbes odorantes. Il n’avait pas imaginé rencontrer tant d’amis. Tous ses potes, iront-ils au casting ?  En tous les cas ce rôle, est fait pour eux. « Vous allez être marron ! » Cela fait peur, puissance six ! Six trouilles d’un coup, ça fait frémir. C’est le marmiton qui vient d’avertir en s’emparant des haricots verts, du brin de persils, du trognon de chou, des bettes ; il ajoute fines herbes, navets, potiron, marrons, sans oublier un peu de citrouille ; les jette dans la casserole de bouillon porté à ébullition. Les légumes avaient raison, c’était le rôle de leur vie !


Il faisait froid, si froid. J’ai senti mon cœur se figer malgré mon manteau de cachemire. Ils m’ont pris la main, ils m’ont embrassée et ils m’ont quittée. Je suis restée seule, si seule, à attendre, dans le vent glacé qui recouvrait les tombes d’une pellicule blanchâtre, que la vie revienne. Le silence s’est installé et je me suis résignée à reconnaître que, toujours, nous serons séparés. La mort est le but de la vie et il l’a atteint. Les amarres sont brisées, ma boussole est faussée et je dérive, sur un simple esquif, comme sur un morceau de banquise, flottant au gré des courants dangereux.

 


« Je te quitte ! ». « Je te quitte ! ». Ces mots emplissent son crâne, martèlent ses tempes, rongent son cerveau. Il tourne et retourne, fait les cents pas, crie, hurle, lance des injures en serrant le poing. Lui, l’homme d’affaires, le décideur, ne sait plus quoi faire. Il est fou de chagrin, ivre de désespoir, éperdu de douleur. Et puis, la nuit recule, une pâle lueur lui fait signe. Il avance, ouvre la baie vitrée, traverse la terrasse qui surplombe la rue qui s’éveille. Debout sur la rambarde, il voit les passants qui courent après un bus, les autos qui filent vers les bureaux. Il domine la situation, et comprend ce qu’il doit faire pour sortir de son malheur. Sans une hésitation, il se jette en bas de ses dix étages.


 

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